Des joueurs de l’équipe nationale algérienne de football ayant évolué durant les années 1980 ont-ils pris des produits dopants qui auraient engendré de graves handicaps physiques et psychiques à leurs enfants ? Plusieurs ex-internationaux livrent des témoignages dramatiques et troublants sur leurs situations familiales et indiquent avoir consommé des substances douteuses en sélection nationale.
Au moins sept joueurs qui ont disputé les mondiaux de 1982 et 1986 ont enfanté des filles et des garçons gravement handicapés.
Ces drames familiaux seraient-ils liés à des produits supposés dopants administrés par des médecins qui ont officié au sein de l’équipe nationale ? Des joueurs réclament une l’ouverture d’une enquête.
Les faits
Au moins sept joueurs qui ont évolué au sein de cette équipe durant les années 1980 ont donné naissance à des enfants souffrant de graves déficiences mentales et physiques.
Ces sept joueurs sont Djamel Menad, Kaci Saïd, Tej Bensaloua, Mehdi Cerbah, Mohamed Chaïb, Abdelkader Tlemçani et Salah Larbès. Pour l’heure, seul trois, Kaci Said, Menad et Chaïb, ont décidé de s’exprimer publiquement sur cette affaire. Des informations que nous n’avons pas encore confirmées indiquent que de trois autres joueurs seraient concernés.
Bien qu’aucun indice ne permette pour l’heure d’en faire un lien, ces joueurs sont convaincus que les handicaps que trainent leurs progénitures sont liés, directement ou indirectement, à des produits qu’ils avaient consommés à l’époque où ils évoluaient au sein de l’équipe nationale.
Kaci Said, Mohamed Chaïb et Djamel Menad évoquent ouvertement, sans pour autant citer son nom, un médecin russe qui leur faisait ingurgiter des gélules sensés diminuer les douleurs avant ou après les matchs et les entrainements.
Genèse de l’affaire
La bombe est lâchée la première fois en juin 2010 par deux joueurs, Mohamed Chaïb et Kaci Said au cours d’une virée au Canada.
Lors d’un entretien au journal Le Buteur, ils révèlent un secret. « On se demande si les médecins soviétiques de l’époque ne nous gavaient pas de produits dopants, dangereux pour la santé », avoue Kaci Saïd.
Ex-milieu de terrain qui a disputé la Coupe du Monde de 1986 au Mexique, ce dernier dit vivre un enfer au quotidien. Sa fille Medina, 26 ans, est handicapée mentale.
Kaci Saïd père d’une fille handicapée
A notre confrère le Buteur, Kaci Said évoque ses tourments : « Ma vie est un enfer. J’ai reçu un choc lorsqu’elle est née et cela s’est clairement répercuté sur mon parcours sportif. J’ai refusé pendant quatre ans d’avoir d’autres enfants de peur que cela ne se reproduise, j’ai souffert et je souffre encore pour elle, j’ai pensé au début que c’était la volonté de dieu et que je devais l’accepter, certains ont pensé que cela pouvait être lié à la consanguinité entre moi et mon épouse mais cela est faux. Je suis d’origine kabyle et mon épouse est d’origine turque, il n’y aucun lien de parenté entre nous. »
Chaïb père de 3 filles handicapées
Mohamed Chaïb, défenseur au sein de la sélection des années 1980, est aussi meurtri, sinon plus. Lui est père de trois filles, toutes nées avec un handicap. L’une d’elles est décédée à l’âge de 18 ans.
Pour en savoir davantage sur ce mal mystérieux qui affecte sa famille, Chaïb consulte un spécialiste en France.
Il raconte : « J’ai fait un passage au service du professeur Menick, et par la même occasion des analyses de mon ADN et celui de ma femme. Le professeur m’avait dit que je n’avais rien de grave et que je pouvais avoir des enfants normaux. Il m’avait demandé quel était mon métier. Quand je lui ai expliqué que je faisais partie de l’Equipe nationale algérienne des années 80, il m’a dit que le dopage pouvait être à l’origine du handicap de mes filles. »
Djamel Menad père d’une fille handicapée
Troisième joueur à faire état de soupçons de produits dopants au cours de la même période, Djamel Menad. Ancien goléador de la JS Kabylie, Menad faisait partie de l’équipe qui a disputé le mondial mexicain.
Lors d’un passage sur la chaîne tunisienne Nessma TV, lundi 7 novembre 2011, Menad révèle que sa fille souffre d’un grave handicap.
Il confesse : « J’ai une fille âgée aujourd’hui de 18 ans. C’est mon deuxième enfant et elle est née handicapée. Je souffre au quotidien avec elle surtout qu’elle ne peut pas vivre sans ses médicaments.»
Menad demande désormais une enquête pour faire la lumière sur cette situation.
Un médecin qui administre des gélules de plusieurs couleurs
«Nous sommes au moins six joueurs de l’équipe nationale à avoir au moins un enfant né handicapé, explique-t-il. Ce n’est pas une simple coïncidence, et il est temps pour nos responsables d’ouvrir une véritable enquête pour connaître la cause de ce phénomène. »
A l’instar de Kaci Said qui s’est récemment expliqué de nouveau dans les colonnes d’El Khabar, Menad pointe du doigt ce médecin russe qui a officié au sein de l’équipe nationale.
« Je me souviens très bien de ce médecin russe qui nous donnait des pilules de couleur jaune que nous prenions à l’époque sans savoir quoi que ce soit, affirme-t-il à Nessma TV. Personnellement, je trouvais leur forme un peu bizarre, mais comme le médecin insistait que c’était de simples vitamines, on les prenait alors sans aucune crainte. »
Y a-t-il des liens entre les handicaps vécus par les enfants de ces internationaux et des produits supposés dopants qu’ils auraient ingurgités durant les années 1980 ?
Les déficiences mentales et physiques dont souffrent leurs enfants relèvent-elles de la coïncidence ou sont-elles plutôt les conséquences d’un dopage pratiqué à l’insu des joueurs ou/et des dirigeants?
Sept joueurs touchés le ratio est troublant
Sur la cinquantaine ou soixantaine de joueurs qui ont évolué entre 1980 et 1986 – pour ne remonter qu’à cette période-, sept sont concernés par ces handicaps. Et encore, d’autres ne se sont pas manifestés pour l’heure. Si leur nombre est limité, il reste tout de même troublant. Extrêmement troublant.
Si rien, absolument rien, ne permet d’attester que ces handicaps sont liés à des produits suspicieux, il existe néanmoins des antécédents dans l’histoire du dopage au sein du football international.
Plus particulièrement en Europe de l’Est. Précisément, là où des centaines de cas de dopages d’athlètes ont été recensés et confirmés.
Le contexte de l’époque
Pour comprendre ces cas de dopages supposés dont auraient été victimes des joueurs de l’équipe algérienne, il faut situer le contexte de l’époque.
Ces internationaux dont les enfants souffrent aujourd’hui d’handicaps ont tous été sélectionnés en équipe nationale entre 1980 et 1986.
Deux étrangers, le russe Guenadi Rogov et le yougoslave Zdravko Rajkov, avaient en charge les Verts. Le premier, décédé en 2006, a entrainé l’équipe entre 1980 et 1982. Le second est nommé en juillet 1981 pour la conduire vers le mondial espagnol de 1982. On fera à nouveau appel à Rogov entre octobre 1986 et mars 1988.
Entre 1980 et 1986, plusieurs coachs algériens se sont succédés à la tête des Verts. Il s’agit notamment de Mahiedine Khalef, de Hamid Zouba, de Rachid Makhlouf et de Rabah Saâdane.
Au cours donc de cette période, plusieurs médecins étaient en charge des joueurs. Des Algériens mais aussi des étrangers.
Au sein de l’ISTS (Institut des sciences et des technologies du sport) de Ben Aknoun, un centre où transitaient les joueurs, plusieurs coopérants issus des pays du bloc soviétique y officiaient comme enseignants ou praticiens de la Santé.
Certes rien ne permet d’accréditer la thèse d’un dopage supposé, mais il y a tout de même ces études, ces témoignages et ces cas de dopage avérés en Allemagne de l’Est.
Dopage systématique
Expert allemand de la lutte antidopage, professeur de biologie, ancien cycliste, Werner Franke a longtemps travaillé sur le cas de dopage en RDA durant les années 1970 et 1980
Dans un livre intitulé « Doping Dokumente », publié en 1991 avec sa femme Brigitte Berendonk, spécialiste de pentathlon, Werner Franke cite le cas de centaines d’athlètes est-allemands à qui l’ont avait administré des substances dopantes pour améliorer leurs performances sur les stades.
« Nous avons la preuve qu’un véritable programme de dopage avait bel et bien existé entre 1968 et 1989 pour plusieurs centaines d’athlètes dans les disciplines les plus variées. Plus de trois cents médecins et scientifiques y ont participé, la plupart étant des médecins du sport ou des spécialistes de l’endocrinologie, de la pharmacologie, de la physiologie ayant un diplôme de sciences de l’entraînement », écrit Werner Franke.
10 000 athlètes est-allemands dopés
Entre les début des années 70 et 1989, le dopage systématique mis en place en RDA a concerné environ 10 000 athlètes.
Rolf Gläser, 58 ans, ancien entraîneur de natation, était un spécialiste du dopage.
En 1998, il avoue avoir fait avaler à six jeunes nageuses, de 1976 jusqu’au début des années 80, des comprimés d’oral-turinabol, un stéroïde anabolisant destiné à améliorer leurs performances. Résultats : Un millier de ces sportifs ont contracté de graves maladies. Mais surtout, ils ont donné naissance à des enfants souffrant de malformations congénitales.
Trois sportives ont donné naissances à des enfants déficients
Karen Koenig est nageuse est- allemande, championne d’Europe du 4×100 et 4×200 m crawl en 1985. Conséquence du dopage qu’elle a subi durant des années, Karen a eu un enfant «anormal ». Elle n’est pas la seule. Sa collègue Barbara Krause a eu deux enfants victimes de malformations aux pieds.
Lors du procès qu’elle intentât en 2000 à ses deux médecins, Karen Koenig raconte : «On nous donnait des pilules trois fois par jour. Parfois, on arrivait à les jeter car on se rendait compte que les vertiges, les boutons, les dépressions, ce n’était pas normal. Mais l’entraîneur vérifiait qu’on les prenait bien. Beaucoup de gens pensent aujourd’hui que nous étions folles de nous doper pour décrocher une médaille, mais nous n’avions pas le choix. »
Ces fameuses pilules rouges, jaunes, vertes et bleues
Christiane Knacke-Sommer, médaille de bronze aux JO de 1980, raconte elle aussi comment ses médecins lui faisaient avaler des pilules « rouges, jaunes, vertes et bleue ».
En 1983, elle met au monde une fille. Six mois plus tard, celle-ci tombe malade et luttera entre la vie et la mort pendant 18 ans. Diagnostic du médecin : déséquilibre hormonal du aux pilules prises par sa mère.
Sur 50 nageuses de l’ex-RDA, 10 ont développé un cancer de l’utérus ou ont eu un bébé mal formé.
Parmi les produits administrés aux athlètes est-allemands figurent donc les stéroïdes anabolisants.
Stéroïdes anabolisants
La jaune contient de la vitamine C, la rouge un mélange de plusieurs vitamines et la bleue contient de la nandrolone, un stéroïde anabolisant interdit. Est-ce les mêmes pilules que les médecins donnaient aux joueurs de l’équipe nationale?
Djamel Menad évoque des pilules de couleur jaune. Les mêmes administrées aux sportifs est-allemands ?!
Selon diverses enquêtes menées par des spécialistes du dopage, les athlètes est-allemands qui avaient pris ces stéroïdes présentent des problèmes de santé tels que des troubles de la fonction cardiaque ou du foie, des cancers, une mortalité précoce ou des dommages gynécologiques.
Les effets secondaires attestent également que les athlètes dopés ont bien plus d’enfants mort-nés et d’enfants handicapés.
A savoir, exactement les mêmes effets subis par les enfants de ces anciens joueurs de la sélection algérienne.
Des internationaux dopés à leur insu ?
Les médecins, étrangers ou algériens de l’équipe nationale durant les années 1980 auraient-ils administré à ces joueurs les mêmes produits dopants en vogue dans les pays de l’Est ?
Ces pratiques se faisaient-elles à l’insu des joueurs, des entraineurs et des responsables de la fédération algérienne de football ? Les drames vécus aujourd’hui par sept ex-joueurs qui ont fait la gloire du football algérien sont-ils des accidents de la vie ou sont-ils plutôt liés à un système dopage occulte ?
Demande d’une enquête
Les deux entraineurs étrangers ne pouvant plus témoigner dès lors qu’ils sont décédés. Reste alors tous les acteurs de l’époque, joueurs, entraineurs et médecins. Accepteraient-ils de témoigner dans le cadre d’une enquête ?
Les autorités sont-elles disposées à laisser s’ouvrir un enquête au risque d’éclabousser l’image de marque de l’équipe nationale et écorner le mythe de l’EN version 1982 ?
Ces pères de familles, meurtris dans leur chair, veulent aujourd’hui connaitre la vérité.