Salah Goudjil, «Belkhadem s’accroche pour couvrir son échec»

Salah Goudjil, «Belkhadem s’accroche pour couvrir son échec»

Dans cet entretien, Salah Goudjil, compagnon de Mustapha Ben Boulaïd, ancien ministre des Transports, actuel membre influent au sein de la direction nationale du FLN et chef de file des redresseurs, nous livre ses impressions et commentaires sur la crise qui perdure au sein du FLN et sur l’actualité nationale marquée notamment par les résultats des dernières élections locales et sénatoriales et la récente visite du président français.

Le Soir d’Algérie : Où en est le Mouvement du redressement et de l’authenticité du FLN ?

Salah Goudjil :

Je rappelle qu’à la veille des élections législatives, cinq membres de la direction provisoire du MRA (sur un total de vingt-trois dont treize membres du comité central et dix cadres nationaux), ont choisi de rejoindre individuellement le groupe des contestataires du comité central, après avoir annoncé leur décision unilatérale de me remplacer en tant que coordinateur du Mouvement. Leur grief : je n’aurais pas su négocier avec le secrétaire général la liste commune des candidats aux législatives. En guise de réaction de ma part, considérant d’une part que le titre de coordinateur n’était en fait qu’une tâche bénévole que j’avais acceptée, dans l’intérêt du parti, d’assumer provisoirement et ne courant pas derrière les postes de responsabilité d’autre part, j’ai donc choisi de ne pas polémiquer et de laisser faire. D’autant que le groupe majoritaire de la direction m’a renouvelé sa confiance en publiant dans la presse nationale une mise au point très claire avec les noms des signataires.

En tous les cas, en ce qui me concerne, j’ai toujours pris mes responsabilités en affrontant le secrétaire général, devant les instances dirigeantes, sur des problèmes de fond liés aux intérêts du parti et je continue à considérer que le plus important aujourd’hui, c’est de trouver une issue de sortie à la crise que traverse le parti en rassemblant tous ses militants authentiques autour des principes généraux du FLN. Tout le reste est secondaire à mes yeux.

Depuis la dernière session du comité central du FLN (session à laquelle d’ailleurs vous avez tenu à participer avec votre groupe de la direction du MRA), on assiste à une bataille de listes pour ou contre l’éviction du SG. Où en est-on au juste ?

Après un long boycott du comité central, le groupe majoritaire des membres de la direction du MRA a tenu, pour répondre à l’insistance du SG, à participer aux travaux de la session ordinaire du comité central de juin dernier (quoi qu’on ait dit sur sa composante), afin d’exposer devant cette instance notre position vis-à-vis de la crise qui secoue le parti et avancer des propositions concrètes pour en sortir. Malheureusement cela n’a pas été possible pour les raisons que vous connaissez. A la fin de cette fameuse journée marquée par la violence, Belkhadem est venu exhiber furtivement des feuillets censés porter des signatures en faveur de son maintien, alors qu’en vérité, il ne s’agissait (d’où d’ailleurs son refus de divulguer ces listes à l’opinion publique) que des feuilles de présence signées par nous tous le matin même. Triste spectacle dont le parti aurait pu se passer si le SG avait eu ce jour-là le courage d’accepter de se plier au verdict des urnes. Depuis, trois groupes dont le mien se partagent la scène de l’opposition au sein du comité central. Un point commun nous unit : le constat de l’échec du SG. Les divergences résident dans la manière de gérer le parti après son départ qui devient inéluctable. Mais on finira bien par trouver un consensus dans l’intérêt général du parti !

Concrètement, que préconisez-vous pour sortir de cette crise ?

Nous sommes convaincus que le parti a un rôle important à jouer dans la vie et l’avenir du pays. Pour dépasser cette crise et remettre le FLN sur les rails, il y a lieu de procéder à la désignation d’un comité restreint composé de cadres crédibles et désintéressés ayant assumé des responsabilités nationales au sein du parti.

Ce comité, en tant que Comité de rassemblement, d’unité et d’action sera appelé, pour une courte période de transition, à remplacer la direction actuelle. Il aura, dans un premier temps, à faire appel à des cadres nationaux dont des membres du CC pour superviser une opération de restructuration rapide de la base (kassamate et mouhafadhate) et dégager des délégués à une conférence nationale. Cette conférence aura à procéder à une évaluation objective de la situation générale du parti et désigner une commission devant préparer un congrès extraordinaire. De ce congrès émergera démocratiquement une direction compétente et dynamique, version nouvelle génération, qui sera chargée de mettre en œuvre le futur programme du parti.

Comment doit se faire la désignation de ce «CRUA» aux initiales prédestinées ?

Le parti a connu par le passé des situations similaires qui peuvent constituer des précédents dont on peut s’inspirer et régler la question soit dans le cadre d’une session ordinaire si c’est le SG qui la convoque, soit, le cas échéant, dans le cadre d’une session extraordinaire si elle est convoquée par les deux tiers des membres du comité central. 

Quels commentaires faites-vous sur les dernières élections locales et sénatoriales ?

Il faut se rendre à l’évidence : pour les élections locales, globalement le peuple, souverain, s’est exprimé, quoi qu’on en dise, librement et ce, conformément à la Constitution. Mais le fort taux d’abstention ainsi que le nombre élevé de bulletins nuls enregistrés lors de ces dernières élections locales sont significatifs et interpellent tout le monde : institutions, partis, société civile et citoyens. Synonyme sans doute de désaffection et de rejet de la chose politique (si on exclut les intempéries qui ont découragé la population, surtout urbaine, à sortir), ce désintérêt peut trouver, en grande partie, son explication, à mon avis, d’une part, dans le mode de scrutin retenu et d’autre part dans les méthodes du choix des candidats ainsi que dans le discours inapproprié servi par la majorité des formations politiques pendant la campagne. Réunis, ces facteurs sont de nature à entamer sérieusement la confiance des électeurs surtout s’ils sont déjà échaudés par des expériences antérieures avec leurs lots de promesses souvent non réalistes, voire parfois irréalisables. Les propositions se rapportant au projet de la loi électorale présentées en octobre 2011 par le Mouvement du redressement et de l’authenticité (MRA) à l’occasion de la tenue de sa conférence nationale (conférence largement couverte en son temps par les médias), me semblent à même, pour peu que l’on en tienne compte à l’avenir, de contribuer à regagner la confiance de l’électeur. En effet, nous avons proposé comme mode de scrutin la combinaison du système de la liste avec le système individuel afin de consacrer le principe de la liberté du peuple de choisir en toute connaissance et responsabilité ses représentants tout en garantissant son droit à l’adhésion partisane. Selon ce mode électoral, l’électeur choisit en même temps le parti et le programme politiques qu’il préfère en sélectionnant une liste parmi les listes proposées au vote et ne retient dans cette liste que le ou les candidats qui lui paraissent mériter sa confiance. De ce fait, ne seront retenus en fin de compte que les listes et les candidats qui auraient récolté le plus de voix des électeurs indépendamment de leur classement. Ce mode national de vote proposé, en plus du fait qu’il combat l’abstention électorale en renforçant les liens entre l’élu et ses électeurs, est à même de réaliser une saine concurrence entre les partis autour du meilleur programme proposé avec les éléments les plus compétents jouissant d’une bonne réputation et proches des citoyens, pour le réaliser. A mon avis, si de telles propositions avaient été retenues, bien des déviations et des déboires auraient été évités pendant l’opération de vote et nous n’aurions pas assisté par la suite au marchandage des voix des élus et à l’achat des positions dans le classement afin de s’accaparer de la présidence des assemblées. Cette pratique immorale doit être combattue et condamnée car elle va à l’encontre de la Constitution et des principes démocratiques qui bannissent le détournement du choix et de la volonté des électeurs. Elle ne manquera pas, je le crains, d’induire des effets négatifs et ravageurs sur la gestion future des collectivités locales concernées, les élus parachutés considérant qu’ils n’ont aucun compte à rendre à des électeurs qui ne les ont pas choisis. 

Les résultats obtenus par le FLN aux dernières élections locales et sénatoriales cadrent-ils avec le pronostic fait préalablement par Belkhadem ?

Les résultats parlent d’eux-mêmes. Comparés aux résultats des élections antérieures, nous ne pouvons que constater, et c’était prévisible, que le parti est en perte de vitesse constante et les résultats des élections sénatoriales l’ont encore confirmé alors qu’il a le plus grand nombre d’élus locaux ! Imperturbable, vivant sur un nuage, le SG s’accroche, pour couvrir son échec, à la première place qu’occupe le parti dans la représentation nationale. Nous sommes loin de son optimisme pronostiquant – sur quelle base ? je me le demande ! – l’obtention de 1 000 communes et rafler la majorité au Conseil de la nation ! Ceci au moment où le parti, qui vit une grave crise interne du sommet à la base, donne la triste image d’un parti miné par l’argent sale, un parti qui marginalise ses militants intègres, s’éloigne des organisations syndicales et sociales, ignore la société civile et ne s’implique pas dans les questions vitales tant nationales qu’internationales liées au destin du pays. En contrepartie, le SG n’hésite pas à ouvrir les portes du parti aux lobbys financiers et aux hommes d’affaires douteux pour les placer en tête des candidatures à des postes électifs sans se soucier de leur adhésion aux principes du FLN et s’ils remplissent les conditions statutaires. Les alliances contre nature que ces derniers contracteront une fois élus, guidés en cela par leurs intérêts propres au détriment de l’intérêt général, ne manqueront pas de ternir davantage l’image et la réputation du parti en portant préjudice aux collectivités !

Belkhadem a promis de démissionner si le FLN n’obtennait pas la majorité dans 1 000 communes ! Quel est votre commentaire à ce sujet ?

Au-delà du nombre des sièges obtenus et eu égard à la gestion catastrophique du parti par le SG actuel, et ce, depuis des années, sa démission ne serait qu’une première phase dans le processus devant ramener le parti à ses valeurs novembristes et à ses militants authentiques. Les résultats des élections locales et sénatoriales étant ce qu’ils sont, il revient au SG d’en tirer les conclusions conformément à son engagement et ne pas chercher des faux fuyants en reniant ses engagements comme il l’a toujours fait !

Passons à un autre sujet. Quel est votre avis sur les réformes constitutionnelles en cours ?

En me référant encore une fois à la conférence nationale du MRA en octobre 2011, citée précedemment, je rappellerai qu’à cette occasion nous avons fait des propositions d’amendement de la Constitution touchant à la forme et au fond. Ces propositions ont été transmises à qui de droit et l’APS les a rapportées intégralement. Nous ferons en sorte, le moment venu, de revenir à la charge pour que cette contribution soit examinée et pourquoi pas prise en considération, car nous sommes convaincus que ces réformes constitutionnelles, si elle ne sont pas dévoyées, pourraient consacrer et enraciner effectivement la pratique démocratique dans le cadre de la primauté du droit et les exigences de la bonne gouvernance fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs et assurant la promotion des droits et libertés fondamentales, individuelles et collectives. Pour ce faire, la préparation du projet de cette Constitution doit être confiée, à mon sens, à une commission nationale compétente, intègre et neutre composée surtout de spécialistes qui auront notamment à clarifier les attributions entre les pouvoirs tout en renforçant les divers moyens de contrôle. 

Vos commentaires sur la récente visite de Monsieur François Hollande en Algérie ?

Il faut rappeler qu’il s’agit d’une visite d’Etat qui a ses règles et ses objectifs, ses contraintes et ses limites. Apparemment cette visite a été préparée minutieusement des deux côtés. Plusieurs volets ont été abordés à cette occasion et la déclaration d’Alger illustre la volonté des deux parties d’aller de l’avant. A côté du volet économique, le volet politique et mémoriel a pris une part importante dans cette visite. Concernant le problème épineux de l’Histoire, le président Hollande a mis l’accent sur deux points importants : la vérité et la volonté. C’est, à mon avis, ce qui va marquer les rapports entre nos deux pays durant les cinq prochaines années. Personnellement, en tant que moudjahed, je considère que nous avons arraché le recouvrement de notre souveraineté nationale de haute lutte et au prix fort : pour moi, c’est ça l’essentiel. La reconnaissance officielle par l’Etat français du fait colonial abject durant 132 années (fait dénoncé même par des historiens français de renommée dont je salue ici le courage et l’honnêteté intellectuelle, qui ont compris avec une grande partie de leurs concitoyens que nous avons combattu le colonialisme et non le peuple français) est d’abord, à mes yeux, une affaire purement française. Exprimée officiellement, elle peut contribuer à l’apaisement de la mémoire et faciliter le rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée pour construire sereinement un avenir commun à travers une coopération solide qui sera bénéfique pour les deux peuples sur tous les plans. C’est apparemment le message qu’a voulu nous transmettre le chef d’Etat français dans un contexte particulier pour chacun des deux pays. En tous les cas, l’Histoire retiendra les intentions et jugera les actes de chacun !

Etes-vous pour un nouveau mandat pour le président Abdelaziz Bouteflika ?

Il est trop tôt pour aborder ce sujet mais quand on analyse la situation du pays et les profondes mutations internes et externes qu’il est en train de vivre, tout Algérien sain d’esprit ne peut que souhaiter que son pays continue à se protéger et se prémunir contre les menaces qui le guettent de toutes parts tout en se préparant à relever les défis — et ils sont nombreux — qui l’attendent. Les mécanismes encore fragiles mis en place ou en cours pour gérer des situations complexes militent pour penser d’abord à la stabilité des institutions du pays, à consolider les acquis et à avancer dans la sérénité et la prudence nécessaires. Laissons donc les choses mûrir et ne pensons qu’au devenir de l’Algérie et rien que le devenir de l’Algérie !

Mokhtar Benzaki