Samir Abchiche : « Avoir un style est une prison ! »

Samir Abchiche : « Avoir un style est une prison ! »

En 2006, Samir Abchiche avait fait parler de lui à l’Ecole des beaux-arts d’Alger en entamant une grève de la faim. Il voulait protester contre son exclusion par l’administration. Celle-ci n’acceptait pas qu’il élève trop la voix et qu’il dénonce les conditions inhumaines dans lesquelles les étudiants étaient logés. Dans l’université algérienne, la nouvelle pensée unique empêche toute opinion contraire au sens du vent. Aujourd’hui, Samir Abchiche expose, avec dix autres artistes, au Musée national d’art moderne et contemporain (Mama). « Regards construits » est une exposition qui réunit photographes et artistes peintres. Elle est ouverte au public jusqu’au 30 mai. Dans cet entretien, Samir Abchiche explique sa technique de donner des visages à la pierre.

D’où vous est venue l’idée de donner des traits humains à des pierres ?

– Au départ, l’idée n’était pas celle-là. A Tamanrasset, dans un quartier oublié et isolé, il reste les ruines d’un ancien palais touareg, le palais Moussa Agamasten, à la sortie de la ville. A côté de ces ruines, un gamin jouait avec ses sœurs. Ils étaient tous assis. L’enfant avait une légère expression sur le visage qui ne ressemblait pas à un sourire. A côté, il y avait une pierre. Le gamin et la pierre avaient les mêmes ombres. Leurs ombres complétaient celle du palais abandonné. Le déclic est intervenu à cet instant. En regardant la photo, j’ai eu l’idée de superposer la photo du gamin sur celle du mur à deux fenêtres. Un mur qui avait déjà une expression de visage. Il formait un portrait. Il fallait seulement y penser… Avec les deux fenêtres qui rappellent les yeux. Une fenêtre est synonyme d’espoir et d’ouverture. Pour casser cette idée, j’ai mis un corbeau sur le rebord de la fenêtre. Pour cette autre photo, il faut connaître la personne pour saisir le sens de l’histoire. Paradoxalement, ce regard triste appartient à une personne à fort caractère. Toutes ces lignes et rayures soulignent des blessures anciennes.

Cela vous rappelle quoi ?

– (Il hésite). C’est une personne qui a beaucoup souffert. C’est un peu intime. La même personne est présente dans trois photos, puis, il y a cet enfant qui m’a interpellé par son regard inquiétant. Il était parmi une douzaine d’autres gamins. Tous les autres rigolaient et lui non. Heureux, ils faisaient des acrobaties. Le seul à rester inerte. Les autres bambins étaient en train de rôtir un lapin sur un feu de bois.

N’avez-vous pas fait de photos auparavant ?

– A l’origine, j’ai fait le design à l’Ecole des beaux-arts avant d’être exclu. Cela ne m’a pas empêché de continuer. Je crois même que j’ai pris un peu d’allure. Je fais des expositions depuis 1998. J’ai participé à un festival de vidéo art à Barcelone (Espagne). Je vais bientôt monter une exposition personnelle. Je ne dois pas avoir un style, car l’avoir est une sorte de prison. L’art est une liberté. C’est un moyen qui me permet de m’évader et chaque jour doit être ouvert.