Au fur et à mesure que nous avancions dans la région, le projet de transfert d’eau potable d’In Salah vers Tamanrasset se faisait grandement remarquer, s’imposant ainsi à une nature à la face rocailleuse et à un climat peu clément.
«Il faut garder en tête, pour prendre la mesure du défi que constitue ce grand projet, qu’il est en train d’être mené à bien dans le plus grand désert de la planète, sur près de 750 km, avec un dénivellement de plus de 1.000 m et donc à des altitudes différentes à l’arrivée et au départ», affirmait samedi dernier le ministre des Ressources en eau aux journalistes qui l’avaient accompagné dans sa visite de travail sur site.
Abdelmalek Sellal, c’est vrai qu’il a toujours le mot pour rire, mais là il ne plaisantait pas. Il s’était déplacé samedi à Tamanrasset pour inspecter les différents chantiers ouverts sur de longs kilomètres pour la réalisation du plus grand transfert d’eau en Algérie.
Il s’agit ainsi du projet d’alimentation en eau potable «de façon continue et durable» de Tamanrasset à partir d’In Salah, deux villes distantes de 700 km «même si elles appartiennent à une même wilaya ». Il est un peu plus de 9h du matin. Le ciel à Tam est bas, très bas, chargé de sable à en étouffer.
Déjà, l’équipe de Sellal anticipe. «C’est un vent de sable, on risque de ne pas décoller », disaient ses cadres en prévision du retour sur Alger prévu dans la nuit du samedi à dimanche.
Premier point visité par le ministre, un chantier aux alentours de Tamanrasset à 1.442 m d’altitude «selon le nivellement général de l’Algérie», dit le chef de l’équipe chinoise qui était à pied d’oeuvre pour la réalisation de forages de 600 m de profondeur pour deux réservoirs de 50 000 m3 chacun, pour les besoins d’alimentation en eau potable à partir de 2010 pour passer à 100 000 m3 en 2040.
Les travaux sont durs à effectuer. «C’est une montagne, c’est de la roche», fait remarquer ce chef. «Pourquoi vous n’avez pas utilisé l’explosif ?», demande le ministre. «Ils vont ébranler la ville…», rétorque Dahou Ould Kablia, le ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur et des collectivités locales qui faisait partie des visiteurs.
«Ils s’en sortent très bien sans», affirment le directeur du projet, Lies Hidouci. «Il faut faire une bonne qualité de travail comme à Constantine», recommande Sellal au chef d’équipe chinois en l’interrogeant quand même : «vous avez aimé El-Khroub ?
Vous avez mangé des brochettes là-bas ? Des brochettes de chat ?». Premiers éclats de rires provoqués par les propos d’un ministre connu pour dégeler les atmosphères les plus tendues même si, en ce samedi, il semblait un peu fatigué. «Vous avancez bien, continuez !», leur dit-il.
Mais il demande encore «quand est-ce que vous terminez le château d’eau ?». La réponse de son interlocuteur chinois fut spontanée «mars 2010 » qui, au passage, fait savoir au ministre que «nous n’avons pas été payés». Mais, lui dit le ministre, «on va le faire».
L’aspect rocailleux et accidenté du terrain nécessite, selon Hidouci, «un volume de béton très consistant pour rattraper le niveau». On va à Arak, l’autre chantier dans une commune située entre Tam et In Salah. Pour y aller, on transite par l’aéroport de la wilaya.
A quelques mètres à vol d’oiseau, se dresse la stèle érigée à la mémoire des victimes du crash de 2003. Tragique accident, mauvais souvenir. Plus loin, une plaque de signalisation «In Salah 653 km».
C’est dire que la pose de tubes sur une importante distance pour les raccordements d’eau n’a rien d’une mince affaire. Nous traversons un paysage lunaire. Tam est connu pour ses rocs qui sortent de ses entrailles pour se dresser majestueusement face au ciel et à l’homme.
Fait rassurant, la route nationale menant à Arak est goudronnée sur une distance d’à peu près 70 km. L’on nous dit que les équipes de Amar Ghoul, le ministre des Travaux publics, sont passées par là.
Elles ont dû elles aussi remarquer qu’elles ont énormément à faire à ce niveau pour apaiser ces moteurs de véhicules qui continuent d’affronter des pistes poussiéreuses et cahotantes.
Nous longeons Oued Outoul, un cours d’eau qui se mélange dangereusement aux eaux usées entraînant sur son passage, sachets en plastique et ordures.
Il faut croire que ces eaux pourries ont augmenté de volume parce que la veille, il avait beaucoup plu. Les enfants barbotaient dedans sans qu’aucun adulte ni autorité locale ne soient dérangés par un spectacle aussi désolant.
Il est 10h et le ciel est lourd pesant ainsi de tout son poids sur la terre. Le sable titille horriblement les narines allergiques.
Posées dans des sortes de tranchées aux surfaces rocailleuses, les conduites d’eau devront l’être sur une distance de 1.258 km parce que, dit Sellal, «sur la majeure partie du tracé, la conduite est installée en double pour éviter les ruptures d’alimentation en cas d’incident important ». Nous arrivons sur le chantier où s’opère la jonction des conduites au niveau des stations de pompage.
«Les réservoirs sont prêts ?», demande le ministre. «15 le sont déjà», répond le directeur du projet. Les réservoirs dont il est question ont, dit Hidouci, «le moteur fabriqué en Finlande, la pompe montée au Brésil et le réducteur en Allemagne.
Ils sont de très bonne qualité, ils sont utilisés par Sonatrach». Il continue : «les stations de pompage sont équipées chacune de 31 logements». Sellal lâche «il y a une mosquée ?». «Non, il y a une Mossala (salle de prière)», lui répond-il. «Où est-ce qu’on en est ?», demande le ministre aux Chinois. «Nous sommes en train de faire le coulage de béton pour les réservoirs», lui répond leur chef. «Vous avez pris du retard…», lui fait remarquer Sellal en continuant «vous avez bien repris maintenant, il faut absolument qu’on tienne les délais !».
Il recommande que «les travaux soient faits jour et nuit». Le chef chinois acquiesce en notant qu’il le faut bien pour une question de climat. «Ce n’est pas une question de climat, mais il faut qu’on ait l’eau à Tamanrasset l’été prochain», lui rétorque le ministre en soulignant «il vous reste 16 ou 18 mois, tous les autres chantiers avancent très bien, le seul point critique c’est vous».
Le directeur du projet estime que «ça marche très bien». Et «si ça ne marche pas, on va le pendre», dira le ministre en faisant rire tout le monde aux éclats. Il demandera aussi à propos du génie civil. «Le problème, c’est l’achat des équipements…» Sellal l’interrompt «nous vous avons déjà préparé les plans d’accélération du projet de réalisation de 6 ou 7 stations».
Mais, reprend le Chinois «on doit ramener du personnel et des équipements». Le ministre lui répond «il n’y a pas de problèmes, ramenez toute la Chine ici. Faites-nous la liste au plus tard après-demain, en 10 jours, je vous règle le problème. Comme ça, vous n’aurez aucun prétexte.
Il faut absolument qu’on soit dans les délais». Le projet mobilise près de 5.000 personnes, l’Algérienne des Eaux, pour sa part, maintient 200 employés en permanence pour en assurer le suivi technique, administratif et financier.
«Et pour la télégestion, le système a été commandé». Le Chinois dit «c’est ce qu’on est en train de faire » mais pose un problème de factures en avançant un paiement de 100 millions de DA qu’il a effectué auprès d’un fabricant de moteurs. «Vous ne voulez que de l’argent !», lui reproche Sellal avec le sourire.
Le ministre souligne cependant qu’«il y a un problème, ça a dépassé les prévisions». Estimées à 150 milliards de dinars au début du lancement des travaux le 7 janvier 2008, les dépenses globales pour la réalisation du projet atteindront, selon les dernières estimations, 197 milliards DA.
«C’est un peu le résultat des avis d’appels d’offres mais c’est aussi parce qu’il y a des travaux en plus à cause des difficultés du relief», explique Sellal. Avant de quitter les lieux, il lancera «je compte sur vous, après Ramadan, je serais ici, je répète encore malgré tout vous avez pris du retard !».
Le ministre se tourne vers le P-DG de Cosider pour le titiller «vous avez bougé parce que vous avez été jaloux (Ghertou) !» Lakhdar Rakhroukh lui dit «notre qualité est meilleure, c’est le nif». C’est à Tit que Cosider a un lot sur un chantier de 6 autres de sociétés étrangères.
«Je suis musulman», dit un Chinois au ministre au détour d’une discussion sur le déroulement des travaux. «Alors récites El-Hamdoulalahi», lui demande Sellal. Le Chinois s’exécute. Le cortège se dirige vers In Amguel, situé à 160 km de Tam.
Le ciel est de plus en plus bas, et «on risque un vent de sable», dit encore une fois un cadre du ministère des Ressources en eau. «Non, dit le chauffeur, le sable ne descendra pas, il n’y a pas de vent». A mi-chemin, les voitures s’arrêtent.
Il fait très chaud. Le ministre se dirige vers une équipe qui procède à la pose de conduites d’eau. «El-Hfir, où on en est ?», interroge-il. «Nous sommes à 72 % des travaux», lui répond le directeur du projet. «Est-ce que ça ne pose pas de problème pour les explosifs ?» interroge Sellal encore. «Non, il y avait un problème d’approvisionnement mais aujourd’hui ça va», affirme Hidouci.
Un technicien explique au ministre qu’il fait tellement chaud que «souvent, pour la jonction entre les conduites, il faut attendre le soir pour souder parce qu’il y a un problème de dilatation». Le P-DG de Cosider intervient «le problème c’est quand ça refroidit, ça rétrécit».
Pourquoi «c’est du plastique ?», lui demande Sellal en le gratifiant par un «c’est toi qui refroidit». Il faut reconnaître que les deux responsables gardent le sourire et lâchent le mot pour rire même si le temps est alourdi par des nuages «ensablés».
A In Amguel, le ministre interroge le responsable d’un bureau d’études français qui supervise l’enfouissement des conduites d’eau. «Ils doivent enterrer là où il y a le passage, on ne doit rien voir du tout, j’insiste surtout sur la qualité du travail », lui dit-il.
Il est 12h. Le soleil s’est libéré d’un coup du poids des nuages. Il tape fort. Dahou Ould Kablia notera que «lors du Congrès international sur l’eau à Istanbul, l’Algérie a été citée en exemple pour avoir lancé ce projet de transfert grandiose et celui de la Magtaâ, la station de dessalement, à l’ouest du pays (MAO : Mostaganem – Arzew – Oran)».
On s’arrête à In Eker, sur notre retour vers Tam. In Eker fait partie des sites où la France coloniale a procédé à des essais nucléaires.
Comme à Reggane. «Il y a eu 13 essais nucléaires souterrains dans cette région entre 1962 et 1966 dont deux, il y a eu des fuites et des sorties de radioactivité», rappelle Dahou Ould Kablia.
La montagne faisant face ainsi que le périmètre qui l’entoure, sont séparés par une clôture du reste des territoires. Hidouci rassure «c’est suivi par le Commissariat aux énergies atomiques, des contrôles et analyses du sol sont régulièrement menés.
Avant de projeter les canalisations, on a eu les études nécessaires ». Sellal affirme à l’adresse du responsable français «s’il y a nécessité de faire de la protection, on le fait. J’ai tenu à m’arrêter ici pour vous dire de faire très attention ».
Il est un peu plus de 13h. Le cortège s’arrête chez un notable de la région. C’est la pose déjeuner. Tapis à même le sol pour que tout le monde s’asseye autour d’une table basse. Le service est rapide.
On ramène la salade suivie d’un plateau de frites et de viande. Le plat de couscous s’impose avec une sauce d’oignons, navets et tomates à l’arrière-goût d’épices bien locales.
Au menu aussi un plat de douara (gras double). Cantalou, pastèque, raisin comme dessert. Le goût du terroir, nous en aurons droit aussi le soir puisque nous avions été invités à un succulent plat de «Maïnama», de la viande cuite sur la braise et parfumée par des épices assez fortes.
Nous avions terminer notre dîner dans ce restaurant assez typique de la ville à la lumière d’une bougie. L’électricité a été coupée pendant un long moment. «C’est le délestage», disent des gens du nord. «Il existe ici aussi», répondent des gens du sud.
Quand nous étions sur le chemin du retour sur Tam à la fin de la visite du travail du ministre, le chauffeur nous raconte comment des agressions ont lieu dans ces régions vastes et lointaines.
D’après lui, le nombre d’agressions augmente de plus en plus, les vols de voitures, les tout-terrain de préférence quitte à en tuer les chauffeurs. On parle de gros problème d’insécurité par l’apparition de phénomènes dangereux.
El-Boukha est cet alcool vin qu’on dit très répandu dans la région, et qui est consommé sans modération par de plus en plus de jeunes. Mais on n’en est pas resté là. «La cocaïne a, hélas, fait son apparition en grandes quantités», s’inquiètent nos accompagnateurs.