Liberté : Nous sommes en pleine saison estivale et l’Algérie est toujours boudée par ses touristes, toujours aussi nombreux à être attirés par d’autres destinations. Quelles sont, d’après vous, les raisons d’une telle désaffection ?
Saïd Boukhelifa : L’Algérie est toujours boudée par les Algériens par le fait qu’il n’existe aucune communication attractive et incitative de la part des institutions concernées, notamment les quatorze wilayas côtières qui brillent par leur manque de lisibilité et visibilité. Les directions du tourisme de wilayas ne possèdent pas de budgets promotion, ni de portails d’informations sur les sites à visiter, les plages sécurisées, ainsi que les structures d’hébergement, leurs coordonnées et tarifs qui permettraient de dégager un budget vacances pour les familles.
Ces familles pourront faire leur réservation après avoir été convaincues de l’attractivité du site et de l’hôtel. Cette impasse perdure depuis des années car aucune promotion institutionnelle des territoires (destinations) n’a été mise en place par méconnaissance, insouciance ou incompétence.
Le tout adossé à l’absence d’une dotation appropriée de budget promotionnel ! On parle de développer le tourisme domestique, mais avec quoi ? Avec des prunes et du mépris pour ce secteur touristique orphelin des pouvoirs publics ? Quant aux agences de voyages, commerçantes et commerciales, elles butent sur le manque de collaboration de la majorité des hôteliers privés, anciens et nouveaux, qui refusent de coopérer avec elles. Enfin, a contrario, les réseaux sociaux assaillent nos compatriotes par un déluge de photos féeriques de complexes touristiques à Antalya (Turquie), Hammamet (Tunisie), Sharm El-Cheikh (Égypte), Agadir (Maroc) et des horizons lointains (îles Maldives, Seychelles, Bora-Bora…).
Pourtant le secteur s’est renforcé, ces dernières années, par un nombre important de lits, grâce à des investissements privés…
Ces nouveaux investissements n’ont pas apporté la solution aux problèmes car des hôtels privés naissent dans la clandestinité promotionnelle par manque de capacités professionnelles, mais peu sur la côte algérienne qui offre une capacité litière totale de moins de 45 000 lits de zéro à 5 étoiles, la majorité ne répondant pas aux commodités offertes ailleurs.
Citez-moi un seul complexe touristique sur notre littoral similaire à ceux que l’on voit en Turquie, en Tunisie, en Égypte, au Maroc, à l’exception de celui de Filfila-Skikda, un cinq étoiles privé et géré par une grande marque internationale ! De petits hôtels privés ouvrent en offrant les services de piscines dont la forme rappelle celles des bassins agricoles des fermes socialistes ! Puis après, on se demande en haut lieu pourquoi les touristes algériens lorgnent ailleurs où de meilleurs tarifs, un service de qualité, des piscines de rêve, des plages propres et des hôtels confortables les attendent ! Chez nous, la gestion est familiale et non professionnelle. Elle se limite à l’accueil par des “Mrahba bikoum” et des “Khouya”, lancés à tout bout de champ, mais qui ne compensent guère les tares et carences au niveau des services, car l’hôtellerie est un métier à part entière ! Là, c’est la réglementation en amont qui est laxiste, car souvent rédigée par des profanes en la matière !
Et les agences algériennes dans tout cela ? Ont-elles une part de responsabilité dans cette situation, comme l’avancent certains ?
On accuse souvent à tort, par incompétence et méconnaissance totale, les agences de voyages d’être défaillantes dans la promotion de la destination, y compris vers le marché interne, et cela remonte à plusieurs années et continue de nos jours.
Je suis désolé de dire que cela dénote un manque flagrant de maîtrise de la promotion touristique institutionnelle et un manque de discernement avec la promotion commerciale des produits touristiques, qui demeure l’apanage des ATV. Et cette carence est du côté des services centraux qui induisent en erreur chaque nouveau ministre en de se défaussant honteusement sur les ATV. Il faut une fois pour toutes qu’on arrête cette indigence de vue concernant la promotion et la communication touristiques.
Celles d’une destination ou celles des territoires (wilayas) est strictement du ressort de l’État, des pouvoirs publics, du ministère concerné et de son outil de promotion, en l’occurrence l’ONT, qui est amputé depuis plus d’une décennie de deux directions qui sont structurellement et opérationnellement sa raison d’être, d’exister !
En effet, la direction du marketing touristique et celle de la communication sont dépourvues de directeurs depuis plusieurs années, faute de salaires décents (50 000 DA sont offerts), ce qui fait fuir les candidats diplômés et expérimentés dans la filière.
Il appartient donc au ministère du Tourisme de se doter des moyens de sa politique promotionnelle. On ne peut développer une destination, être réceptif du tourisme domestique, avec un budget famélique. Si on récapitule, “Lebled”, c’est à l’État de faire sa promotion, le produit touristique, c’est à l’agence de voyages de faire sa publicité.