Secteur de l’automobile en Algérie : vraie relance ou vaine chimère ? (analyse)

Secteur de l’automobile en Algérie : vraie relance ou vaine chimère ? (analyse)

En Algérie, l’année 2023 s’annonce comme étant celle de l’automobile. Après plus de 5 ans de stagnation tous azimuts (industrie, importations, concessionnaires), le gouvernement a décidé de mettre les bouchées doubles pour relancer un des secteurs les plus vitaux de l’économie. Une nécessité d’autant plus urgente que le parc automobile national est très vieillissant.

Ainsi, au niveau de l’industrie, l’État algérien a signé un partenariat avec le groupe multinational Stellantis pour la construction d’une usine Fiat. L’unité, implantée à Oran, rentrera en production au cours de ce mois de mars, et les premières voitures devraient être mises sur le marché au mois de décembre 2023.

Concernant l’importation de véhicules neufs et d’occasions, les pouvoirs publics ont décidé, d’une part, de réautoriser les particuliers à importer des voitures de moins de 3 ans ; d’autre part, d’accorder les premières licences d’importations de véhicules neufs aux concessionnaires. Il s’agit des marques : Fiat, Opel et Jac.

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Cependant, ces mesures sont-elles suffisantes pour garantir un marché national de l’automobile sain ? Un marché qui, dans le même temps, offre la possibilité au citoyen algérien d’acquérir un véhicule à un prix raisonnable et qui prémunit l’économie contre la dilapidation de la devise. En un mot, saura-t-on éviter les erreurs du passé ?

Pour essayer d’apporter des éléments de réponses concrets à ces questions, nous nous sommes penchés sur une contribution que l’éminent économiste, Abderrahmane Mebtoul, a publiée sur les colonnes de nos confrères du journal El Watan. En voici la substance :

L’état du parc automobile en Algérie en 2023

L'économiste algérien Abderrahmane Mebtoul

L’économiste Abderrahmane Mebtoul analyse les perspectives du secteur automobile en Algérie.

En premier lieu, l’économiste fait un état des lieux du parc automobile national. Son constat, chiffres à la clé, est sans appel : « Le parc de voitures en Algérie, souligne-t-il, connaît un vieillissement accéléré ». Il donnera, ensuite, sa structure selon la tranche d’âge des véhicules :

  • Véhicules de moins de 5 ans : 19,32 %
  • Véhicules âgés de 5 à 9 ans : 22,08 %
  • Véhicules âgés de 10 à 14 ans : 17,22 %
  • Véhicules âgés de 15 à 19 ans : 22,08 %
  • Véhicules âgés de 20 ans et plus : 19,31 %

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Ainsi, il ressort de ces données que 80 % des voitures en circulation en Algérie sont vieilles de plus de 5 ans ; et près de deux tiers d’entre elles (58 %) ont plus de 10 ans d’âge. En outre, seul 1/5 des véhicules ont moins de 5 ans, et 1/5 ont plus de 20 ans. Il s’agit là d’un effet palpable de la stagnation du marché lors des cinq dernières années.

Les voitures de moins de 3 ans seront-elles à la portée des moyennes et petites bourses ?

Avec la réautorisation des particuliers à importer des voitures de moins de 3 ans, beaucoup d’Algériens espèrent enfin pouvoir rentrer en possession d’un bon véhicule d’occasion à un coût moindre.

Voitures d'occasion en France

Beaucoup d’Algériens risquent de déchanter lorsqu’ils découvriront les prix des voitures de moins de 3 ans en Europe.

Or, en Europe, précise A. Mebtoul, « le prix d’une voiture d’occasion moyenne qui répond aux normes varie entre 15.000 € et 20.000 € » ; soit, au cours officiel de ce vendredi 10 mars 2023 (1 € = 144,23 DA), entre 2.160.000 DA et 2.880.000 DA hors taxes. Si l’on compte le frais de transport et les taxes de dédouanement, le coût d’acquisition du véhicule va osciller entre 2.600.000 DA et 3.500.000 DA.

Les choses deviennent plus compliquées si l’on prend en compte le cours du marché parallèle. Un marché où, justement, le prix de l’euro ne cesse de flamber depuis l’annonce de la reprise des importations de véhicules. Aujourd’hui (10/1/2023), l’unité de la monnaie européenne s’échange contre 225 DA. À ce taux, le coût final d’achat (transport et taxes à la douane y compris) va grimper pour atteindre une fourchette de 4.000.000 à 5.000.000 DA.

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« Ces calculs, ajoute l’économiste, ne tiennent pas compte des taux d’intérêt au cas où le citoyen contracterait un prêt bancaire. Or (…), plus de 80 % de la population algérienne perçoit moins de 80.000 DA nets par mois ». La solution intermédiaire consisterait à ce que les bureaux de change annoncés par le gouvernement vendent des devises à un prix qui se situe entre le cours officiel et celui du marché noir, soit environ, 180 DA pour 1 €.

Industrie automobile en Algérie : comment éviter les erreurs du passé ?

L'usine Renault en Algérie.

La question est de savoir comment faire en sorte que la construction automobile ne serve pas à couvrir des transferts indirects de devises.

En ce qui concerne le volet de l’industrie automobile, Abderrahmane Mebtoul propose, « afin d’éviter les erreurs du passé qui ont conduit au gaspillage des ressources financières » de répondre d’abord à six questions :

  • Premièrement, avec la progression de l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat des couches moyennes, qui restera-t-il pour acheter des voitures dont le prix ne cesse d’augmenter ?
  • Deuxièmement, comment éviter les risques de surfacturation et de transferts indirects de devises sachant que  la majorité des inputs sont importés ? Le marché local a-t-il une capacité d’absorption suffisante ? Les constructeurs seront-ils capables d’exporter pour couvrir les sorties de devises ?
  • Troisièmement, quel est le seuil de rentabilité pour avoir un coût compétitif à l’international, sachant que la carcasse du véhicule représente moins de 20 %/30 % de son coût total ? De plus, les projets automobiles actuellement se construisent, non pas à une échelle locale, mais régionale et mondiale, avec un taux d’intégration allant de 30 à 50 %.
  • Quatrièmement, la configuration de la sous-traitance en Algérie permet-elle de réaliser le taux d’intégration prévu (40 %-50 % dans 3 ans), sachant que le secteur industriel algérien se compose de 95 % de micro-unités familiales ou SARL peu innovantes ?
  • Cinquièmement, ne faut-il pas commencer par sélectionner 2 ou 3 constructeurs au maximum à qui on fixera un seuil de production afin d’éviter que certains opérateurs soient tentés d’accroître la facture d’importation en devises des composants ?
  • Sixièmement, avec quelle énergie les voitures fonctionneront-elles : essence, diesel, GPL, hybride, solaire ? Cette question renvoie « à la politique des subventions généralisées dans les carburants qui faussent l’allocation optimale des ressources », estime l’économiste.

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« Pour l’Algérie, conclut A. Mebtoul, il s’agit de ne pas renouveler les erreurs du passé, où des usines de montage de faibles capacités et sans véritable intégration servaient de boîtes de transferts illicites de devises. »