Les eurodéputés ont illustré, à travers leurs interventions, les positions controversées de l’Union européenne sur la gestion de l’après-Printemps arabe. Certains ont carrément affirmé que les nouveaux dirigeants élus démocratiquement ne sont pas si démocratiques. Les dissensions sont particulièrement visibles sur la question syrienne.
Le Printemps arabe, deux ans après, est le thème central d’un séminaire, qui se tient au Parlement européen à Bruxelles depuis le 4 juin et durera jusqu’au 6 du même mois. Une occasion pour engager le débat entre eurodéputés et quelque 120 journalistes des deux rives de la Méditerranée sur ce qui se passe au nord de l’Afrique et au Moyen-Orient et sur les positions controversées de l’Union européenne sur l’après-révolutions arabes.
Évidemment, les discussions ont focalisé sur la Syrie qui semble diviser fortement les pays européens, particulièrement après l’adoption par le Parlement européen d’une résolution portant sur l’armement de l’opposition syrienne. “L’Union européenne a fait preuve de flexibilité dans l’armement des rebelles syriens pour en finir avec le régime”, a expliqué Hugues Mingarelli, responsable des régions Afrique du Nord, Moyen-Orient, la Péninsule arabique, l’Iran et l’Irak au PE. Son collègue italien, Pier Antonio Panzeri, chef de la délégation parlementaire pour les relations avec le Maghreb, très offensif, illustre les dissensions de l’Europe sur cette question. Il le dit d’ailleurs franchement. “L’Union européenne a montré son incapacité à parler d’une seule voix sur le dossier syrien et c’est grave.” Une tendance confirmée par Edward McMillan-Scott, vice-président du PE chargé des droits de l’Homme, de la démocratie et du prix Sakharov, qui a utilisé le terme de controverse. “Fournir des armes aux rebelles syriens, c’est prendre le risque de voir la guerre s’étendre à toute la région”, prévient Pier Antonio Panzeri, qui a exprimé aussi sa crainte de voir ces armes tomber entre les mains des djihadistes. “L’Union européenne a laissé pourrir la situation en Syrie. Les États-Unis n’ont pas affiché de position claire après leur expérience en Irak et en Afghanistan. Les Nations unies n’ont pas réussi à adopter une seule résolution sur ce pays. La seule issue à cette hypocrisie est de réunir tous les acteurs, y compris l’Iran, et d’agir par réalisme”, a-t-il poursuivi. Pour Anni Podimata, vice-présidente du PE, chargée de la communication, il ne convient pas d’assimiler ce qui se passe en Syrie à une simple crise nationale. C’est d’abord un désastre humanitaire de par le nombre important de la population déplacée (elle a donné le chiffre de 3,5 millions de personnes). C’est ensuite une sérieuse menace politique et sécuritaire sur la région, dont la stabilité est déjà précarisée par le conflit israélo-palestinien et le développement de l’arme nucléaire par l’Iran. “La Syrie est un énorme défi pour nous”, a-t-elle soutenu. À vrai dire, les eurodéputés, ayant participé au séminaire, avaient du mal à expliquer la frilosité de la communauté internationale à agir pour désamorcer la crise syrienne. Ils ont donné l’impression de valser entre une envie d’accompagner le processus de changement mené par l’opposition et une volonté de ne pas trop s’impliquer dans cette crise en se cantonnant plutôt dans une attitude d’attentisme. L’évolution de la situation dans les pays, ayant expérimenté le Printemps arabe, à l’image de la Tunisie, l’Égypte et la Libye. “Le Printemps arabe suscitait beaucoup d’espoirs. Deux ans après, des progrès ont été accomplis, dans ces pays, en matière de réformes démocratiques. Mais nous nous rendons compte que beaucoup d’obstacles restent à surmonter”, a souligné Mme Podimata.
La démocratie est un système d’équilibre entre le pouvoir et les contre-pouvoirs
Plus directe, Mariedje Schaake, eurodéputée, a relevé que le président égyptien, Mohamed Morsi, a mis en œuvre une Constitution qui lui donne les pleins pouvoirs, une semaine à peine après la visite de Catherine Ashton, qui a accordé à son pays, au nom de l’Union européenne, une importante aide financière. Elle a estimé incompréhensible que l’UE soit restée muette sur cette dérive. Elle a alors implicitement mis en cause l’avènement effectif de la démocratie après le Printemps arabe. “La démocratie va au-delà d’un homme ou un vote. Elle incarne le pluralisme, le respect des droits de l’Homme et ceux des femmes. Ce n’est pas parce qu’un gouvernement ou un président ont été élus par une majorité qu’ils sont légitimes. La démocratie est un système d’équilibre entre le pouvoir et les contre-pouvoirs”, a-t-elle commenté. Sa vision est soutenue par Riad Muasses, chef du service arabe à Euronews. “Ce qui sont élus démocratiquement ne sont pas toujours démocratiques. Quand on assiste à l’assassinat de l’ambassadeur des USA par les salafistes libyens et celui de Belaïd Chokri, un opposant tunisien, j’ai des doutes sur la démocratisation de ces pays”, a-t-il corroboré. “La révolution tunisienne a été mise en branle par la jeunesse. Elle a été ensuite confisquée par l’élite et les islamistes. Aujourd’hui, nous sommes en train de punir ces jeunes, en intentant des procès contre eux”, a témoigné Henda Chennaoui, bloggeuse tunisienne.
Les parlementaires européens ont reconnu une certaine responsabilité de l’Europe dans la montée en puissance des islamistes en Égypte, en Tunisie et en Libye, et Riad Muasses dans une moindre mesure au Maroc. “La religion joue un rôle important dans le politique”, a admis Edward McMillan-Scott. Hugues Mingarelli a minimisé le risque de l’islamisation de la région. “Quand on parle d’islamisme modéré, nous ne portons pas un jugement de valeur, mais nous faisons une distinction avec les salafistes”, a-t-il précisé. “Pendant trop longtemps, nous avons choisi la stabilité sur les changements démocratiques. La crise économique nous a montré que nous avions tort”, a relancé Anni Podimata. Il a été question aussi de la violation des droits de l’Homme et de la liberté d’expression dans de nombreux États arabes. Une journaliste algérienne, Ghania Oukazi en l’occurrence, s’est enquise du sort réservé, en la matière, à Israël, qui se rend souvent coupable d’atteinte à la liberté de circulation, à l’intégrité physique et au déni des droits fondamentaux des Palestiniens. “Nous rappelons à l’ordre les États qui ne respectent pas les conventions internationales qu’ils ont ratifiées. Nous avons établi plusieurs rapports sur la situation des droits de l’Homme en Israël”, a répondu Bernardo Léon, représentant spécial de l’Union européenne pour la rive sud de la Méditerranée.
S. H