Une intense polémique bat son plein depuis plusieurs semaines en raison de l’entrée en activité d’une base américaine située à 250 km des frontières algériennes. Critiquée, à tort ou à raison, cette présence autour du territoire national n’a jusqu’à l’heure entraîné aucun commentaire officiel dans le pays.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Tout commence à la fin de l’été 2018 avec l’annonce de la finalisation de la construction de la base américaine à Aguellal, dans la région d’Agadez (au Niger) par de hauts responsables de l’armée US. Ces derniers tirent fierté de leur œuvre, et font savoir au monde qu’il s’agit là du plus grand complexe militaire construit par leur pays à l’étranger. Le porte-parole de l’US Air Force Europe et Afrique révèle la somme dépensée pour le projet : 98,5 millions de dollars incluant les frais des premiers exercices à mener. Près de 700 soldats y seront progressivement déployés, explique cette même source.
Depuis, les premiers contingents ont pris position et entamé discrètement des missions de repérage. Aguellal devient ainsi le troisième avant-poste américain au Sahel. Deux autres ont été installés bien auparavant en Libye mais aussi en Tunisie. En raison de la sensibilité du sujet, le gouvernement tunisien a longtemps joué la discrétion limitant le rôle des soldats US sur son sol à la formation de l’armée tunisienne. Des sources américaines ont, cependant, très vite laissé filtrer des informations à travers des médias spécialisés. Avec force détails, ces derniers ont révélé que des missions conjointes avaient été menées sur la frontière algéro-tunisienne contre des groupes d’Aqmi.
Ces mêmes sources affirment également que le territoire tunisien constitue un terrain stratégique en raison de sa proximité avec la Libye où sont axées les principales missions américaines. Quelque temps plus tard, le Président tunisien décide de couper court à la polémique et tente de rétablir la vérité en s’exprimant directement à son opinion lors d’un entretien télévisé. Essebci affirme ainsi avoir «personnellement autorisé des opérations de drones américains», indiquant qu’elles étaient menées «dans l’intérêt de la Tunisie qui se doit de coopérer avec les Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme».
Le même argumentaire a été récemment développé par les autorités nigériennes. Commentant la construction de la base d’Agadez, elle a été présentée comme étant une «nécessité pour faire face aux groupes terroristes qui menacent le Niger et la région». Intervenant sur le sujet, le ministre nigérien de la Défense a également déclaré que ces problèmes venaient de la Libye. Légitimant la présence américaine à Agadez, il explique que le territoire «vaste et non peuplé profite aux terroristes qui s’y déplacent librement».
La proximité de cette base avec les frontières algériennes a soulevé nombre de commentaires, mais en Algérie cette fois-ci. Le déclenchement des premières missions des soldats US déployés a en fait intensifié les interrogations soulevées depuis la déclaration d’un haut responsable américain au Washington Post lequel indiquait que des «soldats déployés dans des pays comme l’Algérie, le Tchad, l’Egypte et le Kenya touchaient une prime de danger imminent s’élevant à 225 dollars par mois». L’information a été immédiatement démentie par des officiels algériens. L’ancienne ambassadrice Us à Alger décide d’intervenir à son tour, démentant les déclarations reprises par la presse américaine.
Cette dernière tient à préciser que la prime en question concerne le personnel chargé de la sécurité dans l’enceinte de l’ambassade. La polémique prend ainsi fin, mais le débat autour de la présence américaine au Sahel se poursuit. Le point de vue algérien sur le sujet semble mitigé. Les avis sont partagés entre appréhensions et craintes des conséquences pouvant découler d’un déploiement peu ordinaire, et d’un autre, le besoin de tempérer, d’observer l’évolution d’une situation pouvant être conjoncturelle. «L’Africom a tout tenté pour obtenir de l’Algérie l’autorisation d’installer une base sur son territoire», commente une source bien au fait du dossier, «ils voulaient la construire au Sud, mais les autorités ont toujours refusé, affirmant que l’Etat était capable de se défendre seul contre les menaces extérieures, mais maintenant toutefois leur grande disponibilité à intensifier leur coopération en matière de lutte antiterroriste».
«Il ne faut pas voir la situation sous l’aspect d’un encerclement du territoire national, mais évaluer au contraire les gains à engranger en matière de lutte contre un mal auquel le pays fait face. Le terrorisme et la contrebande sont de grandes menaces, constantes. Le Niger et le Mali ont malheureusement très peu de moyens pour faire réellement face à cette situation, leurs effectifs sont faibles, et les no man’s land vastes, ce sont des zones de grand trafic. Les soldats US ne sont pas sur notre territoire mais qu’ils combattent tous ces fléaux qui remontent vers l’Algérie» poursuivent ces mêmes sources en mettant l’accent sur «les relations excellentes qu’entretiennent les deux pays.
Les autorités algériennes ont même invité les Américains à investir dans l’agriculture, et l’on perçoit aussi un changement notable de la perception américaine à l’égard du dossier du Sahara Occidental, ils ont rééquilibré leur vision et l’observent à présent de manière juste». Commentant les appréhensions ou craintes pouvant découler d’une stratégie inconnue, les mêmes spécialistes affirment que l’Algérie donne «l’impression de ne pas être concernée par ces débats, à présent». «L’intérêt des puissances étrangères qui se déploient dans ces zones a toujours été les ressources. Il est claique les Américains tentent aujourd’hui d’investir un continent où ils étaient très peu présents. Mais pour ce qui est des ressources, l’Algérie ne semble pas non plus concernée du moment que les Américains ont investi dans le pétrole et le gaz.»
D’autres points de vue divergent cependant sur la question. Alger, nous dit-on, suit de très près l’évolution des activités militaires des forces étrangères qui activent à ses frontières. Longtemps, elle a souhaité une plus grande prise en charge du terrorisme par les Etats africains. S’étant constamment opposé à toute participation aux actions menées par le G5 au Sahel, le pays a tenté il y a quelques mois de réactiver le Cemoc (Comité d’états-majors opérationnel conjoint) regroupant plusieurs pays du Sahel. Rejetées par une bonne partie de la population des la zone, les brigades africaines mises en place par les Français n’ont pas abouti aux résultats escomptés jusqu’à présent en raison de la faiblesse des moyens dont ils disposent, mais surtout de par la persistance du conflit libyen, source d’une grande partie du déséquilibre régional.
«Le G5 n’a pas reçu le soutien populaire recherché car les gens ne sont pas dupes, des écrits dénonçant le double langage des Européens foisonnent dans la presse africaine. Aujourd’hui, la jeune génération dénonce haut et fort le pillage des ressources africaines par ces mêmes pays qui ferment la porte aux migrants poussés à l’exode par la pauvreté. Ils ne comprennent pas que ces mêmes Européens qui affirment vouloir lutter contre l’insécurité au Sahel puissent contredire des décisions de la Cour européenne concernant le Sahara Occidental, autre élément de tension dans la zone.
L’Union européenne a décidé d’avaliser l’accord de commerce avec le Maroc incluant les territoires du Sahara Occidental alors qu’il avait été annulé par la Cour de justice européenne». Au nom de la lutte antiterroriste, Trump décide alors de déployer les troupes US au Sahel pour y mener la guerre contre les groupes terroristes. Dans la base d’Agadez, des drones ont déjà entamé leur mission. Dans une déclaration à la presse, le porte-parole du Pentagone a affirmé que «l’empreinte américaine sur le continent africain est destinée à promouvoir ses intérêts sécuritaires». D’autres voies se sont cependant élevées depuis pour mettre en garde contre les dégâts collatéraux pouvant découler de drones interdits sous la présidence de Barack Obama.
Actuellement, beaucoup craignent aussi que «les Américains arment les populations du Sahel pour, officiellement, les aider à se défendre contre les terroristes. Ces armes peuvent être utilisées par les différentes ethnies rivales, il y aura d’autres guerres, d’autres tensions qui prolongeront leur présence et la transformeront en colonisation au nom du terrorisme. Le mode opératoire est connu et ses conséquences aussi».
A. C.