Trop faible pour imposer au pouvoir quoi que ce soit, a-t-elle au moins la capacité de se refaire dans la perspective de la nouvelle phase qu’entame notre pays avec l’adoption des amendements de la Constitution?
Dans tout pays, le pouvoir est toujours à l’image de l’opposition qui s’agite sur la scène politique. Plus l’opposition est forte, plus le pouvoir doit déployer d’efforts pour assurer son maintien et plus elle est faible, moins il s’attelle à se parfaire. Inversement, on peut dire sans craindre de se tromper qu’un pouvoir qui essaie d’occuper la scène avec le travail est la preuve incontestable de l’existence de voix fortes en face alors qu’un pouvoir qui gère n’importe comment, au gré de l’improvisation et du replâtrage témoigne de l’existence d’une opposition dispersée en plus d’être faible, voire incapable et insignifiante.
Chez nous, et même si cela ne plaît pas quelque part, cela fait longtemps que l’improvisation sert de stratégie et que le replâtrage sert de modèle de gestion du pays. Comme quoi, cela fait très longtemps que nous n’avons pas d’opposition, même si cela aussi doit chatouiller l’ego de certains qui s’autoproclament d’une certaine opposition ou, pis encore, qui se croient leader d’une opposition qui, pourtant, n’existe pas ou alors très peu.
Ecartons le RND et le FLN
Le RND est un parti qui a toujours été proche du pouvoir. Il le dit, le réclame haut et fort et l’assume. Ce n’est pas un parti d’opposition. IL n’a ni le comportement ni les réflexes ni même le discours d’un parti d’opposition. Il lui est arrivé d’être membre de l’alliance présidentielle, de ne pas être majoritaire au sein de l’alliance présidentielle mais jamais d’être dans l’opposition bien qu’il y eut, un bref moment, l’introduction de quelques vocales d’opposants dans le discours de ses responsables. Sinon, le reste du temps, tout le reste du temps, au RND on ne leurre personne et on ne cherche à leurrer personne avec une démagogie mal tissée ou avec un discours ambigu ou, encore moins, avec des actes qui prêtent à confusion.
Au FLN, ce n’est déjà plus la même mentalité. L’ex-parti unique est passé par un arc-en-ciel de positions. Depuis l’hégémonie totale de 1962 à 1988, au retrait presque total durant des années avant de revenir progressivement au-devant de la scène politique nationale, le FLN est passé du statut de maître incontesté de cette scène à un simple parti d’opposition lorsque les élections avaient donné l’avantage à l’ex-FIS dissous. Mais ce repli, bien que réel, n’était que temporaire car, avec la venue de Bouteflika, les choses allaient changer totalement.
Redevenu parti du pouvoir comme il a été jusqu’en 1988, le plus vieux parti n’a en réalité jamais fait l’opposition au sens propre du terme. Il s’est contenté, le temps de refermer la parenthèse, de prendre place sur le strapontin qu’on réserve chez nous à ceux qui sont hors pouvoir. Or, être hors pouvoir ne signifie pas nécessairement faire de l’opposition. Le RND et le FLN ainsi écartés, que reste-t-il? Commençons par les partis d’abord.
Le MSP, le FFS, le RCD et le PT
En premier lieu, il y a le MSP de feu Nahnah qui n’a jamais réellement été un parti d’opposition, mais juste un parti de composition. Un parti qui compose avec le terrain, selon l’intérêt du moment et l’adversaire du moment. Il avait composé avec le pouvoir lorsqu’il était à l’alliance présidentielle, puis avec les islamistes lorsqu’il a cru en le printemps arabe puis avec ce qu’on appelle opposition lorsqu’il a cru y décrocher quelques sièges pour l’avenir tout en gardant un oeil sur le palais. Son rapprochement du pouvoir n’est pas à démontrer car lorsqu’on a goûté aux délices du pouvoir, on ne s’en éloigne plus jamais réellement.
Avec Soltani, Makri ou d’autres, le MSP continue sur la voie qui lui a été tracée dès le départ. Etre à la tangente du pouvoir. Pas trop loin ni trop près sauf lorsqu’il le faut pour faire pencher une balance donnée. Et on sait laquelle.
Le FFS a longtemps été un grand parti d’opposition. Sous le commandement de Dda l’Ho, les choses étaient claires et sans ambiguïté. Aujourd’hui, on ne sait plus. Surtout depuis la démarche de rapprochement menée par les responsables de ce parti avec le FLN et autres formations politiques. Nous n’accusons personne de rien, mais nous nous étonnons de cette manoeuvre tout de même. C’est à croire que l’on n’ait pas la même lecture des choses au sein de ce même parti. Le RCD avait commencé avec beaucoup de virulence son action politique. Il était même le parti le plus virulent sur la scène nationale. C’est ce qui a dû finir certainement par essouffler les hommes. Quelques erreurs commises dès le départ par ses responsables ont empêché ce parti d’aller loin et l’ont poussé à se replier sur soi au lieu de s’ouvrir à tous les Algériens. Ce parti comptait de bons cadres et avait les capacités d’aller loin. Dommage qu’il ait gaspillé ses ressources dans la confection de discours trop démagogiques et dans la mise en place de limites souvent inutiles.
De son côté, le PT, et après un début très prometteur, tomba dans le piège du discours prolétaire. Un discours qui, parce que ne voulant pas s’ouvrir sur la réalité du monde, a fini par voir les ennemis partout dans tout et en tout. Un discours qui témoigne d’une perception désuète du monde ou, plutôt, qui veut regarder le monde d’aujourd’hui et de demain avec les lunettes de l’époque révolue du militant prolétaire. D’ailleurs, ce ne sont pas tant les opinions politiques du parti que le discours trop usé de sa secrétaire générale qui lui attirèrent les ennuis que l’on sait de la part de certains parvenus de la politique qui eurent des comportements que nous avons condamnés et que nous condamnons avec force parce qu’ils portent atteinte à la liberté d’opinion et à la liberté d’exercice d’activité politique. Dommage là aussi parce que Hanoune avait débuté avec un grand capital de sympathie, un capital qu’elle a rogné peu à peu avec ses positions difficiles à comprendre ou à soutenir, comme cette histoire de coup d’Etat démocratique (?!) ou du principe de révocabilité alors qu’on est censé défendre la démocratie au PT.
Hamrouche, Ghozali, Benbitour
Les autres partis? Franchement, il n’y a pas d’autres partis dignes de ce nom. Quelques formations politiques qui n’ajoutent rien à la scène nationale par leur présence et ne lui enlèvent rien par leur absence. Certains sont encore trop petits pour être influents, d’autres ont été créés pour certaines circonstances bien précises et, passé ce temps, n’ont même plus de raison d’être ou de justification d’existence comme diraient certains.
Venons-en aux personnalités maintenant. C’est-à-dire aux hommes politiques qui s’opposent ou se disent opposants ou qu’on dit opposants mais qui n’agissent pas à travers un parti politique ou autre structure. Sur ce plan, il y a quelques noms. Le premier que nous citerons est Hamrouche. Homme politique connu et respecté, Mouloud Hamrouche a été très bien apprécié lors de son passage à la tête du gouvernement. Cette appréciation lui est dévolue tant pas les intellectuels algériens que par de nombreux politiques qui lui reconnaissent beaucoup de mérite. Mais Hamrouche est l’enfant type du système. Il raisonne et agit comme il a appris au sein du système. Il peut s’opposer tant qu’il veut, il ne sera jamais un véritable opposant au système ou au pouvoir. Nous ne disons pas que c’est bien ou que c’est mal, mais simplement qu’il n’est pas un réel opposant. Il bénéficie certes d’un grand capital de sympathie et de respect, mais en tant qu’homme du pouvoir. En tant qu’opposant Hamrouche n’existe pas! C’est une position assumée par l’homme lui-même à travers son comportement. De ce fait, il nous semble déplacé de compter Hamrouche dans les rangs de l’opposition, mais plutôt dans ceux du pouvoir. L’autre homme qui émarge sur les bancs de l’opposition, Sid Ahmed Ghozali. Un technocrate qui a longtemps été ministre assez compétent puis Premier ministre, un peu moins compétent quand même, et qui, en fin de vie, s’est mué en opposant au pouvoir.
L’opposition étant une conduite, un positionnement par rapport à ceux qui exercent le pouvoir, on ne peut avoir exercé aussi longtemps au sein d’un pouvoir puis se proclamer opposant à ce même pouvoir et aux mêmes hommes qu’on a servis. C’est contradictoire, cela frôle même l’indécence politique. Que peut-on proposer ou apporter comme contradiction qu’on n’aurait pas pu apporter lorsqu’on a été aux commandes?
La foule n’a pas de mémoire dit-on, oui, mais la foule n’est pas sénile. En tout cas, pas au point d’oublier qui a été quoi et qui a servi qui. C’est pour cette raison qu’il nous semble que Sid Ahmed Ghozali, un homme que nous considérons respectable, ne peut être mis sur le compte de l’opposition en Algérie.
Benbitour, de son côté, est un technocrate qui prêche par sa gentillesse. D’autres parleraient de naïveté. On n’oppose pas au pouvoir politique des technocrates, cela ne marche jamais. Aux hommes politiques, il faut des hommes politiques. Or, Benbitour n’est pas, ou n’a pas le poids politique nécessaire pour s’opposer sérieusement au pouvoir. Nous ne parlons pas de ses compétences dans son domaine de spécialité, nous parlons uniquement de son poids politique, de ce qu’il pèse politiquement face à Bouteflika ou à un Saâdani, voire à un Bensalah?
C’est pour cette raison que nous ne considérons pas que Benbitour puisse sérieusement faire partie de l’opposition. En tout cas pas au haut niveau.
Benflis, le seul opposant au pouvoir en place?
Il nous reste Benflis. Nous l’incluons dans cette catégorie car cela ne fait pas longtemps qu’il a son parti et ensuite, il a commencé son travail d’opposant sans attendre de fonder ce parti. Benflis, deux fois candidat réel (et c’est important de le noter) est l’un des rares à porter ce statut tant revendiqué d’opposant au pouvoir. Il a sans doute servi le pouvoir, mais n’est pas issu de la matrice du pouvoir. Il a certes été porté par le pouvoir, mais il a aussi été rejeté violemment par ce pouvoir. Avec beaucoup de pertes et autant de fracas. Il a certes commis certaines erreurs de précipitation. Il en a aussi commis d’autres parce que mal conseillé. Il en commettra sans doute aussi.
Mais jusque-là, il semble bien le seul qui puisse faire valoir un statut d’opposant au pouvoir en place. Néanmoins, son parti trop jeune, ne peut pas lui donner plus qu’un cadre d’action. Il ne peut pas s’en servir, par exemple, comme machine électorale comme c’est le cas du FLN ou du RND, véritables machines à gagner les élections.
En fin de compte, et si l’on fait bien les comptes, notre opposition est bien plus réduite et bien plus limitée qu’on ne le pense. Trop faible pour imposer au pouvoir quoi que ce soit, a-t-elle au moins la capacité de se refaire dans la perspective de la nouvelle phase qu’entame notre pays avec l’adoption des amendements de la Constitution?
Les alliances ne sont pas l’apanage des formations qui gravitent autour du président de la République et rien n’empêche qu’elles se forment autour d’idées ou d’hommes ou, mieux encore, de programmes. Le temps de favoriser l’émergence de certains bourgeons de changements. Pourquoi pas? Mais jusque-là, et en attendant de dépasser les visées restreintes et trop individuelles, cessons de parler d’opposition ou alors faisons-le mais sans trop nous prendre au sérieux!