Salaires et subventions en débat: Les finances publiques sous pression

Salaires et subventions en débat: Les finances publiques sous pression

A peine la loi de finances de l’année 2013 commençait à être vulgarisée, particulièrement sur les aspects fiscaux, qu’une loi de finances complémentaire se profile pour les mois à venir. Elle est destinée à prendre en charge les nouvelles dépenses sur lesquelles s’est engagé l’Etat, aussi bien en matière de revalorisation des salaires de certaines catégories de fonctionnaires que des dépenses prévues par la nouvelle «politique» conçue pour les populations du Sud algérien.

Parallèlement à la préparation de la loi de finances complémentaire, le gouvernement se penche sur la politique budgétaire du pays et sur la manière de dépasser la pression qui est aujourd’hui constatée : la dépense publique. Ainsi, l’élaboration du budget de l’Etat commence à alimenter de nouveau le débat au niveau gouvernemental, après que la polémique née lors de la passation de consignes entre Ouyahia et Belkhadem à la chefferie du gouvernent, au printemps 2006, eut été vite étouffée par l’adoption de la nouvelle loi portant sur la Fonction publique et les augmentations généralisées des salaires à partir de 1er janvier 2008.

L’on se souvient, en effet, que lorsque l’Algérie commençait à engranger des recettes historiques en hydrocarbures dès le milieu des années 2000, et que le gouvernement Ouyahia s’est mis à payer par anticipation la dette extérieure du pays, des voix se sont élevées, y compris au sein de l’Assemblée populaire nationale, pour réclamer des augmentations salariales aussi bien dans le secteur de l’administration publique que dans les entreprises (publiques et privées). Le chef du gouvernement d’alors s’y opposa et le président de la République abonda dans le même sens dans un discours fort remarqué à l’occasion de la fête du 24 -Février en 2006. Bouteflika précisera que toute augmentation salariale sera obligatoirement liée au rehaussement de la croissance et à l’élévation de la productivité du travail.

Il n’a pas fallu plus de trois mois pour que la logique «populiste» fasse prévaloir ses droits avec le gouvernement Belkhadem. Depuis lors, de nouvelles augmentations ont été opérées aussi bien dans la cadre des statuts particuliers de la Fonction publique et des conventions de branches des entreprises publiques, que dans le cadre des différentes tripartites qui ont eu lieu au cours des cinq dernières années. En plus de l’augmentation du salaire de base et de certaines primes, la revalorisation du salaire est également induite par la baisse de l’impôt sur le revenu (IRG). Pour ne pas s’arrêter en «si bon chemin», les syndicats réclament depuis des années l’abrogation de l’article 87 bis du code du travail, opération qui, à son tour, va libérer une nouvelle augmentation. Avec la nouvelle donne dans les wilayas du Sud, où le gouvernement est amené à délier encore plus sa bourse pour satisfaire la demande d’emploi par le renforcement des dispositifs sociaux, la pression sur le budget de l’Etat n’a jamais aussi été aussi pesante.

C’est pourquoi, la semaine dernière, le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, Tayeb Louh, a voulu défendre une certaine «lucidité» qui commence certainement à poindre au sein de l’Exécutif, en déclarant que la création d’emploi ne peut plus être assurée par la Fonction publique, mais qu’elle dépendra totalement de la nouvelle économie d’entreprise que les autorités politiques du pays disent vouloir encourager. Outre la question salariale, le budget de l’Etat, dans un contexte d’une mono-exportation qui peine à se trouver des alternatives en dehors du secteur des hydrocarbures, est aussi mis sous pression par les différents soutiens et subventions que l’Etat accorde aux ménages et à certaines activités. Les soutiens des prix, lorsqu’ils sont mobilisés, ils le sont pour tous les ménages, sans distinction de niveau de revenu ou de statut social.

Le cercle vicieux de l’inflation

Ce sur quoi les économistes et les experts nationaux ont essayé d’attirer l’attention des décideurs depuis des années a été mis, la semaine passée, sur la table du ministère de «l’évaluation comme outil d’encadrement des politiques publiques». Ferhane Sidi Mohamed, directeur général de la prévision et des politiques publiques, a fait savoir, à cette occasion, qu’ «il y a une réflexion sur le ciblage de la subvention des produits de base pour réaliser des gains, car actuellement, tout le monde, y compris les grosses fortunes, en profite». Au vu du différentiel de prix – entre prix marchand réel et prix soutenu – les produits subventionnés subissent aussi une fuite vers les pays limitrophes, a-t-il souligné. Sans omettre de signaler le gaspillage qui affecte certains produits subventionnés, tel que le pain. Le ministre du Commerce, Mustapha Benbada, y est revenu, la semaine passée, au cours d’une émission de la Télévision nationale (la Trois) où il a passé en revue les difficultés des boulangers et des pouvoirs publics dans le concours à la formation du prix de la baguette de pain. Une étude est engagée par son département ministériel pour dégager une voie consensuelle pour la maîtrise des coûts de fabrication et de répartition des charges.

Au ministère des Finances, on attend que cette étude soit finalisée pour décider de la direction à prendre dans ce cas de figure. La fuite des produits vers les pays voisins, dont parle le directeur général de la prévision et des politiques publiques, touche actuellement, et en premier lieu, les carburants par l’intermédiaire de ce que le jargon algérien nomme les «hallaba». C’est là une pratique ancienne, remontant aux années quatre-vingts du siècle dernier, lorsque tous les produits, y compris ceux qui ne relevaient pas de la catégorie de base, étaient subventionnés par la rente pétrolière. Il a suffi d’une baisse des recettes extérieures à partir de 1986, pour que ce «consensus rentier» (où «tout le monde trouva son compte», exit Bouteflika) éclate à la face des gouvernants et de la société en octobre 1988.

Donc, le gouvernement, bien avant qu’il se «remette» de la pression venant du Sud depuis le début de l’année 2013, tente d’engager la réflexion sur les subventions des produits de base et sur les salaires, deux postes représentant des dépenses très importantes dans le budget de l’Etat, comme l’a indiqué un cadre du ministère des Finances à l’occasion de la tenue de cette journée d’étude.S’agissant de la problématique des salaires, Ferhane Sidi Mohamed fait état de l’existence de plusieurs scénarios, notamment celui portant sur l’indexation des salaires sur l’inflation, et le second, où il est envisagé de les indexer sur la productivité du travail.

Cette dernière option, tout en relevant d’une certaine lucidité politique, exige doigté et courage politique dans un contexte de surenchère populiste, aussi bien au nord qu’au sud du pays. Indexer les salaires sur l’inflation, on sait ce que cela a donné ; la machine infernale de l’inflation ne fera que se déchaîner davantage. Le cercle vicieux n’a aucune chance de se fermer. Pour s’en convaincre, il suffit de dégager une étude pour évaluer l’érosion du pouvoir d’achat après tant… d’augmentations salariales.

Etant caractérisée par la pénurie et le déficit de l’offre, l’économie algérienne, que l’on tente de fouetter par la demande, demeure incapable de «raisonner» les prix. Si une part de l’envolée des prix, particulièrement des produits agricoles, est due aux circuits commerciaux mal réglementés ou mal régulés, le reste, c’est-à-dire la grande partie, est dû à un surplus de l’ «offre salariale » chez les ménages, phénomène dû non seulement à l’augmentation des salaires, mais également aux différents investissements publics en matière d’infrastructures. Ces investissements sont, jusqu’à présents, générateurs de salaires et d’achats de fournitures (matériaux de construction…), mais peu générateurs de plusvalue sociale. Le retour sur investissement ne sera atteint qu’avec la dynamique d’une économie d’entreprise qui viendrait se greffer à toutes ces infrastructures.

Les «gains» salariaux obtenus par les travailleurs au cours des ces dernières années ne peuvent rien contre un mouvement dont les ressorts dépendent d’une autre réalité autrement plus complexe, celle de l’économie de production, dont on parle depuis presque deux décennies, mais qui tarde à montrer sa face.

En attendant la diversification de l’économie nationale

La grave discordance qui grève aujourd’hui la relation entre le mouvement des salaires et l’évolution du pouvoir d’achat – le dernier étant tétanisé par l’envolée nominale du premier en raison de l’inflation – est loin d’être un épiphénomène conjoncturel qui serait propre à une saison ou à une échéance particulière.

Cela serait, on aurait vu, alors, comme un simple accident de parcours qui indiquerait peut-être, à l’occasion, que nous la machine économique était, jusque-là, sur la bonne voie. Le mouvement rampant de l’inflationtaux officiel de presque 10% pour l’année 2012 vient nous rappeler qu’il n’en est rien. La contre-performance de l’offre, singulièrement dans la branche des produits alimentaires, est une donnée structurelle liée à un système de production dépassé aussi bien sur le plan organisationnel que sur le plan technique. Les efforts de rattrapage vont prendre le temps qu’il faut. Mais, ils ne pourront jamais être remplacés par une politique salariale démagogique qui donnerait l’illusion de richesse pendant quelques mois et installerait pneus et barricades pendant le reste de l’année. Peut-on être grisés et aveuglés par les recettes pétrolières du pays au point de ne pas pouvoir lire les grandes tendances économiques et sociales qui se dessinaient dangereusement pour le pays depuis le milieu des années 2000 ?

En lançant les grands projets structurants – destinés à rattraper les retards en la matière et asseoir une infrastructure pour faciliter les investissements (nationaux et étrangers) producteurs de richesses et d’emploi – le président de la République a certainement vu juste même si certaines réserves techniques, relatives à l’impréparation de nos entreprises de réalisation et à un déficit en matière d’études préalables, ont été exprimées par des experts nationaux et par certains des responsables de la haute administration. Hormis ces plans quinquennaux, toutes les réformes de nature à générer de l’emploi, de la plus-value sociale et des richesses ont été longtemps mises sous le coude. Le climat d’investissement dans notre pays – politique du crédit, marché foncier, encadrement juridique (arbitrage, contentieux) – est jugé par les analystes les plus indulgents comme étant le plus dissuasif du bassin méditerranéen.

Le chantier d’amélioration du climat des affaires auquel s’est attelé le ministère de l’Industrie depuis la fin de l’année 2012 – en installant une commission composée d’experts, de hauts responsables de l’administration et d’acteurs du secteur économique – est le signe que des retards immenses sont enregistrés et qu’une nouvelle dynamique doit être enclenchée pour diversifier l’économie nationale et desserrer l’étau sur la politique de l’élaboration du budget de l’Etat. La réforme budgétaire qui, selon le directeur général de la prévision et des politiques publiques au ministère des Finances, doit entrer en vigueur en 2015, astreindra les différents ministères à «présenter des études d’évaluation des coûts de chaque projet qu’ils désirent lancer». Une évaluation ex post devra être opérée pour prendre la mesure du niveau de suivi et d’application des prévisions initiales.