Sahara occidental : Un conflit ressemblant à celui du Koweït

Sahara occidental : Un conflit ressemblant à celui du Koweït

Dans l’entretien qui suit, Me Mohand Issad livre son avis sur la justice dite internationale et se penche particulièrement sur le cas de l’ancienne colonie espagnole : le Sahara occidental. Le juriste développe une vision assez originale qui, tout en s’appuyant sur le constat, cherche à bousculer l’ordre établi.

Liberté : Vous avez déclaré dernièrement que la question du Sahara occidental n’est pas un problème de décolonisation, mais une occupation pure et simple. Que répondez-vous alors à Hans Corell, l’ancien secrétaire général-adjoint de l’ONU chargé des affaires juridiques, aux membres de la IVe Commission onusienne de décolonisation et à tous ces juristes et spécialistes qui attestent que l’affaire du Sahara occidental est bel et bien un problème de décolonisation ?

Me Mohand Issad : La décolonisation du Sahara occidental s’est achevée avec le retrait volontaire de l’Espagne. Dès lors, ce pays s’est retrouvé de fait indépendant. Subitement, un envahisseur surgit et occupe ce pays. On parle alors de décolonisation, obligeant ainsi le peuple sahraoui à recommencer, si je puis dire, la même procédure : débats aux Nations unies, résolutions et référendum… On ne peut mettre sur le même plan une occupation de fait d’un pays par un autre, avec un problème de décolonisation qui est un problème de droit international public, puisqu’il a été pris en charge par l’ONU et qui suppose toute une procédure. Or, on ne peut obliger le peuple sahraoui à se prononcer par référendum, en admettant que celui-ci puisse maintenant être organisé, plus de 30 ans après les faits, alors qu’au moment où le Sahara occidental a été occupé de nouveau, il était indépendant. C’est un peu hâtivement qu’on a parlé de décolonisation à propos de ce pays, alors qu’il s’agit d’une occupation pure et simple, arbitraire et illégitime. Ce n’est pas le peuple sahraoui qu’on doit obliger à se prononcer sur son avenir, mais l’occupant à évacuer son territoire.

L’Espagne, en sa qualité de puissance administrante au Sahara occidental, a quitté le territoire non autonome en février 1976, sans respecter ses engagements relatifs à l’organisation d’un référendum d’autodétermination et d’indépendance du peuple sahraoui. D’où sa responsabilité historique dans ce conflit… Vous, vous soutenez que les Sahraouis sont indépendants de fait, dès lors que l’Espagne a quitté le territoire, et vous affirmez que l’occupant marocain doit sortir de ce même territoire. Expliquez-nous cela ?

Votre question porte en elle-même la réponse : dès que l’Espagne s’était retirée, il n’y avait pas lieu d’organiser un référendum d’autodétermination et d’indépendance comme vous dites, puisque avec ce retrait, le peuple sahraoui s’était retrouvé indépendant. Il n’y a pas lieu de chercher ailleurs : le Sahara occidental était indépendant, avec le retrait de l’Espagne, et l’invasion du pays par une autre puissance ne peut donner lieu à une autre colonisation, qui obligerait les Sahraouis à se prononcer sur l’indépendance, alors qu’ils étaient indépendants.

En disant que les Sahraouis n’ont pas à justifier leur revendication d’indépendance, étant donné qu’elle leur est acquise depuis février 1976, que leur suggérez-vous pour leur permettre de se réapproprier tout leur territoire et d’en finir avec les exactions de l’occupant marocain ?

Je ne leur suggère rien. Ils ont trouvé eux-mêmes la solution : la lutte sur le terrain et dans les enceintes internationales. Je répète que si l’on avait posé clairement le problème, dès 1976, à savoir qu’il s’agit d’une occupation et que l’occupant doit évacuer le territoire sahraoui, comme on l’a fait avec Saddam Hussein pour le Koweït, on n’aurait pas embourbé le problème dans des histoires de résolutions des Nations unies, d’envoyé spécial et de référendum. La question est simple : un pays indépendant est occupé par un pays voisin, quelle est la solution qui s’impose ? Le retrait volontaire ou non, comme on l’a fait pour le Koweït.

Ne croyez-vous pas que la conception que vous développez constitue une lame à double tranchant… Il y a d’une part le peuple sahraoui qui vit une réalité, celle d’une décolonisation inachevée et d’une occupation illégale, et de l’autre le Maroc qui a renié le référendum d’autodétermination et qui rejette l’option d’indépendance, pour imposer un soi-disant plan d’autonomie sous sa souveraineté, alors que celle-ci ne lui est pas reconnue internationalement ?

Ce n’est pas une conception que je développe, c’est un simple constat que je fais. Les positions contradictoires des Sahraouis et des Marocains constituent précisément le conflit. Celui-ci n’existerait pas si les positions des deux parties étaient identiques. Par ailleurs, la position et la politique développées par le Maroc n’influent en rien sur le constat que je fais. Je ne vois pas réellement où est le « double tranchant ». La décolonisation était achevée avec le retrait de l’Espagne. Avec la présence du Maroc, c’est une occupation qui commence, de laquelle les Sahraouis cherchent à sortir. Je ne vois pas ici non plus de « décolonisation inachevée », sinon qu’il y a occupation qui fait suite à une décolonisation.

Les négociations qui sont en train de se faire et de se répéter depuis plus de 30 ans ne doivent pas créer des illusions, car je suis persuadé qu’elles font partie d’un plan qui consiste à gagner du temps, jusqu’à l’oubli ou le pourrissement… exactement comme Israël est en train de faire en Palestine.

Sur le plan de la philosophie, le colonialisme se distingue de l’occupation. Mais, Me Issad, à partir de quand une occupation illégale d’un territoire se transforme en une opération coloniale ?

Bien que la question ressorte plutôt des spécialistes de droit international public, il me semble que la colonisation suppose une présence pendant un temps assez long d’un pays sur le territoire d’un autre pays, l’existence d’un statut juridique dans cet ensemble, pays colonisateur et pays colonisé, et l’existence de liens juridiques entre les deux pays. L’occupation au XXe siècle est l’invasion d’un pays par un autre pays. J’inverserai donc les termes de votre question : c’est l’occupation qui précède la colonisation, celle-ci étant appelée à durer dans le temps. Or, ici, il s’agit d’une invasion et de l’occupation par un pays, après qu’un autre pays s’y est retiré volontairement. Du jour au lendemain, le peuple sahraoui est passé de l’état de colonisé à l’état d’indépendant, puis de nouveau à celui d’occupé. Il n’est nul besoin d’une démonstration juridique pour dire qu’une puissance qui occupe un pays doit se retirer.

Les explications historiques valent pour tous les pays et ne valent donc plus pour aucun. La politique et les guerres ont changé la géographie et très peu de pays ont échappé à des modifications de leur territoire. C’est pour cette raison que, très sagement, l’OUA a décidé de maintenir les frontières héritées de la colonisation.

Finalement, quel regard portez-vous sur la justice internationale, sur la complaisance, voire la complicité, de pays membres influents du Conseil de sécurité de l’ONU vis-à-vis de certains États, à l’exemple d’Israël et du Maroc ?

Comme je l’ai déjà dit lors d’un séminaire auquel vous avez participé, la justice dite internationale est en réalité ce que j’appellerai une justice occidentale à usage international. Dès lors, cette justice ne peut fonctionner qu’au gré des intérêts des pays qui l’ont promue. Ils font leur politique, pas la nôtre. Nous ne jouons pas le rôle qui devrait être le nôtre, alors ils jouent tous les rôles et occupent tout l’espace. C’est, à mon sens, le lieu de confrontations entre la justice et la politique. Certains pays et les ONG militent activement pour l’existence d’une justice « plus internationale », plus juste, impartiale et indépendante, alors que des puissances politiques boudent cette justice, n’y adhèrent pas et prennent même des précautions pour faire échapper leurs ressortissants à des poursuites éventuelles.

Il faut saluer l’existence de cette justice, même si elle n’est pas totalement internationale, et l’existence des ONG. Justice internationale et ONG répondent à une demande et à un besoin, même si l’offre n’est pas suffisante et n’agréée pas tous les États. Il faut quand même s’en féliciter, parce que ce sont des institutions qui sont à même de faire reculer l’injustice et qui militent pour l’instauration, partout, d’États de droit.