Avocat près la cour d’Alger, militant de la Laddh et membre de la Commission des droits de l’Homme de l’Union internationale des avocats, Salah Dabouz estime que la valse des officiels à Ghardaïa “n’a pas changé les choses”.
Liberté : Vous vous êtes déplacé à plusieurs reprises à Ghardaïa pour enquêter sur place. Quelle est votre lecture de ces événements ?
Salah Dabouz : Les évènements de Ghardaïa sont l’une des conséquences du comportement du pouvoir envers la société algérienne d’une façon générale et les Ghardaouis en particulier. Le pouvoir algérien veut que la population lui soit soumise, pour la façonner comme il l’entend. “La société ghardaouie” a ses spécificités. Elle est composée de deux communautés et compte en son sein, à elle seule, tous les fondements de l’identité nationale car formée de populations amazighophones de rite Ibadite, d’une part, et arabophone de rite Malékite, d’autre part, qui cohabitent dans la paix depuis plusieurs siècles. Cette diversité culturelle qui peut paraître, la cause du conflit n’est en réalité qu’un élément enrichissant que certains veulent utiliser à d’autres desseins. À mon avis, le déclencheur principal des derniers événements, c’est la misère qui a engendré des foyers de délinquance. L’administration locale a joué un rôle néfaste en ne traitant pas les Ghardaouis comme des citoyens qui ont des droits garantis par la Constitution, à commencer par le droit à l’éducation, au travail, au logement et aux soins. Lors de notre déplacement sur place, des victimes des deux côtés ont exposé les mêmes préoccupations : non-accès au logement, le chômage, déperdition scolaire et défaillance de la couverture sociale. Certains ont évoqué également le cas du président d’APC destitué illégalement et remplacé par un autre dont la liste serait arrivée en dernière position. À la mi-décembre, les choses se sont exacerbées. Des jeunes ont contesté le non-affichage de listes de logement par l’administration locale. La situation a dégénéré en affrontements intercommunautaires entre des habitants de la cité des Moudjahidine et des habitants du vieux Ksar de Ghardaïa. Donc pour nous, il y a une misère sociale qui a engendré une colère contre l’administration locale en particulier et globalement contre le pouvoir central que certains ont instrumentalisé, en jouant sur les particularités culturelles de la région.
Quelle évaluation faites-vous de la gestion sécuritaire de ces affrontements intercommunautaires ?
Pour la Laddh, la gestion sécuritaire de ces affrontements est désastreuse. Nous détenons des vidéos qui montrent comment un citoyen est tabassé à mort par une dizaine de policiers. Ce n’est là qu’un exemple des dépassements que subissent les citoyens de Ghardaïa, sous prétexte de maintien de l’ordre public.
Comment expliquez-vous l’incapacité des forces de sécurité à identifier les auteurs des troubles et ceux qui attisent le feu parmi les deux communautés, malgré un déploiement massif de policiers et de gendarmes ?
Le comportement des forces de sécurité reste inadmissible. Ils parlent de “gestion démocratique des foules”, un concept nouveau en relation avec l’accompagnement des foules dans les sociétés en avance pour justifier leur laxisme — surtout au début car la situation était facilement contrôlable — face à des situations d’attaques violentes et d’actes de vandalisme.
En face, nous avons des citoyens qui aidés par de nouvelles technologie ont réussi à identifier certains émeutiers et apporté la preuve de la partialité de certains éléments des forces de sécurité.
La tension est montée d’un cran avec la mort de trois personnes, sans compter le nombre important de blessés. Doit-on s’attendre à une montée de la violence dans les prochains jours ?
Nous redoutons au sein de la Laddh que ces affrontements se propagent au reste de la wilaya, ce qui constituera un précédent très grave. Nous attirons l’attention sur les risques de nouveaux dérapages, à cause de cette gestion inappropriée de la situation. Ce qui se passe à Ghardaïa doit être traité, dans le cadre des institutions de la République et l’application des lois et dans le strict respect des droits de l’Homme. C’est le seul moyen d’un traitement durable de ce conflit. Sinon le bilan des morts risque encore de s’alourdir.
Avez-vous une estimation des dégâts matériels ?
Les dégâts matériels sont énormes : plus de 150 commerces incendiés ou saccagés, plus de 450 milliards de centimes de perte en marchandises, plus de 800 habitations et 30 jardins brûlés. Ce qui est terrible également, c’est la détérioration d’un site classé patrimoine universel par l’Unesco, sous le regard des forces de sécurité.
Le FFS soutient que les événements de Ghardaïa ont un lien avec les échéances électorales en cours et relèvent d’une manipulation “de groupes au sein du pouvoir qui alimentent la haine et la violence”. Qu’en pensez-vous ?
Les opinions de certains partis politiques sont fondées sur des probabilités plus que sur des faits. Au sein de la Laddh, on évite de commenter ce genre de propos en préférant se référer aux faits et actes concrets, en l’occurrence l’absence totale de l’État et l’abandon de son devoir constitutionnel le plus élémentaire qui est la protection de la vie des citoyens et leurs biens.
Le Premier ministre par intérim s’est rendu il y quelques jours sur les lieux. Ce déplacement ne vient-il pas un peu en retard ?
Avant le déplacement du Premier ministre par intérim à Ghardaïa il y a eu celui du Premier ministre lui-même suivi de celui du ministre de l’Intérieur, visite durant laquelle, ce dernier a déclaré que dorénavant, les lois de la République seraient appliquées avec rigueur, sans abus et sans hésitation. Mais, sur le terrain, on constate que rien n’a changé.
Que faut-il faire pour apaiser les esprits et faire revenir le calme durablement ?
Pour nous, le laxisme des autorités face aux graves atteintes des droits de l’Homme contre des citoyens à Guerrara commises par des éléments de forces de sécurité, a suscité un sentiment d’impunité et d’injustice difficile à résorber.
Ensuite, le fait de s’appuyer sur des gens qui n’on rien à voir avec les institutions de la République en l’occurrence les “notables et sages” pour régler ce conflit, au lieu d’appliquer les lois de la République dans le cadre des ses institutions a créé un état de déliquescence difficile à maîtriser. L’avenir est sombre.
N.