Il y a presque une année, un film a été produit à 100% par l’Algérie sur l’une des plus importantes figures de la révolution, Ahmed Zabana.
Le film a été présenté dans les plus importants festivals du monde et comme le film La Bataille lAlger, il y a plus de 60 ans, Chroniques des années de braises de Lakhdar-Hamina en 1975, ou encore Hors-la-loi de Bouchareb en 2010, le film a suscité, durant plus d’une année, en Algérie et surtout à l’étranger, débats contradictoires, polémiques et succès, reconnaissance, mais aussi indifférence.
Quel objectif a atteint cette oeuvre cinématographique qui, une nouvelle fois, a mis l’histoire de la Révolution algérienne sous les projecteurs du cinéma. Son réalisateur Saïd Ould-Khelifa a bien voulu répondre à nos questions quelques heures avant son départ à Cannes, pour un énième tour du monde du 7e art.
L’Expression: Presque une année après la production du film Zabana!, quel bilan faites-vous de cette expérience cinématographique unique dans votre parcours de réalisateur?
Faire un film est surtout un acte d’amour, et donc on y trouve autant de responsabilité je présume, que d’inconscience… Et donc pour en revenir à Zabana! je crois que le premier constat, au terme d’une année d’existence de ce film, est au-delà de toutes mes attentes. Quand vous vous retrouvez au festival de Toronto face à des Indiens qui vous disent leur admiration pour une oeuvre qui, ainsi, leur rendait «presque justice», au regard de ce qu’ils avaient subi sous la domination britannique ou bien face à une anthropologue iranienne, notamment qui relève la spiritualité du propos! Ou bien à Rome, la première ville européenne où est passé le film (!) et où la «filiation», avec le film mythique de Pontecorvo, a été relevée, à ma grande fierté et surprise réunies… Depuis, Zabana!, fait carrément, la «navette» entre Alger et plusieurs villes américaines, en passant par Pékin, Ouagadougou, Dubaï, Mons (où le Premier ministre belge est venu nous saluer à cette occasion), Téhéran, et bientôt Rotterdam, Hambourg, Douala et une dizaine d’autres capitales à venir. Au Festival d’Alès, où le film était montré pour la première fois dans un festival français, une dame avait fait le voyage depuis Avignon, pour voir le film, dans une salle comble elle est intervenue pour dire sa grande satisfaction ajoutant «il faudrait nous faire le même film sur les prisonniers palestiniens!», il s’agit de Leïla Shahid, la Représentante de la Palestine à Bruxelles! En juin prochain, il sera programmé en même temps que… La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, au festival de Liverpool! A chaque fois, chez le public, le film vous rend cela avec des larmes et aussi une certaine gratitude d’avoir levé le voile sur la barbarie qui a été le moteur de l’oeuvre «civilisationnelle», comme ils disaient, de la colonisation! Le public étranger, lui, dit par contre et à chaque fois, sa satisfaction de voir pour la première fois exposé dans un film «du Sud» et, a fortiori, algérien, le point de vue de la puissance coloniale. C’est une première, en effet.
Aucun film algérien n’a été sélectionné en compétition au festival de Cannes cette année. Comment analysez-vous cette absence très remarquée de l’Algérie qui reste tout de même le seul pays africain et arabe à avoir décroché la Palme d’or?
Je crois que les sélectionneurs en sont conscients, pas seulement de l’absence de films du Sud et donc d’Algérie, preuve en est lorsqu’ils se défendent, lors de la conférence de presse annuelle, qui précède de peu le festival, de favoriser certains cinéastes, plus que d’autres. Ce que les critiques ont fini par appeler «ceux qui ont la carte»! C’est donc à nous de reprendre le travail de lobbying, en invitant les sélectionneurs sur les tournages, et aux manifestations cinématographiques que nous organisons. Cela se faisait dans le passé avec des résultats plus que probants! Nous payons cette «omission» de la portée médiatique et inestimable de ce genre de festivals… C’est ce que les Iraniens ont fait dès le début, tout comme les Sud-Coréens, les Roumains etc….Mais je peux dire qu’avec un peu de rigueur dans le travail et un accompagnement stratégique adéquat, le film algérien peut aisément reprendre le chemin des grands festivals du monde. Et puis nous devons aussi faire venir des distributeurs et des vendeurs internationaux, c’est une plus-value indéniable. Un film est aussi un produit commercial. Pour reprendre le cas de la Roumanie, le cinéma est devenu un des plus grands pourvoyeurs de devises pour ce pays!
Pensez-vous que les critères de sélection sont toujours politiques à Cannes?
Oui, d’une certaine manière, voire d’une manière certaine, dès lors qu’il s’agit, surtout, des films du Sud. Actuellement la mode est à l’Amérique latine, je n’oserai faire un parallèle avec la «migration» du Paris-Dakar vers ces contrées, mais presque…Cette année, tout le monde a remarqué que les «ébats» cinématographiques vont être, essentiellement franco-américains…
A ce jour, le film Zabana! n’a pas été projeté en France, est-ce une censure ou un blocage?
S’il y a une censure, elle n’a pas encore dit son nom… Mais à défaut de blocage, je dirais qu’il s’agirait, dans le cas d’espèce, de la règle des «non-dits»… Un distributeur qui vous bloque le film des semaines pour dire, au final, qu’il est «esthétiquement trop bien fait!» un autre qui trouve que «c’est gênant parce que ça sent la commande du régime», pour reprendre un critique d’Africulture. Le film a été pourtant montré à un panel de plus d’une centaine d’exploitants de salles de l’ouest de la France, à Carnac, en mars dernier. Nombre d’entre eux ont demandé à le programmer à sa sortie. Mais on a dû surseoir à cela, dès lors que la date prévue de sa sortie dans le circuit français (le 24 avril) a été décalée à la rentrée…Cela permettra au distributeur de préparer le dossier pédagogique pour les scolaires, en France, dans le cadre de l’opération «lycéens au cinéma».
A ce sujet, nous pressentons l’apport d’une historienne, Sylvie Thénault, qui a beaucoup aimé la justesse historique du film, ce sera une façon de faire pièce à la polémique qui est en train de monter. Ce qui n’est pas pour déplaire…
Des sommes astronomiques sont investies dans les films sur la Révolution. Comment expliquer que, mis à part votre film qui a été sélectionné dans de grands festivals comme Toronto, Dubaï ou encore Ouagadougou et remporté plusieurs prix, aucune visibilité n’a été notée chez les autres films financés dans ce contexte?
Je pense qu’il doit y avoir un suivi. Peut-être que cela doit figurer dans le contrat de production. Faire des films et ne pas les montrer, cela frise le non-sens. Je reviens de Sétif où le film a été programmé, à l’occasion du 8 Mai 1945, à l’initiative du wali, et je peux vous dire que ce fut un débat d’un haut niveau intellectuel qui m’a marqué. Les édiles de la ville étaient là au même titre que les autres citoyens venus en nombre pour voir et «décortiquer» ce travail. Par ailleurs, Zabana! est programmé pour la troisième fois à Alger, il a été également montré dans nombre de villes de l’intérieur et nous reprenons la tournée autour de la commémoration du 19 juin.
Laith Media est aussi en discussion avec la Cinémathèque algérienne afin de faire la tournée des salles de répertoire. Nous envisageons aussi de le programmer dans le sud du pays.
Il serait judicieux, peut-être, de fixer un délai, après l’avant-première, pour la sortie en salles et pas seulement à Alger! Sans doute épargner une somme pour la distribution nationale et internationale, le cas échéant.
En France, par exemple, afin de permettre aux salles d’amortir leur investissement dans le numérique, les distributeurs doivent verser, 300 euros au titre du Virtual Print Fee (VPF) (or un film comme Zabana! est attendu dans pas moins de 5o salles), frais auxquels il faudra ajouter ceux du dossier et des projections de presse ainsi que ceux d’acquisition des DCP, ces clés numériques qui remplacent maintenant les copies 35 mm…
La ministre de la Culture vient d’apporter son soutien à votre film dans la polémique créée par l’Association des anciens condamnés à mort. Un commentaire?
Certes, je n’avais aucun doute sur les faits historiques tels que montrés dans le film, j’avais pris la précaution de tout vérifier en amont. Mais quand même, je dois dire que j’étais fier du soutien affiché par Khalida Toumi, la ministre de la Culture… Une responsable politique qui se dresse contre la censure d’une oeuvre artistique, il y en a peu et l’ex-critique de cinéma peut vous dire qu’on a tôt fait d’en dresser la liste. Il y a eu Melina Mercouri, en Grèce, Jack Lang en France et Milar Piro en Espagne et basta!. Dans le monde arabo-musulman, je ne demande qu’à connaître les noms de ceux qui n’ont pas caressé dans le sens du (mauvais) poil…En un mot, c’est le public qui doit être le vrai…«censeur»! Le seul juge! J’ajouterais que Mme la Ministre ne pourra craindre d’être contredite par les premiers concernés, les spectateurs! Il suffit pour cela d’aller à la sortie des salles ou d’assister aux débats.
Comme ceux qu’on a eu, aussi bien au cercle militaire de Béni Messous, que dans les salles publiques. Une dernière anecdote, sur Facebook, un critique nigérian a écrit «Algerians must be very proud of that work!» («Les Algériens se doivent d’être fiers de ce travail»)… Il avait vu le film à bord de la compagnie aérienne des Emirats! Ce qui est aussi une première pour un film algérien…