Si la France pouvait inventer la pilule de l’amnésie, elle l’aurait fait pour la prescrire à tous ceux, Algériens et Français, qui exigent que l’Etat français reconnaisse ses crimes coloniaux.
Jamais commémoration d’un événement sanglant n’a bénéficié d’autant d’attention que ce cinquantenaire des massacres du 17 Octobre 1961. Notamment en France, où la société civile s’est mobilisée pour faire de la journée de demain un moment de communion entre Français et Algériens, sous le signe de «vérité et justice» et de la reconnaissance par la France des massacres du 17 Octobre 1961 comme «un crime d’Etat».
Les officiels en France font la sourde oreille à l’appel du collectif «Vérité et justice», mais semblent être tout ouïe aux cris des victimes du massacre commis par les Turcs en 1915 contre la communauté arménienne. Au cours du printemps et de l’été de 1915, sur ordre du gouvernement Jeune-turc aux commandants d’armée et aux autorités civiles des provinces, une partie des Arméniens des vilayets orientaux de la Turquie furent massacrés sur place, d’autres déportés vers le Sud et décimés en cours de route.
Les autorités turques, non seulement ne prenaient aucune mesure pour le ravitaillement et la sécurité des convois, mais en encourageaient et, souvent même, en organisaient l’attaque et le pillage par les villageois et les brigands turcs et kurdes ou le massacre par les gendarmes chargés de leur protection. Des milliers de déportés tombaient épuisés de faim, de soif et de fatigue. Le 6 octobre dernier, Sarkozy, en visite en Arménie, a appelé la Turquie à reconnaître sa responsabilité dans «le génocide arménien de 1915». Mieux encore, Sarkozy s’érige en donneur de leçons aux autres et oublie de se dire la même chose à propos des crimes coloniaux de l’Etat français tout au long des 132 ans d’occupation. «La Turquie, qui est un grand pays, s’honorerait à revisiter son Histoire comme d’autres grands pays dans le monde l’ont fait, l’Allemagne, la France», a déclaré M. Sarkozy à la presse à l’issue d’une visite, avec son homologue arménien Serge

Sarkissian, du monument érigé à la mémoire des centaines de milliers de victimes du massacre ottoman. «Le génocide des Arméniens est une réalité historique», a-t-il encore déclaré à des journalistes. «Le négationnisme collectif est pire encore que le négationnisme individuel» et «on est toujours beaucoup plus fort quand on regarde son Histoire», a-t-il ajouté. L’Algérie et les Français libres, gardiens des valeurs de la Révolution de 1789, ne demandent pas moins à Sarkozy. Qu’il soit en accord avec les propos qu’il a tenus à l’attention de la Turquie d’aujourd’hui, qui n’est d’ailleurs pas le prolongement politique et institutionnel de la Turquie ottomane d’avant 1924, date de l’abolition du Califat et de la fondation de la République actuelle. La France de Sarkozy, avec ses institutions et son Histoire, est la même que celle de 1789. À moins que les victimes arméniennes soient, aux yeux de l’Etat français, plus dignes d’une reconnaissance que les victimes algériennes durant les 132 ans d’occupation coloniale. Sarkozy n’a-t-il pas déclaré, lors de sa campagne électorale pour les présidentielles de 2007, qu’il ne pouvait être responsable de ce que ses ancêtres ont commis, estimant qu’il n’avait qu’un an lorsque la guerre de Libération a éclaté. Est-ce ainsi que parle un homme d’Etat ? N’est-ce pas un négationnisme à la fois individuel et collectif que de refuser d’assumer son Histoire, de reconnaître sa responsabilité en tant qu’Etat dans les atteintes aux droits humains des peuples colonisés et de demander à leurs descendants pardon ?
A. G.
Le 17 Octobre 1961 à l’écran
Les massacres des Algériens lors de la manifestation pacifique du 17 Octobre 1961 à Paris constitueront le temps fort de la 11e édition des Maghreb des films (16-25 octobre), qui a retenu douze films, dont des productions inédites, pour marquer le cinquantenaire de ces tragiques évènements. Le clou de ces rencontres cinématographiques sera sans doute la sortie en salle le 19 octobre (Forum des images) du film «Octobre noir» de Jacques Panijel, le premier documentaire (70’) sur les crimes policiers perpétrés.
Censuré dès sa sortie en 1962, son réalisateur a été menacé de poursuites. Dans son œuvre, tournée quelques semaines après les tragiques évènements, Panijel fut le premier à alerter l’opinion sur la tuerie qui s’était produite au cœur de la capitale française. Dans la préface du film «A propos d’Octobre», réalisé par le président de l’Association «Au nom de la mémoire», Mehdi Lallaloui, des témoignages des historiens Jean-Luc Einaudi et Gilles Manceron et du journaliste Daniel Mermet situent le contexte qu’«Octobre à Paris» n’avait pu présenter.
Dans son témoignage, le réalisateur René Vautier souligne le «mérite inédit» de l’oeuvre de Panijel. «C’est grâce à cette oeuvre et à la mobilisation qu’elle a suscité pour sa diffusion, autour du comité Maurice-Audin, que la censure institutionnelle a été levée sur le cinéma en France», a-t-il affirmé. Maghreb des films projettera également le dernier film de Yasmina Addi «Ici, on noie les Algériens».
A partir de témoignages et d’archives inédites, le film (90’) retrace les différentes étapes de ces évènements et relève la stratégie et les méthodes mises en place au plus haut niveau de l’Etat : manipulation de l’opinion publique, récusation systématique de toutes les accusations, verrouillage de l’information afin d’empêcher les enquêtes. Dans une note d’intention, la réalisatrice, dont le produit sortira en salle le 19 octobre prochain, relève que son but n’est pas de réaliser un documentaire historique classique, mais de faire un film pour que «la vérité remplace les non-dits et souligner la dimension humaine de cet épisode trop longtemps tu».