Même si l’Algérie continue de faire de nouvelles découvertes en hydrocarbures, le pétrole et le gaz ne suffisent plus pour réaliser une croissance économique, a reconnu jeudi à Alger le Premier ministre, Abdelmalek Sellal. Il a estimé qu’«il est temps d’amorcer la transition graduelle d’une économie de rente à une économie productive de richesse».
Dans son intervention, lors de la 15e tripartite qui a regroupé autour d’une même table le Premier ministre et plusieurs membres de son gouvernement
des présidents d’organisations patronales à caractère syndical et professionnel, des responsables de l’Union générale des travailleurs algériens, des directeurs de banque et d’organismes publics du secteur économique, des chefs de grandes entreprises publiques, des experts, M. Sellal a relevé «l’urgence à donner une impulsion considérable à notre économie pour qu’elle puisse préserver sa prospérité et sa croissance à moyen et long terme et diminuer sa vulnérabilité à travers la diversification de sa production».
Le Premier ministre a indiqué qu’il était «illusoire» pour un pays comme l’Algérie de fonder sa compétitivité sur le coût bas de la main-d’œuvre ou de l’énergie à travers l’exportation «masquée» des hydrocarbures dans des produits à faible teneur technologique et à faible valeur ajoutée.
L’Algérie, qui est encore en phase de transition, devra impulser un nouveau modèle de développement économique et social. Un modèle loin de l’ultralibéralisme qui est à «l’origine des crises récurrentes qui affectent l’économie mondiale et a conduit beaucoup de pays à la faillite», a-t-il estimé.
L’économie est encore dominée par la dépense publique, s’est-il inquiété, ajoutant que «la création d’une base industrielle de grande ampleur à la mesure des moyens de l’Algérie et de ses besoins devra être au cœur des politiques économiques et seront élaborées et mises en œuvre pour la prochaine décennie».
Il a considéré que «la réindustrialisation sera le moteur d’une croissance forte et saine». M. Sellal reconnaîtra, en revanche, que «c’est une mission difficile, complexe dont seront investis tous les acteurs politiques, sociaux et la totalité des forces vives de la Nation».
Il est question, à présent, ajoutera-t-il, de «rendre irréversible le développement industriel du pays. Un défi immense qu’il nous faut relever». L’objectif est de porter la contribution du secteur industriel au produit intérieur brut (PIB) à 10% dans les prochaines années.
L’enjeu de la diversification
Mais pour atteindre ce résultat, il faudra éviter «la focalisation excessive sur le marché local qui est l’une des raisons des insuffisances de notre expérience d’industrialisation des années 60 et 70».
Le Premier ministre a souligné qu’«une économie autocentrée n’est pas viable dans le contexte actuel». Sans faire de distinction entre entreprise publique et privée, le Premier ministre a tenu à assurer que «l’entreprise privée est l’un des acteurs économiques et son apport à la transition est «souhaitable et indispensable».
«La politique d’investissement que le président de la République veut impulser sera le fait des banques et des entreprises», a-t-il soutenu. Pour le chef de l’exécutif, l’enjeu majeur pour l’Algérie est de «disposer d’une économie nationale diversifiée qui répond à la demande intérieure et de s’insérer dans les échanges internationaux».
Cependant, il a reconnu l’existence d’entraves et obstacles qui découragent et freinent les projets d’investissements. Il promet, à cet égard, d’«intensifier les efforts pour combattre la bureaucratie, les passe-droits, simplifier les procédures, débroussailler le maquis de lois, de règlements, de directives… qui rendent complexe le passage d’un projet à sa phase de réalisation».
Il admettra que «tout acte bureaucratique est une recherche de corruption. Cela ne peut plus durer. La bureaucratie freine l’économie nationale».
Le gouvernement est déterminé à lutter contre la bureaucratie, placée parmi les priorités. Le Premier ministre a relevé, à ce propos, que lors du dernier remaniement, le président de la République a désigné un ministre chargé de la réforme du service public. Le processus pour placer l’entreprise au cœur des efforts du gouvernement est enclenché, a-t-il insisté.
Ainsi, le secteur privé a bénéficié de 52% de crédits octroyés à l’économie en 2012. Il a affirmé que le gouvernement est prêt à «multiplier par deux le taux des crédits à l’économie accordés aux entreprises privées».
La sécurisation des cadres
Quant au secteur public qui a réalisé des investissements lourds au cours des dernières années, il a enregistré une croissance de 10,8% de sa valeur ajoutée au cours des huit premiers mois de 2013.
L’Etat veut aider les entreprises publiques en veillant à élargir leur marge de manœuvre et leur autonomie avec la sécurisation des cadres.
«Nous veillerons fortement à la sécurisation des cadres, mais j’attends d’eux, dans un acte de confiance mutuelle, une plus grande implication et mobilisation» pour contribuer à la relance du secteur industriel national, a-t-il lancé.
Le Premier ministre a appelé les entreprises publiques à «envisager des partenariats avec les entreprises leaders dans leur domaine», assurant la disponibilité de l’Etat à les aider à concrétiser cet objectif.
«Des bases solides pour des industries de grandes dimensions sont là, qu’il s’agisse de routes et autoroutes, chemins de fer, ponts et aéroports, électricité, ressources naturelles, ressources humaines», a-t-il affirmé, relevant que l’Algérie «dispose d’un potentiel d’investissement parmi les plus importants du pourtour euro-méditerranéen».
La solidité des indicateurs économiques est surtout soutenue par la confortable situation financière de l’Algérie, actuellement créditeur net du marché financier international avec pratiquement une dette publique nulle, une croissance du PIB hors hydrocarbures de 7,1%, en parallèle à une évolution globale de 3,3% en 2012 et d’une épargne publique considérable de 40 à 50% du PIB (Produit intérieur brut).
Des souplesses pour le Credoc et la règle 49/51
Même si le gouvernement s’apprête à annoncer de nouvelles mesures pour réaliser un saut qualitatif et technologique considérable dans le domaine industriel, certaines mesures contestées par le patronat ne seront pas révisées. Il s’agira du maintien du crédit documentaire et de la règle 49/51 relative à l’investissement étranger.
M. Sellal a, en effet, exclu toute remise en cause du crédit documentaire (Credoc), assurant, toutefois, un allégement de ce mode de paiement des importations. «On ne remettra jamais on cause le Credoc, mais on l’allégera» en y apportant «plus de souplesse et on veillera à mieux contrôler nos importations», a-t-il affirmé.
Pour le Premier ministre, «il n’est pas question d’importer n’importe quoi en Algérie ou que certains (opérateurs) trichent dans leurs opérations d’importation de biens».
Le Credoc n’a pas empêché certaines entreprises de «tricher», a-t-il confié, révélant que du sable a été trouvé dans des conteneurs à la place de marchandises qui devaient être importées.
Le Credoc sera maintenu pour un meilleur contrôle des importations de l’Algérie, en plus de nouveaux mécanismes qui seront décidés à l’avenir.
«Nous n’interdirons rien aux Algériens, mais nous contrôlerons sévèrement nos importations», a-t-il insisté sur ce point. Evoquant la règle 51/49% relative aux investissements étrangers, M. Sellal a indiqué que cette règle «a protégé l’économie nationale et continuera à le faire».
Il a cité, à cet effet, la reprise par l’Etat de 51% du capital du complexe sidérurgique d’El Hadjar «sans payer un dinar». «Le complexe d’El Hadjar risquait de disparaître définitivement si on n’avait pas agi ainsi», a-t-il relevé, notant que certaines unités de ce fleuron de l’industrie sidérurgique algérienne sont à l’arrêt, à l’image du haut fourneau, qui ne pourrait pas reprendre du service avant mi-novembre en raison de l’absence d’investissements pour son entretien.
L’UGTA réclame l’autonomie pour l’entreprise
Pour sa part, le secrétaire général de la l’UGTA, Abdelmadjid Sidi Saïd, a affirmé la détermination de son organisation à «contribuer activement à la réhabilitation et au développement industriel national ainsi qu’à la promotion et à la mise en valeur de la production nationale, facteur déterminant des avancées économiques et sociales dans la stabilité».
Il a plaidé, par ailleurs, pour l’enrichissement du pacte économique et social en vigueur par un «pacte national de croissance économique et sociale» dans le but de répondre à «l’ambition nationale» de l’édification d’un développement «pérenne et durable» dans tous les domaines.
M. Sidi Saïd a réitéré l’engagement de la centrale syndicale à soutenir le gouvernement pour contribuer à la réhabilitation industrielle.
Il a demandé, par ailleurs, que la prochaine tripartite sociale, prévue avant de la fin de l’année, soit consacrée aux questions sociales relatives au monde du travail, notamment l’article 87 bis du Salaire national minimum garanti (SNMG).
L’UGTA, qui a proposé une batterie de mesures permettant la promotion et la protection de la production nationale, considère que le défi des prochaines années est de «développer une économie garante de la cohésion sociale».
M. Sidi Saïd a relevé que c’est «l’entreprise qui crée la richesse et qui permet une amélioration du niveau de vie ainsi que le pouvoir d’achat».
Partant de cette certitude, a-t-il ajouté, «il faut donner ou redonner à l’entreprise son initiative, son indépendance et son autorité dans son rôle d’acteur économique».
Le patronat réitère son appel pour lever les entraves
De leur côté, les présidents des organisations patronales étaient unanimes à appeler pour la levée des contraintes qui freinent le développement des entreprises.
Le président de la Confédération générale des entrepreneurs algériens (CGEA), Habib Yousfi, qui est intervenu au nom des organisations conviées à la tripartite, a réaffirmé la nécessité «de redonner à l’entreprise la place qui est la sienne dans la création des richesses en la libérant de toutes les entraves auxquelles elle fait face».
Il a estimé qu’il est «temps de résoudre sérieusement les problèmes de l’entreprise algérienne», car «le recours massif» à l’importation de biens et services pour la réalisation d’infrastructures de logements et autres équipements n’a pas profité à la création d’entreprises de réalisation pérennes.
Selon lui, la promotion de la production nationale et la relance du tissu industriel sont de nature à permettre le développement des exportations hors hydrocarbures au-delà de la satisfaction du marché local.
La relance ne peut être réalisée sans la formation de la ressource humaine ainsi que par l’implication de la diaspora algérienne dans le développement de l’économie, a-t-il souligné.
A l’issu des travaux qui ont duré plus de six heures, M. Sellal a tenu à saluer le «dialogue franc» ayant caractérisé la réunion de la tripartite et a plaidé pour l’instauration de la confiance entre le gouvernement et les entreprises.
Il a assuré que l’Etat continuera de prendre en charge le volet social dans le cadre du développement économique du pays.
Le Premier ministre a préconisé une politique axée sur l’encouragement de l’émergence «de champions économiques», notamment dans certaines filières et qui constitueront les fers de lance des exportations algériennes pour pénétrer le marché international.
Karima Sebai