Salaires des députés: Circulez, il n’y a rien à voir !

Salaires des députés: Circulez, il n’y a rien à voir !

Depuis la première législature pluraliste, les salaires des députés sont un sujet qui scandalise les Algériens et contribue, à lui seul, à un beaux pourcentage du taux d’abstention dans les élections. Un tabou appelé à durer ?

Une information faisant état d’une hausse des indemnités des députés, passant de 300 000 DA à 400 000 DA, a circulé ces jours-ci dans la presse nationale et traitée d’ailleurs avec beaucoup de mécontentement. Un sentiment qui fut aussi celui d’une bonne partie de la population, si l’on en juge seulement par ce qui s’écrit dans les forums d’Internet.

Il n’y a aucune confirmation officielle à ces faits, ni à travers les canaux de communication de l’APN, ni à travers les médias gouvernementaux. Il y a, donc, dans ce manque de confirmation, des raisons de penser que la véracité de cette information est douteuse !

Non pas parce qu’une telle décision qu’auraient votée les députés, revêt un caractère impopulaire et peut donc avoir été prise sans trompette ni fanfare, mais parce qu’il existe par ailleurs des gardefous législatifs à ce type de décision. Les députés sont souverains dans ce qui concerne le fonctionnement de l’Assemblée, mais cette souveraineté n’est pas sans limites.

Comme le stipule la loi organique du 8 mars 1999, dans son chapitre VI, et notamment l’article 103, c’est seulement « au cours de la session d’automne de chaque année », que « chaque chambre du Parlement vote son budget sur proposition de son bureau ».

Les rémunérations et primes accordées faisant partie du budget de l’APN qui lui fait partie du budget de l’Etat, la loi stipule également que « le budget est communiqué au gouvernement pour être intégré à la loi de Finances ».

Enfin, l’article 104 exige que « la gestion financière de chaque chambre » du Parlement soit « soumise au contrôle de la Cour des comptes ». Ces principes sont d’ailleurs confirmés par le règlement intérieur de l’APN (selon la version disponible sur le site Internet de cette institution, qui publie le texte daté du 30 juillet 2000).

Au chapitre du budget de l’APN, l’article 80, qui rappelle que « l’Assemblée populaire nationale jouit de l’autonomie financière », souligne cependant que « le projet de budget, éventuellement remanié en fonction de l’avis de la commission des finances et du budget, est communiqué au gouvernement pour être intégré au projet de loi de finances ».

On comprend ainsi que décider d’une modification, quel que soit son degré, à la hausse ou à la baisse, dans ce qui touche au budget de l’APN, qu’il s’agisse des salaires des députés ou d’autre choses, ne peut pas intervenir à n’importe quel moment de l’année fiscale. Or, nous sommes en plein session du printemps.

De plus, modifier les dépenses de l’APN ne peut être effectué à l’insu du gouvernement. Sauf à considérer que les salaires des députés ne font pas partie du budget de l’APN, ce qui serait une contrevérité absolue.

LA TRANSPARENCE D’ABORD

Il est étonnant, après cela, de voir que non seulement l’APN maintient le silence sur ce qui a été publié, mais aussi tous les députés et les partis politiques auxquels, ils appartiennent évitent d’aborder cette affaire.

Et pourtant, cette question fait l’actualité et scandalise ceux qui pensent que cette information est vraie, notamment dans un contexte de conditions de vie difficiles pour beaucoup d’Algériens. Il n’est pas une spécialité algérienne que les salaires que touchent les parlementaires et les élus, souffrent d’un manque de transparence.

Partout dans le monde, l’omerta à laquelle participent tous les élus nationaux et locaux, du pouvoir comme de l’opposition, sur leurs salaires, fait l’objet d’un combat de tous les jours, de la part de la société civile et des médias. Tel est le cas dans le Tiersmonde comme dans les démocraties dites achevées des pays industrialisés.

On peut même ajouter que depuis quelques années, les élus occidentaux sont de plus en plus visés par la critique d’un manque de transparence sur leurs revenus dans le contexte d’une crise économique sans précédent. Mais le problème en Algérie, c’est que les élus sont… mal élus.

Entamée par un taux de participation des plus bas, l’actuelle législature n’est surtout pas vue comme une assemblée parfaitement représentative de la société et cela, pour des raisons diverses. La plus importante de ces considérations tient autant de la consistance des partis, qui ont réussi à faire élire leurs candidats, qu’aux pouvoirs limités, dont dispose le Parlement lui-même.

Nous le savons tous, ce dernier, à l’ombre de l’actuelle Constitution, est complètement écrasé par le poids du pouvoir exécutif.

COMMENT CALCULER LES SALAIRES ?

Malgré le mécontentement de voir les députés toucher de gros salaires, nulle personne dotée de bon sens, ne peut rejeter le principe que les députés doivent recevoir une rémunération.

Un député a besoin d’un revenu, car il est sensé ne rien faire d’autre que de défendre ses électeurs. Ce qui n’était qu’un vague principe auparavant, est aujourd’hui consacré par la loi organique n°12-02 qui définit les cas d’incompatibilité du mandat de député et qui a sérié pratiquement toutes sortes d’activités.

Mais il n’y a pas que le salaire. Il existe d’autres types de rémunérations dont l’usage est discutable et qui viennent sous la forme d’indemnités. L’une d’elles, que l’on peut qualifier d’indemnité de séjour, applicable aux élus ne résidant pas à Alger, vise à loger ces derniers.

Or, il est de notoriété que beaucoup de députés passent plus de temps dans la capitale et ses nombreuses opportunités que dans leur wilaya d’origine. Et si on leur demandait pourquoi ne sont-ils pas si proches de leurs électeurs, ils peuvent se cacher derrière l’argument que le mandat du député n’est pas local, mais national.

Ce qui n’empêche pas certains de… s’absenter lors des sessions ! Enfin, un autre type d’indemnités existe, devant permettre au député d’exercer sa mission. On peut y inclure les frais de transports ou d’autres frais liés à l’installation d’une permanence, etc.

Du reste, ce n’est pas tant le fait qu’ils touchent un gros salaire qui est au coeur des critiques formulées, que le justificatif politique et moral de cette dépense comptant parmi les ressources de la collectivité. Il est temps, avec la polémique qu’engendre la question des salaires des députés, que de nouvelles lois viennent enfin instaurer la transparence.

Le député doit être libéré de toute contrainte et jouir de l’indépendance financière, mais n’est-il pas temps d’assujettir les dépenses à des justificatifs attestant du juste usage des indemnités ?

Les députés ne sont pas des supercitoyens et, comme le prouve l’obligation qu’ils ont de publier leur déclaration de patrimoine, ils ont aussi une grande responsabilité dans tout ce qui a trait aux avantages réels ou supposés liés à leur mandat.

Une fois passé, ces questions de principe, il est temps aussi que la Loi codifie le barème de calcul du salaire du député et des primes qui l’accompagnent. En 1997, ce salaire était de 13 000 DA. Il est passé à 300 000 DA à la moitié des années 2000, et il se dit, sans confirmation officielle, que ce dernier a été relevé à 400 000 DA. Sur quelle base ?

Dans de nombreux pays, où la transparence continue de faire débat malgré les avancées démocratiques, il existe des barèmes pour cela.

Le plus courant est d’indexer le salaire du député sur une moyenne entre le plafond et le plancher de la rémunération des cadres supérieurs de l’Etat. En France, par exemple, cette moyenne est appliquée aussi, mais elle se situe dans la catégorie des salaires des fonctionnaires dit « hors échelle ».

On peut débattre à souhait sur le détail de cette question, mais l’essentiel est qu’il y ait une référence juridique au calcul de la rémunération des parlementaires. Il faut qu’elle soit connue de tous et donc opposable. A ce moment-là, la question des salaires des députés, objet de polémique mais aussi source d’un choc moral à chaque fois réédité pour les Algériens, pourra être banalisée.

Mais comme il ne faut pas être trop naïf, ce jour-là n’est pas encore pour demain. Et le premier à en profiter, bien plus que les députés eux-mêmes, c’est bien entendu le gouvernement qui, non content d’écraser le Parlement par ses pouvoirs étendus, trouve là, un levier toujours efficace pour décrédibiliser les députés. Juste au cas où ils se prendraient trop au sérieux…

N. B.