Said Chabani, Professeur à l’Ecole Nationale Supérieure de Journalisme, «L’entreprise algérienne hésite à communiquer»

Said Chabani, Professeur à l’Ecole Nationale Supérieure de Journalisme, «L’entreprise algérienne hésite à communiquer»
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Avec l’évolution du marché économique et la révolution technologique, l’entreprise algérienne se voit dans l’obligation de communiquer pour mieux intervenir et influencer le marché. Cependant, depuis l’ouverture du marché national à l’extérieur, l’entreprise nationale néglige la communication sur son image et se concentre davantage sur le volume des ventes. « Une démarche incorrecte », selon M. Chabani, Expert dans le domaine, qui nous explique dans cet entretien, paru dans les colonnes de L’Éco (N°107 / du 1er au 15 mars 2015), l’importance de joindre la communication corporate à la communication commerciale pour mieux atteindre ses objectifs.

L’Eco : Plusieurs personnes confondent entre une stratégie de communication et une politique de communication. Expliquez-nous la différence entre ces deux concepts.

Said Chabani : Il faut savoir que la stratégie de communication est plus globale par rapport à la politique de communication. Elle comporte plusieurs aspects dont la communication de l’entreprise à l’interne et la communication commerciale. Cette dernière est encore plus spécifique par rapport à la communication interne car elle cherche à faire connaître ses produits et services dans l’objectif d’acquérir des parts de marché et vendre plus. Dans le marketing, particulièrement, existe aussi plusieurs aspects dont la qualité du produit, la façon dont le produit est présenté (l’emballage) et il y a le prix du produit. Quand on a tous ces éléments, il ne reste plus la communication sur le produit. C’est-à-dire mettre les moyens pour faire connaître le produit afin de le vendre. Sans oublier de prendre en compte le facteur externe de l’entreprise qui est très important car quand il n’est pas favorable, ça ne sert à rien de communiquer sur le produit.

A titre d’illustration, quand le prix est très élevé, le produit est mal emballé, le produit n’est pas conforme et comprend des défaillances au niveau de son circuit de distribution, en plus de la concurrence accrue, une petite entreprise a peu de chances de convaincre le client et ce, quels que soient la politique marketing et le plan de communication mis en place. C’est très important de distinguer la politique de communication de la stratégie de communication car la première est plus consistante et prend en compte tous les paramètres cités tandis que la stratégie de communication s’appuie sur la façon et les outils de communiquer sur le produit. Donc la différence, c’est au niveau du contenu. En Algérie, nous avons beaucoup plus avancé sur le plan de la communication commerciale, à savoir la publicité et de marketing, contrairement au volet de la communication interne et corporate qui est peu développé. Ces dernières 15 années, le volet publicitaire a eu un bond très important, notamment, depuis notre passage à l’économie des marchés et ouvertures de capitaux. C’est qui a aidé nos entreprises à prendre conscience de l’importance de communication marketing tandis que la communication globale, d’image et corporate de l’entreprise, demeure en déclin, à l’exception des grandes entreprises. Maintenant, bien sûr, le résultat sur le terrain est une autre question parce que, quand il y a une situation de crise, l’entreprise hésite à communiquer alors qu’elle doit le faire pour s’en sortir. Il y a, également, un autre problème que rencontre l’entreprise en Algérie, c’est le respect des normes internationales des campagnes publicitaires, à l’exception de quelques agences internationales installées en Algérie. Sinon, les autres adaptent peu leur stratégie marketing aux normes internationales, au lieu d’étudier leur stratégie sur trois ans, ils le font en un mois. Ainsi sans en être consciente, l’entreprise enregistre des pertes sur son marché.

LG Algérie

Alors comment l’entreprise algérienne peut-elle corriger ces défaillances et établir un plan de communication commerciale ou corporate corrects ?

Il faut, par ailleurs, distinguer le service communication du service commercial et marketing bien qu’ils soient complémentaires. Pour le service commercial et marketing, pratiquement la plupart des grandes entreprises, en ont car il est important de décider de la politique de communication et du budget, en dépit du non respect des normes internationales de la publicité. Les raisons de cette anarchie sont l’absence de contrôle, d’agences spécialisées et surtout les coûts des opérations marketing. De ce fait, les entreprises réduisent les budgets et font des plans marketing en une semaine. Ce qui est mauvais pour la diffusion de l’entreprise. Egalement, une cellule indépendante de service de la communication existe dans la plupart des grandes entreprises tandis que certaines autres préfèrent les combiner en un seul service communication et marketing. Le fait d’avoir déjà ces services, c’est important pour l’entreprise, il ne reste qu’à prendre conscience de la nécessité de communiquer pour l’ensemble des entreprises et même pour les institutions pour qu’elles s’exercent davantage afin d’intégrer ces services dans leur organigramme. Donc, l’entreprise doit s’adapter à l’environnement extérieur qui l’aidera à communiquer et corriger toutes ses défaillances, notamment, sous l’effet de la concurrence.

Certaines entreprises hésitent à intégrer ce service dans leur organigramme en raison d’absence de compétences qualifiées pour le gérer ?

A la fois, c’est vrai et faux. D’abord, nous ne pouvons pas parler de compétences si nous n’avons pas de structures. Dès qu’on se dote d’une structure adéquate, nous cherchons des compétences qualifiées pour la diriger. Maintenant, si l’entreprise n’a pas ce service, elle peut appeler une agence de communication pour le faire. Cependant, il faut qu’il y ait une volonté à communiquer avant de s’engager et élaborer une stratégie de communication générale de l’entreprise. Si toutes ces conditions sont réunies, la compétence est facile à trouver car dans tous les cas, l’entreprise se doit de la former en fonction de sa culture et politique.

En fonction de quoi, l’entreprise définit son budget et plan de communication ?

Dans la stratégie et la politique de communication, il y a des étapes à respecter. L’entreprise doit d’abord élaborer une politique générale du développement ou industrielle de l’entreprise afin de définir les objectifs et les approches d’organisation. Une fois cette politique générale établie, l’entreprise réfléchit à sa politique et stratégie de communication. Ainsi, elle peut faire face à ses concurrents et se démarquer d’eux à travers la séduction de sa cible. Ensuite, l’entreprise décide des moyens à engager pour communiquer. Ce n’est pas toutes les entreprises qui peuvent utiliser des spots publicitaires à la télévision, radios ou autres. Donc, l’entreprise prend en compte tous ces paramètres pour définir son budget de communication. En général, le taux du budget de la communication est fixé à une moyenne de 5% sur du chiffre d’affaires global de l’entreprise. Cependant, ce n’est pas une obligation car ce taux peut être inférieur ou supérieur à 5%, selon les capacités de l’entreprise et de la stratégie du plan média. Il n y a pas de règle préétablie, mais il y a des règles à respecter comme faire des campagnes de publicité loyales. Egalement, il y a des règles de comptabilité et de comportements à prendre en compte et qui ne doivent pas dépasser un certain seuil. Un plan de communication globale se fait sur une période trois ans et chaque année, l’entreprise effectue une évaluation d’étapes pour apporter des réglages ou correctifs à la stratégie initiale. Au bout de trois ans, l’entreprise peut faire l’évaluation de l’application de ce plan de communication de manière globale. Cependant, s’il s’agit d’un plan de communication de l’image de l’entreprise, il peut aller jusqu’à une dizaine d’années. En conclusion, toutes ces actions se rejoignent pour réaliser une stratégie de communication et marketing efficace.

Pourquoi avoir peur de communiquer et quel est l’impact d’une absence d’un tel service sur l’investissement d’une entreprise, notamment, les micro-entreprises ?

Certaines entreprises n’ont pas les moyens tous simplement, tandis que chez d’autres, ce sont les dirigeants qui ne voit pas d’utilité à communiquer ou de faire de la publicité. Ils estiment que c’est une perte d’argent et du temps pour l’entreprise. C’est une forme d’inconscience car nous ne pouvons pas avancer sur le marché sans communication. En Algérie, il faut savoir que c’est l’entreprise publique qui a pris de l’avance en termes de communication, comme Sonatrach, Air Algérie, Sonelgaz et la Banque d’Algérie. Ensuite avec l’ouverture du marché à l’international, les entreprises privées ont émergé grâce à des plans de communication efficace. Quant au retour sur l’investissement attendu, il concerne la valorisation et la promotion de la marque de l’entreprise, mais surtout réaliser des gains et gagner des parts de marché.

Samira Bourbia