Les importateurs lésés, qui ont assisté en direct à cette «corruption à ciel ouvert» parlent d’interventions téléphoniques faites à partir de la direction générale des Douanes au profit de plusieurs opérateurs occasionnels.
Occasionnels, car entrés par effraction dans le domaine afin de frapper un grand coup et de s’éclipser de nouveau, une fois opéré ce véritable braquage du siècle. Le scandale qui a secoué la Douane algérienne ce jeudi, et dont la manifestation au grand jour s’était faite dimanche dernier, promet de faire encore parler de lui pendant très longtemps encore.
Des sources proches de cette affaire, en effet, parlent d’«évènement inédit». Pour eux, «les enjeux financiers étaient tellement énormes que ceux qui se sont rendus coupables et responsables de ce braquage à ciel ouvert n’ont même pas hésité à ridiculiser un système informatique censé être fiable à 100 %».
Il semble même que les choses aient été préméditées de longue date. Pour comprendre cette affaire, il convient de préciser ici que l’État algérien a instauré des exonérations douanières totales concernant plusieurs produits, arrivés au nombre de 36 après les tristement célèbres émeutes dites de l’huile et du sucre.
Reste à préciser que cette formule, dénommée communément contingents douaniers concerne des quantités précise pour chacun des produits concerné. Le domaine, sans doute méconnu pour les profanes, était resté inexploré par cette mafia qui fait flèche de tout bois, et qui ne dédaigne aucune opportunité pouvant lui permettre de saigner à blanc l’économie nationale.
Cela est d’autant plus vrai, précisent encore nos sources, que les stocks touchés par ces contingents douaniers n’étaient pas épuisés avant le milieu de l’année. Or, tout à changé début 2014. Si bien que nos sources, qui font état de la présence à Sète de plusieurs navires avitaillés et prêts à appareiller durant le mois de décembre avec à leurs bords des dizaines de milliers de têtes de bovins.
Ce produit est concerné par les contingents douaniers à hauteur de 5 000 tonnes. Or, nos sources parlent de 16 000 à 18 000 têtes de bétail, ce qui fait que ce chiffre avait toutes les chances d’être dépassé dès les premières heures, voire minutes, du lancement du plan douanier de contingent pour l’année 2014.
Et c’est là que le bogue s’est produit. Celui-ci a eu lieu jeudi, et n’a concerné que la déclaration 1 025, qui concerne le contingent, et non pas le restant des produits, soumis à une fiscalité normale, et concernés par la déclaration dite 1 000.
Cette première anomalie (qui a fait qu’un seul logiciel a été atteint d’un bogue) a, à elle seule, éveillé les soupçons des importateurs. Mais ces derniers sont allés crescendo lorsqu’ils se sont rendus compte que le système a fonctionné normalement à Oran, pendant près de trois quart d’heures, avant que celui-ci ne soit rétabli à Alger.
Au regard du nombre important de demandeurs, et partant du principe appliqué qui veut que le premier arrivé soit le premier servi, on comprend aisément que ces trois quart d’heures ont pu servir à enrichir en milliards des importateurs occasionnels ainsi que des complices internes à la Douane.
Preuve en est, expliquent encore nos sources, qu’«une première liste de gens reçus, attendue avec impatience comme pour les lycéens prétendant au baccalauréat, rendue publique durant la matinée de ce dimanche, a fini par être modifiée sans que personne ne sache pourquoi, ni comment».
Ce que l’on sait, en revanche, expliquent encore nos sources, c’est que «des interventions émanant de la direction générale ont été faites par téléphone en faveur de plusieurs importateurs ».
UN BOGUE PRÉMÉDITÉ ET PLANIFIÉ DE LONGUE DATE…
Ce n’est pas tout. Les mêmes sources avancent, à l’appui de leurs dires, le cas de cet importateur dont la déclaration était mal-formulée, et qui avait donc été forcé de retourner au ministère des Finances en vue de la rectifier. Il n’a donc pu déposer sa demande qu’aux environs de 14 heures.
Or, il a quand même été reçu parmi les tous premiers alors que plusieurs parmi ceux qui avaient déposé leurs demandes dès le matin ont été recalés. Dans ce cas de figure, et face à ce bogue (s’il n’avait pas été provoqué de manière intentionnelle), la logique aurait voulu que l’on arrête tout et qu’on relance la machine dimanche.
Or, cela n’a pas été fait. La Douane a également refusé d’ouvrir une enquête, étant donné que le système informatique, que l’on ne peut ni trafiquer, ni modifier, peut donner à la seconde près le jour et l’heure des dépôts des demandes de chacun des importateurs prétendants à cette exonération d’impôts.
Les importateurs lésés, qui crient au scandale et au hold-up à ciel ouvert, se sont regroupés afin d’adresser, dès ce lundi, une lettre de recours au directeur général des Douanes, Addou Bouderbala, mais aussi le ministre des Finances, Karim Djoudi.
Ils comptent même aller plus loin et plus haut si aucune suite n’est donnée à cette demande. Ils n’ont d’ailleurs pas d’autre choix, étant donné que plusieurs d’entre eux risquent d’être ruinés puisqu’ils avaient fondé tous leurs espoirs sur cette contingence, et qu’ils se retrouvent aujourd’hui contraints de payer des taxes de l’ordre de plusieurs centaines de millions de dinars et que leurs bêtes, bloquées dans des bateaux en rade, avec toutes les surestaries que cela impliqué, risquent tout bonnement de mourir avant d’accoster à… bon port.
Et, comme un malheur ne vient que rarement seul, même en s’endettant pour dédouaner ces «marchandises», ces mêmes importateurs risquent quand même la ruine à très brève échéance, puisque ceux qui sont passés avant eux, et qui ne sont pas forcément du domaine, vont très certainement casser les prix, et se livrer à une concurrence déloyale, avec pour seul objectif d’amasser le plus d’argent en un minimum de temps avant de s’évanouir dans la nature, voir de s’en aller vivre sous d’autres cieux.
Nos interlocuteurs, outrés et indignés à la fois, s’exclament en nous disant qu’«il ne faut pas s’étonner, après cela, que la viande et même le lait, depuis peu, coûtent si cher en Algéri ».
Pour eux, si aucun commerçant ne peut arriver à un profit de 100 % par rapport à sa mise de départ, l’État algérien lui y réussit, mais au détriment du pouvoir d’achat des citoyens et des opérateurs économique. Et de raconter cette cocasse anecdote : «un jour, lors d’une opération d’importation quelconque, lorsque l’euro était coté à 100 dinars au niveau de la Banque d’Algérie, celle-ci nous l’avait imposé à 107 dinars.
Il ne s’agit rien moins que d’une forme de business sur la monnaie, un peu à la façon de ces dépréciation et dévaluation de la monnaie nationale, dont les résultats et les conséquences sont les mêmes, tout comme « bonnet blanc » et « blanc bonnet ».
Nos sources, qui prennent quand même le temps de se montrer philosophes et de sourire de leurs propres malheurs, anticipent sur la réponde de la Douane algérienne, auprès de laquelle toutes nos tentatives pour avoir une réaction sont demeurées vaines, en supposant que « celle-ci va certainement prétendre qu’il y a eu un bogue parce que tout le monde a cliqué en même temps ».
Or, même si cela avait été le cas, il est à se demander pourquoi avoir laissé Oran fonctionner pendant qu’Alger était à l’arrêt, pour prendre ainsi une sérieuse avance de plus d’une demiheure ? L’affaire des deux listes conforte également ces soupçons, d’autant que des interventions en faveur de certains ont eu lieu pratiquement au vu et au su de tout le monde.
Ali Oussi