Notre capitale dispose de l’un des plus beaux patrimoines immobiliers du monde. Il a été délaissé et soumis aux aléas du temps.
Salah est un Algérois, septuagénaire et nostalgique. En contemplant une carte postale d’Alger datant de l’époque coloniale, il se demande où est passé le charme d’antan de la capitale. Le temps des interrogations ne va plus être qu’un souvenir. Une vaste opération de réhabilitation du bâti ancien est effectivement lancée. Elle concerne en premier lieu les bâtisses situées aux alentours immédiats de la Grande-Poste. La rue Larbi Ben M’hidi, la rue Khettabi et Khemisti sont de celles-là. Idem pour les boulevards Docteur Saâdane, Colonel Amirouche, Malika Gaïd et l’avenue Colonel Lotfi. La cité Malki, les Vergers et Chateuneuf sont aussi dans le lot.
Le plan va s’étaler sur sept autres communes d’Alger. Oran, Constantine et Annaba sont aussi dans l’agenda du gouvernement. Tout doit prendre fin en 2014 même si ce n’est que la première étape d’un vaste programme de sécurisation des habitations et de protection du patrimoine architectural qui ne s’achèvera qu’en 2029.
Rien que pour la capitale, une enveloppe de 5 milliards de dinars est dégagée. C’est le tiers du montant alloué pour l’ensemble des sept wilayas concernées. Toute
l’opération est orchestrée par le ministre de l’Habitat, Nourredine Moussa. En meneur de projet, il supervise tout. Dans la capitale, c’est la direction de l’aménagement et de la restructuration des quartiers d’Alger, sous la direction de Abdelkader Guida, qui coordonne les travaux. On constate que deux entreprises ont déjà fini par réhabiliter 15 bâtiments datant d’avant 1962. L’entreprise privée MRB échafaudages a mené les travaux à la rue Ben M’hidi depuis la Grande-Poste jusqu’à la place Emir Abdelkader. L’Ecotra Bab El Oued (publique) se charge des autres bâtiments. L’Opgi de Bir Mourad Raïs, de Dar El Beïda, de Hussein Dey et l’Agence foncière d’Alger, sont des maîtres de l’ouvrage délégués partenaires du projet.
Tout devait être prêt pour le 5 juillet 2012. Mais les travaux ont connu du retard. Pourtant, la réhabilitation des bâtiments est devenue une urgence après une négligence de 50 ans. L’opération doit concourir à redonner à la capitale un statut de ville internationale, a expliqué Mme Hassiba Belkhodja, conseillère du ministre de l’Habitat. Elle ne néglige pas pour autant la sécurité et le confort des habitants. Ils sont d’ailleurs les premiers à avoir déclaré qu’ils sont satisfaits de cette opération qui ne rend leur ville que plus belle. Des habitants de la rue Ben M’hidi se sont plaints néanmoins d’être victimes de quelques désagréments. Le bruit et la poussière envahissent habitants et visiteurs.
Des joyaux architecturaux
A côté de la réhabilitation des bâtiments, il y a un second chantier consistant à enfouir les câbles électriques, les câbles de fibre optique ainsi que les canalisations d’eau et de gaz. C’est l’APC d’Alger-Centre qui prend en charge cette partie des travaux, nous a confié Rabah Balahouane, premier vice-président. Il ajoute que les trottoirs de cette rue de la capitale seront également élargis dans la perspective de rendre le quartier aux piétons concurrencés grandement par l’automobile. Ce sont toutes ces innovations qui rendront à la capitale son charme. Elle conservera ses joyaux architecturaux comme les autres cités de la Méditerranée à l’instar de Paris et Tunis. Elle aura plus d’atouts pour attirer les visiteurs et procurer plus de tranquillité à ses habitants.
Mais rénover 15 bâtiments n’est qu’un début. On estime à plus de 1,9 million le nombre de logements construits avant l’indépendance. C’est 27% du parc immobilier global évalué à 7,2 millions de logements, indique Mme Hassiba Belkhodja.
Signes de vieillissement
Tous n’ont pas un caractère historique, mais ils ne nécessitent pas moins un sérieux coup de réhabilitation. D’ailleurs, il n’y a pas que le cachet colonial qui est pris en compte puisqu’il s’agit aussi et surtout de mettre fin à la dégradation de l’habitat. Tout bâtiment ancien réhabilité sera considéré comme neuf. C’est en 2008 que le Président Bouteflika a donné le ton en visitant le quartier El Hamri à Oran. Le but est d’offrir un habitat décent aux Algériens. Il ne sert à rien de construire des millions de nouveaux logements, si les citoyens continuent de se loger dans des conditions abominables, aime à répéter le ministre de l’Habitat. L’enjeu économique n’est pas absent. C’est une démarche d’investissement qui est entreprise par le citoyen, car son bien sera mieux valorisé. D’ailleurs, un avant-projet de loi sur la réhabilitation est au programme. La réflexion englobe aussi la faisabilité de montages financiers entre les banques et les propriétaires. Les bâtiments à réhabiliter appartiennent, soit à l’Opgi, soit à des particuliers. L’Etat s’est chargé jusqu’à présent de l’entretien des façades. L’intérieur des maisons sera concerné par une prochaine étape des travaux. La préservation de l’identité des joyaux historiques est à ce prix. A la grande joie de leurs occupants.
D’ores et déjà, des programmes d’aides financières sont retenus pour la restauration d’habitations individuelles. Ces aides publiques sont d’un montant de 700.000 dinars chacune et sont attribuées sur la base de visites d’inspection effectuées par des bureaux d’études techniques aux habitations ayant déjà été recensées par les commissions techniques et les services des daïras. Certaines bâtisses ont pu ainsi conserver un bel aspect extérieur en dépit de certains signes de vieillissement. En cherchant bien, on découvre, qu’outre la daïra de Sidi M’hamed, celles de Hussein Dey, d’El Harrach, Bouzaréah et Bab El Oued abritent des bâtiments d’un merveilleux style architectural, qui ne demandent qu’à être sauvés de la dégradation. Nous avons d’ailleurs demandé à Abdelhamid Boudaoud, expert architecte qui a eu déjà à présider à la réhabilitation de quelques bâtiments au quartier des Quatre-Canons, à Alger de nous livrer son expertise sur le sujet.
Carnet de santé
Il énumère les conditions d’une opération réussie. Pour lui, au lieu de forcer l’Etat à dépenser des milliards, il y a lieu de faire jouer d’autres mécanismes de financement. Il suggère aux assureurs de se rapprocher des propriétaires et locataires pour contracter des polices d’assurances, suite à quoi le financement de la réhabilitation serait pris en charge par des compagnies. Ainsi, Etat et particuliers se partageront le fardeau.
Dans l’intervalle, il explique qu’il n’y a qu’à pénétrer dans un bâtiment ancien pour découvrir les merveilles de l’architecture à commencer par le patio et les escaliers. Mais avant d’entamer un quelconque chantier, certaines étapes sont impératives. Analyse, diagnostic et normes sont les piliers de la réhabilitation, ce qu’il résume par l’acronyme ADN.
Ce n’est qu’après cette étape, qu’une fiche est établie pour demander un financement adéquat. Continuant de livrer les règles de l’art qui président à la réhabilitation, Boudaoud réclame aussi un carnet de santé du vieux bâti afin de déterminer les besoins d’entretien. Le long terme n’est pas négligé par cet expert, car les opération ne doivent pas avoir un caractère conjoncturel. D’ores et déjà, on sait que la durée de vie des composantes du bâtiment est limitée. 20 ans pour la plomberie, 15 pour l’électricité, 10 pour la peinture et 25 pour la menuiserie (portes et fenêtres).
Si l’expertise locale n’est pas suffisante, il n’exclut pas la nécessité de faire appel à des Espagnols, Grecs, Italiens et Yougoslaves qui ont déjà eu à traiter des problématiques pareilles chez eux. Il rappelle que même le président de la République n’a pas écarté l’éventualité lorsqu’il a recommandé de faire venir des Espagnols afin de réhabiliter les palais de Tlemcen. Les spécialistes peuvent préconiser la réhabilitation (faire du neuf avec du vieux), le confortement pour stabiliser la bâtisse, ou la démolition partielle ou totale. Ces deux alternatives sont assimilées à des échecs ou des demi-réussites. Le parc immobilier historique est fait de matériaux nobles à l’instar de la céramique pour les escaliers et de la ferronnerie pour les balcons.
En 2008, le ministre de l’Aménagement du territoire, Chérif Rahmani, le distingua à titre posthume pour l’ensemble de son oeuvre dans le pays. Pouillon choisit la pierre, car c’est un matériau qui vieillit bien. Les bâtiments d’Alger sont riches par leur composants: marbre, pierre, carrelage, loggias. Cette qualité du bâti fait que 50 ou 60 ans après leur édification, les immeubles sont encore en bon état et ne sont toujours pas démolis. Et ce sont les habitants eux-mêmes qui en témoignent. Les appartements sont spacieux et certains d’entre eux sont transformés en bureaux ou en cabinets de médecins ou d’avocats.
Ces logements ont toujours la cote devant les différents logis construits à la hâte. Mais ils côtoient quelquefois des bidonvilles, ce qui renseigne sur les différences d’approche en matière d’urbanisme. Des études ont été menées et le CTC a tranché sur la gravité de la situation des bâtisses ciblées par les opérations de réhabilitation. Au cours de l’opération, il est constaté que les formations dans le domaine de la conservation et de la restauration du patrimoine présentent des carences.
Des restaurateurs à l’école
Les études concernent tout aussi bien les boulevards emblématiques que les transversales. Un arrêté du wali d’Alger délimite le périmètre d’intervention dans le cadre du plan de modernisation. C’est le cas pour la transversale allant du Palais du dey à Port-Saïd, d’El Aurassi à la wilaya
Et depuis la Grande-Poste et du Jardin Beyrouth à la gare de l’Agha. La Darq se charge des travaux.
Suite à ce constat, une école de conservation et de restauration des biens culturels d’Alger devrait ouvrir ses portes à la prochaine rentrée universitaire. L’école commencera par former des assistants-conservateurs et des assistants-restaurateurs et projette de se lancer dans la formation des architectes destinés à l’intervention sur site. Elle a été conçue comme une réponse au vide constaté dans la formation patrimoniale afin de prendre en charge les biens immobiliers. La dernière promotion de restaurateurs remonte à plus de 30 ans dont une dizaine sont en activité au niveau national. Les formations dans la conservation et la restauration du patrimoine se font à l’Ecole polytechnique d’architecture et d’urbanisme qui propose depuis 2008 en post-graduation, un magister en patrimoine architectural et urbain. Si ces efforts portent leurs fruits, les Algériens n’auront pas que la carte postale pour découvrir la beauté de leur architecture. Les places, carrefours, boulevards et venelles des villes accueilleront les habitants et les visiteurs dans un décor de rêve. Ce sera aussi une opportunité pour admirer des monuments, de vieilles mosquées, des hôtels de deux siècles. Hôtels de ville, Palais de justice, théâtres, sont autant de bijoux architecturaux qui abritent des pans entiers d’histoire.