Les Algériens achètent environ 150 millions de litres de lait durant le mois sacré dont 12 millions partent à la décharge.
Le mode de consommation frénétique et boulimique qui s’installe progressivement dans la société algérienne apporte avec lui son lot de désavantages pour le pays. Outre la flambée des prix, l’inflation, la pénurie, la crise…, la consommation alimentaire excessive des ménages engendre un phénomène nouveau, jamais connu de par le passé : le gaspillage. Si durant toute l’année, ce fléau connaît une tendance moyenne, il prend, en revanche, des proportions alarmantes à l’approche et pendant le mois de Ramadhan.
Cette situation est d’autant plus paradoxale car elle est vécue surtout durant le mois sacré, période de jeûne et d’abstinence ! Pourtant, Le Bon Dieu qui s’adresse aux musulmans met en garde dans Le Coran contre l’excès. Il dit dans l’un de ses versets : “Mangez de ces aliments délicieux que Nous vous offrons et évitez tout excès de peur d’encourir Ma colère, car quiconque encourt Ma colère sera perdu sans retour.”
Le message divin est clair comme de l’eau de roche, mais il ne semble pas avoir d’écho au sein des pratiquants. Toutes les notions liées à la rationalité, à l’économie, à la rigueur, à la raison, à la sagesse… ne sont toujours pas intégrées dans les habitudes alimentaires des Algériens durant le Ramadhan. Avec une telle conduite, l’Algérien est-il devenu un simple tube digestif ? Il est clair que la frénésie s’empare de tous les citoyens, y compris ceux aux bourses moyennes à la veille du mois sacré. Les Algériens, néanmoins, ne sont pas tous nés avec une cuillère en argent dans la bouche…
C’est, à vrai dire, le niveau de vie ayant enregistré une certaine évolution qui a fait qu’une partie des habitants a changé son mode de consommation et est tombée dans la surabondance. Pris de panique par crainte de rareté et de flambée des prix, les consommateurs ont pris d’assaut les marchés, supermarchés, les supérettes et autres magasins pour se “ravitailler” en denrées alimentaires et ont constitué des stocks à quelques jours du mois sacré.
À cette période précise de l’année, le gaspillage alimentaire décuple. Selon l’Union nationale des commerçants et artisans algériens (Ugcaa), le coût du gaspillage alimentaire dépasserait cette année les 500 milliards de centimes. Cela est essentiellement dû au degré de consommation qui s’est élevé à 50% pour tous les produits alimentaires. Dans le détail, les Algériens vont consommer plus de 100 millions de quintaux de fruits et légumes durant le carême.
Ils gaspillent, toutefois, entre 5 et 10 millions de quintaux de produits alimentaires annuellement depuis quelques années. Ils consomment aussi 4,1 milliards de baguettes de pains durant le Ramadhan, mais en jettent à la poubelle 120 millions. On achète 15 baguettes de pain, alors qu’on ne pourra en manger que la moitié. L’on serait curieux de voir la réaction du consommateur algérien si l’état arrêtait la subvention du pain et que la baguette s’affichait à 30, voire 50 DA ?
Continuerait-il à acheter les mêmes quantités ou réfléchirait-il à deux fois avant de fixer le nombre de pains qu’il emmènera chez lui ? En Algérie, l’on prépare à manger pour vingt, alors que la famille n’est composée que de 5 personnes… Le gaspillage alimentaire touche également la consommation de lait. L’Union a indiqué que les Algériens achètent environ 150 millions de litres de lait durant le mois sacré dont 12 millions partent à la décharge.
Des produits alimentaires comestibles dans les poubelles…
Plus de 509 tonnes de poulet congelé, sur les 4 200 tonnes stockées, ont été écoulées au cours de la première quinzaine de Ramadhan par l’Office national des aliments de bétail (Onab). L’Ugcaa tire la sonnette d’alarme contre la tendance des Algériens à dépenser sans compter. Et si certaines personnes démunies recourent de manière systématique aux poubelles pour chercher de quoi se sustenter, c’est qu’elles trouvent vraisemblablement quelques denrées encore comestibles.
Est-il éthiquement correct d’assister à des scènes au quotidien où des habitants continuent de fouiller dans les décharges, alors que leurs concitoyens jettent des aliments encore frais et consommables ? Des millions de gens dans le monde s’endorment affamés chaque nuit, tandis que des millions de tonnes de nourriture finissent à la poubelle… Les familles algériennes consacrent, affirment des analystes, 60% de leurs salaires pour les produits alimentaires durant le mois de Ramadhan. Un taux confirmé par l’Office national des statistiques (ONS).
Le citoyen est, de ce fait, à l’origine d’un gaspillage gastronomique… astronomique ! Durant la première semaine de Ramadhan, les quantités de fruits et légumes commercialisées dans les 43 marchés de gros ont dépassé, estime-t-on, les 2 millions de quintaux. Et comme la consommation de l’Algérien se fait parfois avec les yeux uniquement, l’on déplore des taux de gaspillage d’alimentation dépassant les 10%. Si l’on s’intéresse à la recrudescence de ce phénomène à travers le territoire national, l’on constate qu’il est beaucoup plus observé dans les régions les plus riches.
Gaspillage gastronomique… astronomique !
Les experts s’accordent à dire que 70% du gaspillage est l’œuvre des ménages aisés. Force est de reconnaître qu’en Algérie, il n’existe pas de culture de consommation proprement dite. Des statistiques de l’ONS montrent que la dépense globale annuelle des ménages algériens a presque triplé à 2,9 durant la dernière décennie au niveau national, enregistrant un coefficient légèrement inférieur dans le milieu rural, soit 2,4 contre 3,2 en milieu urbain. La consommation en nette augmentation de l’Algérien se vérifie également par l’importation massive, dite d’appoint, de viandes rouges.
Un stockage de 5 000 tonnes de viandes rouges (ovine et bovine) avait été programmé pour le seul mois d’août. Mieux, d’autres opérations d’importation sont programmées pour approvisionner correctement le marché, destinées à satisfaire les besoins multipliés en produits alimentaires de l’Algérien, devenu désormais un grand consommateur.
Devant pareille situation, l’état, au lieu de tenter de rasséréner sempiternellement les citoyens sur la disponibilité des produits et les prévisions d’importations à coups de milliards de dollars, doit mener une campagne de communication et de sensibilisation sur la rationalité et l’économie dans la consommation. Car, les besoins en denrées alimentaires sont le fait du comportement du consommateur certes, mais ils sont créés aussi par le programme publicitaire sur les produits, introduit dans les mass media par les différents producteurs.
Face à cette nouvelle donne dans la société, une véritable mobilisation qui inclura tous les intervenants dans la chaîne alimentaire est de mise. À commencer, de prime abord, par une condamnation générale du gaspillage et la sensibilisation ensuite du consommateur quant à une alimentation rationnelle, saine et modérée… Un geste patriotique que chaque citoyen doit accomplir… Car, il y va de l’avenir de la sécurité alimentaire qui est synonyme de souveraineté nationale…
B K