« Sans rationalisation budgétaire, le fonds de régulation fondra fin 2016 »

« Sans rationalisation budgétaire, le fonds de régulation fondra fin 2016 »

Dans cet entretien exclusif, le professeur des Universités et expert international Abderrahmane Mebtoul analyse la situation économique du pays et jette une lumière sur ce qui attend l’Algérie si des mesures structurelles sérieuses ne sont pas prises ici et tout de suite.

Le Matindz.net : Quel est l’état économique actuel du pays ?

Abderrahmane Mebtoul : Les importations de biens, à prix courants, sont évaluées à 39, 294 milliards de dollars en 2009 (au moment de la loi de finances complémentaire instaurant le crédit documentaire le CREDOC et la règle des 49/51%) et 58,330 en 2014.

Le taux d’intégration des entreprises publiques et privées ne dépassant pas 15%, fonctionnant en majorité avec de la matière première importée, les biens intermédiaires sont passées de 17,423 milliards de dollars en 2012 à 17,475 milliards de dollars en 2014. Mais il y a lieu outre les importations de biens analysés précédemment, d’inclure des importations de services, en majorité appel aux bureaux d’études étrangers dont plus de 70% proviennent de Sonatrach/Sonelgaz et du BTPH.

Ainsi selon la Banque d‘Algérie, les services ont représentés en 2013 10,77 milliards de dollars donnant un total des importations de biens et services de 65,76 milliards de dollars et en 2014 11,70 milliards de dollars, un total d’importation de biens et services de 71,14 milliards de dollars. Ce sont les sorties de devises sans les transferts légaux de capitaux des firmes étrangères. Pour la Banque d’Algérie dans son rapport officiel, repris par le FMI, les exportations d’hydrocarbures ont été de 63,66 milliards de dollars en 2013, 58,34 en 2014. Ainsi le solde de la balance commerciale a été de 24,376 en 2012 et seulement de 4,626 en 2014.

Cependant, la balance commerciale ne couvre que les biens, les services. Aussi la balance des paiements est le document de référence qui permet de quantifier la solidité économique et financière d’un pays. Si l’on prend les données de la banque d’Algérie pour seulement 2013/2014 les revenus des services facteurs nets sont négatifs moins de 4,52 milliards de dollars pour 2013 et 4,88 milliards de dollars pour 2014. La balance courante accuse un solde positif d’un milliard de dollars en 2013 mais un solide négatif de 9,11 milliards de dollars fin 2014. Le solde global de la balance des paiements a été de 130 millions de dollars en 2013 et négatif de 5,88 milliards de dollars fin 2014.

De janvier à fin mai 2015, selon les statistiques douanières, les exportations ont atteint près de 3,25 mds usd contre 5,6 mds usd au même mois de 2014 (une baisse de 42,05%, tandis que les importations se sont chiffrées à 4,53 mds usd contre 5,54 mds usd une baisse de 18,23%). Les exportations des hydrocarbures durant les cinq premiers mois de 2015 ont été de 2,94 mds usd contre 5,44 mds usd en 2014 soit une baisse de 45,85%.

Durant les cinq premiers mois de l’année 2015, par rapport à la même période de 2014, la balance commerciale a enregistré un déficit de 6,38 milliards de dollars durant les cinq premiers mois de l’année 2015, contre un excédent de près de 3,44 milliards de dollars. Plus précisément, les exportations ont assuré la couverture des importations à hauteur de 71% durant les cinq premiers mois de 2015 contre 114% à la même période.

Cette situation a influencé le montant du fonds de régulation des recettes qui a fortement baissé chutant à 3.916,5 milliards de dinars à fin mars 2015 soit 40 milliards de dollars au cours de 98 dinars un dollar contre 4 488,1 milliards à fin décembre 2014 et 5 088,6 milliards à fin mars 2014 et ce pour couvrir le déficit budgétaire estimé au premier trimestre 2015 à 476,8 milliards de dinars contre 432,3 milliards de dinars au premier trimestre de l’année 2014.

Au cours de 98 dinars un dollar, le fonds de régulation des recettes pourrait s’établir au 31/12/2015 à un montant inférieur à 30 milliards de dollars alors que le déficit budgétaire de la LFC 2015 est évalué à 28 milliards de dollars. Sans rationalisation des choix budgétaires, il fondra fin 2016. Quant aux réserves de change via la rente des hydrocarbures, elles étaient évaluées à 193,3 milliards de dollars à fin juin 2014 et à environ 160 milliards de dollars fin mars 2015.

Cela s’explique certes par le rachat de Djeezy mais surtout par la cadence des importations de biens et services, la chute du cours du pétrole et également de la dévalorisation monétaire d’une partie des placements effectués en euros du fait de sa dépréciation par rapport au dollar. Au vu du montant des importations même compressé de 8 milliards de dollars dans la LFC 2015, au cours moyen de 60 dollars où les recettes de Sonatrach sont prévues à 34 milliards de dollars (moins de 30 milliards de dollars au cours moyen de 55 dollars), les réserves de change devraient clôturer au 31/12/2015 à environ 140 milliards de dollars et beaucoup moins aux cours de 55 dollars.

Au rythme de la dépense actuelle, elles devraient s’épuiser horizon 2019/2020. Cela a des incidences macro-économiques. En Algérie, la superficie économique selon l’ONS est constituée à 83% de petits commerce-services, l’industrie représentant moins de 5% du produit intérieur brut et sur ces 5%, plus de 95% sont des PMI-PME peu concurrentielles. Les segments hors hydrocarbures dont le BTPH, les subventions aux entreprises sont irrigués à plus de 80% par la rente des hydrocarbures, les entreprises véritablement autonomes vivant en partie sur l’autofinancement représentent moins de 20% de la valeur ajoutée globale.

Or une croissance de 8/9% sur 7/8 ans reposant sur les segments productifs est nécessaire sinon, il ne peut y avoir de création d‘emplois à valeur ajoutée qui permette de maintenir la paix et la cohésion sociale, une Nation ne pouvant distribuer plus que ce qu’elle crée de richesse. Actuellement le taux de chômage officiel est artificiel dominé par les emplois rentes comme le taux d’inflation est artificiellement compressé par les subventions et les transferts sociaux et que l’importance de la dépense publique n’a pas été proportionnelle aux impacts économiques et sociaux.

2.- Mais alors croyez-vous aux mesures prises par le gouvernement ? Sont-elles suffisantes pour un éventuel démarrage de l’appareil économique ?

Les mesures de la loi de finances complémentaires 2015 en réduisant de 8 milliards de dollars l’importation de biens sans compter les importations de services qui ont été de plus de 11 milliards de dollars en 2014 sont des mesures conjoncturelles alors qu’il faille avoir une vision stratégique. Je pense que l’on ne pouvait faire autrement, d’autant plus que le rapport du 11 août 2015 de la Banque mondiale prévoit un baril de 40 dollars. Il ne faut pas se faire d’illusions, les ajustements économiques et sociaux seront douloureux mais nécessaires si l’Algérie veut éviter le scénario dramatique des impacts de la crise de 1986.

Pourtant, la situation est différente. Grâce au remboursement par anticipation, la dette extérieure est passée de 22,70 en 2001 à 5,92 en 2008 et 3,666 milliards de dollars à fin 2014. Avec des réserves de change qui avoisineront 135/140 milliards de dollars fin 2015, elle peut traverser cette étape difficile. Mais cela suppose plusieurs conditions.

La solution réside en une nouvelle gouvernance, de nouveaux mécanismes de régulation qui conditionnent la dynamisation de la production locale dans des segments à valeur ajoutée au sein de filières internationalisées, évitant de croire que le changement d’organisations est la solution miracle, la lutte contre la corruption, donc la moralisation de ceux qui dirigent la Cité, réorienter la politique socio-économique vers les fondamentaux de la croissance à savoir lutter contre les surcoûts exorbitants, bien cibler les projets en analysant leurs impacts économiques et sociaux.

Etant à l’ère de la mondialisation, cela nécessite de s’insérer au sein de grands ensembles dont les espaces africains et euro-méditerranéens sont les espaces naturels de l’Algérie grâce à un co-partenariat gagnant/gagnant : balance devises partagée, accumulation du transfert technologique et managérial local, la ressource humaine étant le pivot essentiel de la coopération.

La débureaucratisassions de la société, la refonte des systèmes financiers et socio-éducatif, résoudre l’épineux problème du foncier avec ses utilités, les taxes douanières et les subventions devant être ciblées sont des réformes urgentes. Afin de faire face aux ajustements économiques et sociaux douloureux nécessaires pour éviter le drame des impacts des années 1986, cela passe par la cohésion sociale tenant compte des nouvelles forces sociales et économiques , le gouvernement dialoguant depuis des décennies avec les mêmes organisations peu représentatives et éviter les idéologies négatives par l’assouplissement de la règle des 49/51%, aux segments non stratégiques avec une minorité de blocage pour éviter les délocalisations sauvages, où l’Algérie supporte actuellement tous les surcouts.

Le cours du pétrole peut-il remonter grâce à l’OPEP sur laquelle compte l’Algérie ?

L’OPEP qui n’a plus l’influence des années 1970, représente actuellement moins de 33% de la production commercialisée, 67% se faisant hors OPEP, la Russie privilégiant ses intérêts ^propres, ayant pris des parts marchés croissants lorsque l’OPEP baissait ses quotas, du fait de la stratégie internationale de Gazprom, n’existant pas de sentiments dans les affaires. Sur ces 33% l’Arabie Saoudite avec les pays du Golfe au sen de l’OPEP représente plus de 60%, l’Algérie (0,8% des réserves mondiales de pétrole et moins de 1,8% des réserves de gaz naturel) et le Venezuela qui est d’ailleurs en faillite, étant marginaux et ayant très peu d’influences.

L’entré de nouveaux producteurs dans le monde dont les importantes découvertes en méditerranée orientale , au Mozambique qui deviendra le 3ème réservoir d’Afrique dès 2016, du pétrole/gaz de schiste américain qui a bouleversé toute la carte énergétique mondiale , la décision récente du congrès américain d’autoriser les exportations hors USA dès 2017, l’entrée en Iran dès le 01 janvier 2016 avec 160 milliards de barils de réserves de pétrole et 34.000 milliards de mètres cubes gazeux de gaz traditionnel (le deuxième réservoir après la Russie) , le relèvement prochain de la production de l’Irak et certainement de la Libye, accroitront l’offre.

Or la demande est faible notamment due à la crise mondiale qui perdure notamment des pays émergents et surtout de la Chine (croissance prévue inférieure à 6%), avec une production déjà excédentaire de plus de deux millions de barils jour ; sans compter le développement technologique dans l’efficacité énergétique , une prévision d’économies fossiles d’environ 30% horizon 2025 , pour les pays développés et pour la Chine/Inde.

Au cours d’une conférence présidée par le premier ministre, le 05 novembre 2014, suite à ,un large débat à Radio France Internationale le 24 octobre 2014 avec mon ami Antoine Halff ancien économiste en chef au secrétariat d’Etat à l’Energie US et actuellement important responsable à l’agence internationale de l’Energie AIE où nous avons prévu une baisse importante des cours qui pourrait s’allonger jusqu’a fin 2020/2025, mis en garde le gouvernement algérien , j’avais proposé un comité de crise et une conférence nationale pour réorienter la politique socio-économique afin d ‘éviter le drame des impacts de la crise de 1986.

Bon nombre de membres du gouvernement et d’experts se sont mis rire au Club des Pins (Alger) et ont annoncé un retour vers 90/100 dollars ces soi-disant experts qui disent aujourd’hui tout le contraire. Le seul expert, la presse est témoin, c’est mon ami le professeur Chems Chitour qui a soutenu ma proposition.

Ne s’achemine-t-on pas vers une dévaluation du dinar eu égard aux perspectives économiques ?

Les distorsions entre le marché officiel et le marché informel traduit la faiblesse d’une économie productive concurrentielle étant à l’ère de la mondialisation, la rente des hydrocarbures donnant une cotation officielle du dinar artificielle, le marché parallèle informel reflétant sa véritable valeur (160 dinars un euro). Une analyse objective de l’inflation, compressée artificiellement par le subventions généralisées et non ciblées et les transferts sociaux souvent mal gérés, situation intenables en Algérie (27/28% du PIB) qui a un impact sur la dépréciation du dinar suppose de saisir les liens dialectiques entre le développement, la répartition du revenu et du modèle de consommation par couches sociales.

En Algérie le dérapage du dinar a produit l’effet contraire montrant que le blocage est d’ordre systémique. Paradoxe pour l’Algérie en cette année 2015 contredisant les règles économiques élémentaires, lorsque le cours du dollar hausse et le cours de l’euro baisse, la Banque d’Algérie dérape pour des raisons politiques à la fois le dinar par rapport tant au dollar que vis-à-vis de l’euro alors que le dinar dans une véritable économie de marché devait s’apprécier par rapport à la monnaie dont la valeur baisse au niveau du marché international. Pourquoi cet artifice comptable.

Le dérapage du dinar par rapport à l’euro et au dollar voile l’importance du déficit budgétaire, l’efficacité réelle du budget de l’Etat à travers la dépense publique et gonfle artificiellement le fonds de régulation des recettes calculé en dinars algériens.

L’inflation étant la résultante, cela renforce la défiance vis à vis du dinar algérien. Le dinar algérien tient donc grâce aux réserves de change via les hydrocarbures. Toute baisse des réserves de change suite à la baisse des recettes de Sonatrach entraine automatiquement une dévaluation rampante du dinar. Si demain les réserves de change algériens tendaient vers zéro, le gouvernement serait contraint à une très forte dévaluation pour 200 dinars un euro et sur le marché parallèle l’échange se ferait à 300 dinars un euro.

Pour se prémunir contre cette dépréciation qui engendre inéluctablement l’inflation, et donc la détérioration du dinar algérien, l’Algérien ne place pas seulement ses actifs dans le foncier, l’immobilier ou l’or, mais une partie de l’épargne est placée dans les devises. Face à l’incertitude politique, et la psychose créée par les scandales financiers, beaucoup de responsables vendent leurs biens pour acheter à l’étranger. Egalement beaucoup de ménages se mettent dans la perspective d’une chute des revenus pétroliers, et vu les fluctuations erratiques des cours d’or, à la baisse depuis l’année 2013, achètent les devises et biens immobiliers ou durables.

Cette méfiance favorise l’extension de la sphère informelle, produit des dysfonctionnements des appareils de l’Etat et du poids de la bureaucratie, qui draine 40/50% de la masse monétaire en circulation avec une concentration du capital-argent et une intermédiation bancaire informelle à des taux d’usure.

Quelle conclusion ?

La situation économique est extrêmement grave et menace la sécurité nationale face aux bouleversements géostratégiques qui s ‘annoncent dans notre région. Pourtant, l’Algérie sans chauvinisme a toutes les potentialités pour devenir un pays pivot, sous réserve d’un front social interne et de la cohésion sociale, en rassemblant au lieu de diviser par des débats stériles, tout en tenant compte des différentes sensibilités. L’exploitation de la crise peut apporter gros si elle est perçue comme un demi-mal et si elle permet d’approfondir les réformes structurelles, la réhabilitation du travail et de l‘intelligence. Personne n’a le monopole de la vérité et du nationalisme.

Ce sont les conditions pour améliorer la production et productivité interne, devant être sous tendue par une nette volonté politique des réformes structurelles, une libéralisation maitrisée grâce à l’Etat régulateur, condition de l’amélioration de la cotation du dinar algérien et non par des mesures techniques conjoncturelles. Tout cela suppose un réaménagement profond de la logique du pouvoir loin de la logique rentière, dépenser sans compter, et donc une profonde démocratisation de la décision économique.

Entretien réalisé par Hamid Arab