Les intérêts des Kurdes d’Afrine (YPG) ne sont pas forcément les mêmes que ceux des Kurdes de Raqqa (FDS), à l’heure d’une offensive turque fortement engagée, mobilisant des troupes héliportées et des engins blindés.
L’agence syrienne Sana a annoncé hier que des forces pro gouvernementales vont entrer dans la région d’Afrine «dans les prochaines heures» pour affirmer la souveraineté de la Syrie dans cette région au moment où se poursuit l’offensive turque dans cette enclave du nord-ouest du pays. Une information qui reste à confirmer car ni l’armée syrienne ni les éléments kurdes des YPG qui font face à l’avancée des troupes turques n’en ont eu écho pour le moment. «Les forces populaires vont arriver à Afrine dans les prochaines heures pour soutenir ses habitants contre l’attaque du régime turc», a donc annoncé l’agence officielle syrienne Sana, se référant à son correspondant à Alep. Evidemment, aucun détail n’a été communiqué sur la nature de ces forces pro gouvernementales, pas plus qu’il n’a été question d’un mouvement quelconque de l’armée régulière syrienne.
Mais si cela venait à être confirmé, on peut dire qu’il s’agit d’un nouveau tournant dans le conflit puisqu’il va mettre face à face la Turquie, partie prenante du processus de négociations enclenché à Astana, au Kazakhstan, et poursuivi à Sotchi, en Russie, en «partenariat» avec la Russie et l’Iran, alliés du régime syrien, et la Syrie elle-même.
Ce serait un scénario pour le moins inattendu, mais dont il faut considérer qu’il peut être vraisemblablement la conséquence du tout récent rapprochement entre Ankara et Washington, au lendemain de la visite en Turquie du secrétaire d’Etat Rex Tillerson. Les deux pays membres de l’Otan ont indiqué qu’ils avaient dissipé le «malentendu» qui les a divisés pendant plus d’un an sur la question kurde et qu’ils vont désormais travailler de concert en Syrie. Il ne fallait pas plus pour semer le trouble aussi bien à Damas qu’à Téhéran et Moscou, les dirigeants russes ayant pour ainsi dire donné un blanc seing à Ankara pour lancer son offensive sur Afrine, baptisée «Bouclier de l’Euphrate», parce que les YPG avaient refusé de s’engager sur un retour du contrôle de la région au profit du gouvernement légitime syrien.
On le voit, les données sont à la fois complexes et mouvantes dans une zone frontalière située dans le nord-ouest de la province d’Alep.
Le caractère éminemment stratégique de cette région d’Afrine «tenue» par les Unités de protection du peuple (YPG), milice kurde syrienne considérée comme «terroriste» par Ankara, mais soutenue par les Etats-Unis, officiellement dans le cadre de la lutte contre le groupe Etat islamique (EI), apparaît comme une sorte de répétition générale avant le véritable bras de fer qui va se jouer, d’ici la fin de l’année, à Idlib et surtout Deir Ezzor. Pour l’instant, on n’en est pas encore là et l’armée turque, appuyée par les rebelles de «l’armée syrienne libre», poursuit sa progression non sans difficultés puisque l’offensive remonte à un mois maintenant et que Ankara ne cache pas son intention d’aller jusqu’à Manbij dans le but d’éradiquer complètement la «menace» kurde dans toute la région frontalière. Une opération qualifiée d’ «agression» par Damas qui s’est néanmoins gardé de parler d’une éventuelle riposte, sans doute à la demande de l’allié russe. Depuis 2012, au moment où la région d’Afrine subissait l’attaque des forces terroristes de Daesh, le régime syrien en avait peu à peu perdu le contrôle au profit des organisations kurdes qui ont bénéficié de l’installation d’une administration autonome. Situation qui est en train de changer dés lors que des négociations sont en cours pour que Damas redéploie ses forces armées dans l’ensemble de la région, chose que ni Ankara ni Washington ne voient d’un bon oeil et qui semble oirriter également d’autres factions kurdes comme les Forces démocratiques syriennes (FDS) basées à Raqqa, où elles bénéficient d’un soutien massif des Etats-Unis et de la coalition internationale.
Le chef de la diplomatie turque a, en effet, mis en garde hier contre toute intervention de forces pro gouvernementales syriennes aux côtés des milices kurdes à Afrine, affirmant qu’elle n’empêcherait pas l’offensive turque. Lors d’une conférence de presse à Amman, il a ainsi affirmé que «si le régime entre pour protéger les YPG, personne ne pourra arrêter la Turquie ou les soldats turcs. Cela est valable pour Afrine, pour Minbej, et pour l’est de l’Euphrate. Mais si le régime entre pour nettoyer (la région) du PKK/YPG, il n’y a pas de problème». Il n’en demeure pas moins que les intérêts des Kurdes d’Afrine ne sont pas forcément les mêmes que ceux des Kurdes de Raqqa, à l’heure d’une offensive turque mobilisant des troupes héliportées et des engins blindés qui marchent en appui aux combattants turcs et syriens rebelles. Les responsables kurdes d’Afrine ont fait savoir à plusieurs reprises qu’ils n’ont «aucun problème» vis-à-vis d’une intervention de l’armée syrienne dans la région pour barrer la route à l’ «invasion et à l’occupation turques» et des sources autorisées ont confirmé l’existence de «discussions au plan militaire» pour donner corps à cette attente. Et c’est ce qui rend parfaitement crédible l’annonce faite hier par l’agence Sana.
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