Saïb «Si j’étais resté en Algérie, je ne serais pas devenu ce que je suis»

Saïb «Si j’étais resté en Algérie, je ne serais pas devenu ce que je suis»

saib.jpg«A Auxerre, je ne touchais que 20 000 FF au départ»

«Je suis partisan du joueur local, mais il faut qu’il se professionnalise»

Exception faite de Rabah Madjer, le seul joueur algérien formé au pays et ayant gagné des titres dans un grand championnat européen est Moussa Saïb. Alors qu’il avait gagné de nombreux titres nationaux et internationaux en trois ans seulement, il avait fait le choix de quitter la JSK pour rejoindre l’AJ Auxerre, acceptant même de passer une année d’apprentissage avec l’équipe réserve. Un choix judicieux puisque, ainsi, il a reculé pour mieux sauter. Aujourd’hui, il assume parfaitement cette démarche.

En 1992, après avoir remporté tous les titres possibles avec la JSK et la sélection nationale, vous aviez fait le choix de tenter une aventure en Europe au risque de perdre votre statut de star. Pourquoi ce choix ?

Parce que je voulais passer à un niveau supérieur. Comme vous le dites, j’étais presqu’un roi chez moi. J’avais remporté, avec la JSK, le championnat national, la Coupe d’Algérie et même la Coupe d’Afrique des clubs champions. Avec l’équipe nationale, j’ai été champion d’Afrique des nations et vainqueur de la Coupe afro-asiatique.

Bref, j’avais tout gagné au niveau national. Cependant, je ne voulais pas me contenter de cela. J’aspirais à une reconnaissance internationale à travers une participation dans un grand championnat européen. Je ne suis pas un gagne-petit. J’aime voir grand et relever les défis. A 23 ans, j’avais estimé qu’il était temps pour moi de franchir un palier. L’opportunité du transfert vers l’AJ Auxerre s’était présentée et je l’avais saisie.

Malgré tous les titres gagnés, vous avez accepté de passer votre première saison sur le banc. Etait-ce un signe de faiblesse ?

Non, plutôt une preuve d’humilité. En dépit du statut que j’avais en Algérie, j’avais beaucoup à apprendre et j’en étais parfaitement conscient. L’entraîneur Guy Roux avait été honnête avec moi en m’expliquant qu’il me fallait une période d’adaptation.

Durant les premiers mois, j’avais évolué dans l’équipe réserve, moi l’international. Je l’ai fait sans complexe car je savais que j’avais des choses à apprendre et, surtout, tout à prouver. On a beau être champion d’Algérie et champion d’Afrique, la vérité est que le championnat d’Algérie était – et il l’est toujours – mal considéré. Il faut prouver sa valeur et se mettre à niveau.

C’est ce que je m’étais attelé à faire. A la fin de la saison, j’avais fait quelques rentrées en cours des matches, dont une en Coupe de l’UEFA contre le Borussia Dortmund. C’était le signe que l’apprentissage tirait à sa fin et j’allais être intégré, la saison suivante, au sein du groupe professionnel.

Cela a fini par payer puisque, à la deuxième saison, vous avez joué régulièrement, remportant même la Coupe de France avec un premier but inscrit par vous, et vous avez remporté un doublé histoire Coupe–championnat en 1996…

Oui, la réussite était au bout du parcours. C’est pourquoi j’avais choisi de partir en Europe : progresser, améliorer mon niveau et gagner des titres. Cela aurait été facile de rester en Algérie et de remporter des titres nationaux tout en touchant beaucoup d’argent, mais ce n’était pas pour ça que j’avais choisi une carrière de footballeur. L’essence du football, c’est la performance, les titres, le palmarès.

Certes, l’argent est important, mais il vient à point quand on sait attendre. Je préfère l’argent gagné avec panache à l’argent facile.

En parlant d’argent, on se rappelle que vous aviez été transféré vers Auxerre pour une somme dérisoire…

C’est vrai. C’était pour 250 000 FF (francs français, puisqu’il n’y avait pas encore l’euro, soit l’équivalent d’environ 38 000 euros, ndlr). C’était rien. Comme je l’ai dit, le championnat algérien ne représente pas une compétition de référence pour les Européens et il était hors de question pour un club de mettre une grosse somme d’argent pour un joueur algérien. Toutefois, je considérais cela comme étant un investissement pour le football algérien car c’était un tremplin pour progresser, ce qui serait utile pour le championnat algérien. Compte tenu du fait qu’il s’agissait d’un transfert vers un club de l’un des meilleurs championnats au monde, j’avais accepté.

Les dirigeants de la JSK de l’époque s’étaient-ils montrés souples sur cette question ?

Oui, sans aucun doute. Mon intérêt et l’intérêt national avaient été pris en considération. Même si ce n’était pas une transaction financièrement importante, je n’allais pas dans n’importe quel championnat.

Je me rappelle qu’une année auparavant, l’Espérance de Tunis me voulait à tout prix, proposant des conditions financières très intéressantes, mais le président Hannachi ne voulait pas me laisser partir. Il me disait : «Si c’est pour partir à l’Espérance, autant rester à la JSK !» Avec du recul, j’estime qu’il avait raison.

L’argent n’était donc pas votre motivation première…

Pas du tout. Je savais que l’argent viendrait avec les performances. Le plus important pour moi, dans un premier temps, était de gagner ma place dans un bon club européen, puis tout viendrait. Si j’avais voulu l’argent, je serais resté à la JSK où je ne manquais de rien. Je serais même resté à la JSM Tiaret, mon club formateur, où on me proposait un pont d’or pour rempiler, mais j’avais choisi de partir jeune à la JSK afin de progresser.

Vous croyez peut-être que je touchais une fortune lors de mon premier contrat avec Auxerre. Loin de là ! Mon salaire brut était, à mes débuts, de 36 000 FF (environ 5 500 euros, ndlr). En enlevant les impôts et les taxes, je me retrouvais avec un salaire net oscillant entre 18 000 FF et 20 000 FF (entre 2 800 euros environ et 3 200 euros environ, ndlr).

Bien sûr, c’était il y a 18 ans, mais c’était quand même très peu pour un joueur professionnel. Vous pouvez demander à Hafid (Tasfaout, nldr). Lui aussi touchait peu d’argent au départ quand il était arrivé à Auxerre. C’était un choix lucide car on démarrait d’en bas. J’ai accepté quand même ce salaire car je savais qu’avec le temps et les performances, j’allais gagner plus.

J’avais confiance en mes moyens. Cela a été le cas : en renouvelant mon contrat, mon salaire a été substantiellement revalorisé. Puis, mes contrats ultérieurs avec Valence, Tottenham, Lorient et Monaco ont été très avantageux. Je vous le dis : il suffit juste de faire des sacrifices au départ. Si on est bon, l’argent viendra tout seul par la suite.

Que pensez-vous des jeunes joueurs algériens qui ont le talent pour jouer en Europe, mais qui préfèrent signet dans des clubs algériens où ils touchent beaucoup d’argent ?

C’est vraiment désolant ! Peut-être que ces jeunes n’ont pas conscience de ce qu’ils ratent.

Ce n’est qu’à la fin de leur carrière que viendront les regrets. Il faut aussi en vouloir à ceux qui ne les encouragent pas à partir. Ce qui me rend dingue, c’est d’entendre un jeune joueur dire une fois qu’il a signé dans un grand club : «Mon rêve s’est réalisé !» Le rêve n’est pas seulement de signer dans un grand club et d’empocher un bon paquet. Le vrai rêve, c’est d’avoir un nom sur la scène internationale.

Moi, si j’étais resté en Algérie, je serais Moussa Saïb, bon joueur algérien, point. Grâce à la carrière que j’ai faite, je ne suis certes pas une star mondiale, mais j’ai quand même un nom dans certains pays d’Europe. J’ai eu le privilège de remporter des titres en Europe, de jouer aux côtés de champions du monde (Charbonnier, Blanc, Diomède et Guivarc’h à Auxerre, Romario à Valence, ndlr) et de disputer la Ligue des champions.

Si je n’avais pas fait une carrière anonyme, c’était parce que j’avais fait le choix de partir, même contre peu d’argent. Si les jeunes footballeurs veulent rester juste des stars dans leurs quartiers, ils ne savent pas ce qu’ils perdent.

Pensez-vous qu’il serait utile et bénéfique pour la sélection d’y intégrer deux ou trois joueurs locaux ?

Pas seulement deux ou trois, mais plusieurs. Déjà, j’étais partisan de faire participer des locaux même à la Coupe du monde. C’est vrai que, dans le championnat, les joueurs montrent un niveau a priori limité et ne donnent pas l’impression d’être motivés, mais en sélection, le contexte est différent.

Un joueur, il faut surtout savoir lui parler. Croyez-moi, en sélection, un joueur est autrement plus motivé et il peut laisser sa vie sur le terrain. Qu’on donne leur chance à quelques joueurs locaux et on verra !

Vous avez été joueur local et, à la fin de votre carrière, vous avez exercé en tant qu’entraîneur en Algérie.

Quelle différence avez-vous perçu dans la mentalité du joueur algérien actuel ?

Les mentalités ont vraiment changé. A mon époque, il y avait l’amour du métier. Nous étions footballeurs parce que nous aimions cela. Dans tous les clubs, même lorsqu’il n’y avait pas d’argent, les joueurs avaient hâte de jouer pour se faire plaisir.

Aujourd’hui, pour certains, c’est juste un moyen de gagner de l’argent et, pour d’autres, presque une corvée. Y en a même qui trichent. Ces valeurs n’existaient pas ou existaient peu auparavant, justement parce qu’il n’y avait pas beaucoup d’argent. Nous vivons une autre époque.

Pourtant, aujourd’hui, il y a le professionnalisme…

C’est un semblant de professionnalisme. J’ai connu le professionnalisme il y a 18 ans. En arrivant en France, je croyais tout connaître, mais je m’étais rendu compte que je savais peu de choses. J’au découvert un monde différent, des modes de fonctionnement différents, des méthodes d’entraînement différentes, des normes de travail différentes.

Le professionnalisme, c’est un savoir-faire et un savoir-vivre. C’est une expérience qui mérite d’être menée.

Le parcours de Rafik Halliche ne constitue-t-il pas un espoir pour les joueurs locaux ?

Plus qu’un espoir, c’est l’exemple de ce qu’il faut faire. Il est parti jeune, il a accepté d’être prêté pour faire son apprentissage, il a fait peu à peu son trou en sélection et il vient d’être transféré dans un club de la Premier League anglaise. C’est un cheminement cohérent.

S’il l’a fait, c’est parce qu’il a été bien conseillé pour prendre les bonnes décisions quand il le fallait. Je suis vraiment très content pour lui.

C’est l’exemple-type du jeune ambitieux, qui veut réellement faire une carrière et non pas uniquement gagner de l’argent. Il a tout le temps de s’imposer et de gagner beaucoup d’argent. J’ai toujours cru dans le joueur local.

Je ne m’en suis jamais caché dans toutes mes déclarations. La réussite de Tasfaout, Saïfi et bien d’autres en Europe prouve bien que le produit local est exportable, pour peu qu’on prenne les bonnes décisions.

Vous avez connu la Premier League avec Tottenham. Pensez-vous que c’est un championnat qui convient à Halliche ?

Oui, il peut correspondre à ses qualités. Le championnat anglais est très physique, avec une intensité continue dans le jeu. Halliche aura besoin de quelques semaines pour bien s’adapter au rythme des entraînements et des matches, mais je suis convaincu qu’il réussira.

Visiblement, c’est quelqu’un qui écoute et qui ne dit pas qu’il sait tout et c’est une valeur essentielle quand on veut réussir. En tout cas, s’il a besoin d’une aide ou d’un conseil, je me mets à sa disposition avec grand plaisir. J’ai vécu ce qu’il vit actuellement et je comprends ses appréhensions. Je suis prêt à lui transmettre ma modeste expérience.