Rescapé de la prise d’otages du site de Tigantourine, à In Aménas, A. Tahar revient de loin. Arrivé hier à quatre heures du matin à l’aéroport d’Alger avec une dizaine de ses collègues, il raconte les longues heures d’attente angoissante lors de l’incursion terroriste, les scènes d’horreur qu’il a vécues, ainsi que les circonstances de sa fuite des lieux du drame.
– Une colonne composée d’une quinzaine de personnes avance vers l’aérogare des lignes intérieures d’Alger. Certains, l’air soulagé, d’autres accrochés au téléphone, ils s’apprêtent à embarquer pour Hassi Messaoud. Ce sont des rescapés de la prise d’otages qui s’en vont récupérer leurs bagages de leur base d’origine avant de rejoindre enfin leurs foyers. A. Tahar en fait partie. S’il affiche un air soulagé et arbore un large sourire, il n’en porte pas moins en lui les séquelles des horreurs qu’il a vécues à la base de vie de In Aménas. Il est ingénieur employé par une compagnie américaine engagée par British Petroleum (BP). Il raconte le film des évènements avec des phrases saccadées encore sous le choc. Pour ses compagnons et lui, tout a commencé dans la nuit du mercredi 16, aux environs de 5h du matin. «Nous avons commencé par entendre des coups de feu, la plupart d’entre nous étaient réveillés notamment pour accomplir la prière du fadjr. Notre inquiétude s’est accrue quand on a entendu une forte explosion. A ce moment-là, nous nous sommes rendu compte qu’il s’était passé quelque chose de grave. Nous sommes tout de même restés dans nos chambres jusqu’aux environs de sept heures du matin», raconte l’ex-otage. Il explique aussi, en reprenant les témoignages de ses compagnons, que les terroristes, dès qu’ils ont forcé la porte principale de la base, se sont dirigés vers les zones où se trouvaient les employés étrangers situées, selon lui, à l’entrée de la base. «Ils nous ont rassemblés, nous, employés algériens, au niveau du foyer.
Ils avaient différentes armes en main. Ils nous ont rassurés et selon certains de mes compagnons, ils ont même déclaré que ceux qui pouvaient quitter la base étaient libres de le faire. A 10h du matin, tout était calme dans la base. Et quand nous avons vu des employés circuler, nous avons fait de même», relate A. Tahar. Selon lui, il y avait au centre de la base près de 400 personnes.
«Nous avons pu voir le groupe armé et même leur chef qui discutaient avec les employés. J’en ai compté 17 mais ils étaient plus nombreux dans la base. Mes collègues disent qu’ils ont entendu des accents libyen, égyptien et même syrien, moi-même j’ai entendu parler des Algériens», se souvient le jeune ingénieur. Il expliquera aussi que des sandwiches leur ont été remis en milieu de journée. «Ils ont tenté de nous rassurer et ont libéré les femmes qu’ils avaient au préalable regroupées. Ils ont fait de même avec les personnes qui montraient des signes de panique. Personnellement, j’évitais de trop m’approcher des terroristes. Je me contentais d’observer de loin», poursuit notre interlocuteur. Selon lui, les membres du groupe armé ont conseillé aux otages de passer la nuit au foyer. «Moi-même et une dizaine de personnes qui travaillaient avec moi avons préféré passer la nuit dans notre camp. Nous ne leur faisions pas confiance.
D’autant qu’il y avait des armes et des explosifs à côté. On a passé la nuit sans électricité, dans le noir, nous avions peur. Déjà dans l’après-midi, nous entendions tourner les hélicoptères de l’armée et il y avait eu le bouclage et les coups de feu. Nous nous sommes enfermés à double tour, on ne savait pas ce qui se passait dehors», témoigne le rescapé. Et de poursuivre : «Le matin, le restaurant était ouvert même s’il n’y avait pas d’employés. Nous nous sommes légèrement restaurés puis nous sommes partis voir où en était la situation.
Quelqu’un nous a dit que certains avaient fui grâce à une brèche dans le grillage. Je me suis rendu compte qu’il fallait opérer avec prudence et de ne surtout pas paniquer.». Il ajoutera qu’ils avaient décidé de n’avancer hors de la première base que s’ils repéraient la présence des militaires. «Nous avons pris le strict nécessaire et nous étions sept à nous diriger vers le fameux grillage après une trentaine d’autres otages qui avaient déjà fui. Effectivement, nous avons vu les militaires, mais avons hésité de peur qu’ils ne soient en fait les terroristes. Une personne en civil nous a cependant demandé d’avancer et on a eu le signal des militaires en face.
On a couru à ce moment-là sur 200 m pour les rejoindre. Nous avons ainsi rejoint près de 400 ex-otages de nationalité algérienne» explique encore notre interlocuteur. Il dira qu’une fois libérés, ils ont été fouillés à plusieurs contrôles et leur identité vérifiée avant d’être accueillis, pris en charge et nourris par les éléments de la Gendarmerie nationale à la sortie de la base. «Nous avons été évacués dans des bus vers 17 heures pour arriver à In Aménas à 18 heures où nous attendait un autre contrôle de la gendarmerie. »
Soulagés de voir enfin leur calvaire prendre fin, l’ex-otage et ses compagnons ont pu être évacués par leur compagnie vers Oran puis vers Alger où ils ont atterri hier à 4h du matin. Epuisé, pressé de rejoindre les siens et encore sous le coup de l’émotion, le jeune ingénieur dit ne jamais pouvoir oublier les scènes d’horreur qu’il a vues. «Nous n’avons pas dormi, nous avons vu des personnes assassinées, déchiquetées, nous avons vécu l’horreur et nous sommes soulagés que tout soit enfin terminé pour que l’on puisse rejoindre nos familles», confie A. Tahar.
F.-Z. B.