Écrit par Anis Remane
Le 8 novembre dernier, le centre Pompidou à Beaubourg (Paris) a suspendu la présentation d’un livre de photos d’archives sur le conflit du Sahara occidental. La décision de la direction du musée d’interrompre cet évènement est venue sous la pression des milieux culturels, médiatiques et lobbyistes marocains. Le président de la fondation marocaine des musées a ainsi accusé le centre de participer à «une propagande algéro-polisarienne» en montrant des photos de soldats marocains morts durant les guerres qu’ils ont livrées aux indépendantistes sahraouis.
Dans une lettre datée du 2 novembre 2018, adressée au président du centre Georges Pompidou Serge Lasvignes, Mehdi Qotbi l’a accusé de participer à une opération de «propagande d’un mouvement séparatiste financé notoirement par l’Algérie», en acceptant de présenter Necessita dei volti (Nécessité des visages), un ouvrage réalisé par un collectif d’artistes principalement italiens qui comporte un ensemble de photographies réalisées à partir d’archives consacrées aux années de conflit avant le cessez-le feu de 1991 dans le Sahara Occidental.
Le livre était entré dans la collection de photographies du centre Pompidou et avait déjà été présenté au public en 2012. Il devait être «temporairement présenté en contrepoint d’un film d’une artiste daghestanaise sur la difficulté de transmettre son patrimoine dans son pays», selon le service de presse du centre.
Et c’est à partir d’une dépêche de l’APS annonçant que le centre Georges Pompidou consacre une galerie à la lutte du peuple sahraoui» que les médias marocains se sont emparés de l’affaire. Sous leur pression, la direction du centre a dû reculer. «Ayant constaté ces derniers jours une forme d’instrumentalisation politique de la seule présentation de ce document, il n’était manifestement plus possible de le présenter au public sans l’accompagner d’un appareil critique et d’une médiation spécifique, ce qui n’était pas l’objet ici. Nous avons donc décidé de suspendre sa présentation», a indiqué à ce sujet le service de presse du musée. «Il ne s’agissait nullement d’une exposition mais de la simple présentation d’un livre d’artistes au sein d’une salle des collections permanentes du musée», a-t-il souligné.
Lettre ouverte à Serge Lasvignes
La censure de l’évènement par le centre, sans doute par crainte de l’incident diplomatique avec Rabat, a fait réagir l’artiste américain Jean Lamore, initiateur de l’évènement. Hier, samedi, l’artiste américain a dénoncé une «ingérence marocaine inacceptables dans les activités du Centre Pompidou de Paris. «C’est lamentable qu’au 21e siècle, en France, des œuvres d’art sont censurées et retirées d’une présentation sur la base d’une pression d’un Etat étranger», s’est-il indigné dans un entretien à l’APS. «C’est une censure inacceptable. La manière unilatérale dont elle s’est faite, on envoie des ordres (du Maroc) et Paris se plie. Tout ceci me laisse croire que nous ne sommes pas au 21e siècle. On revient au 19e et au 18e siècles», a-t-il encore expliqué, ajoutant que c’est d’autant «inacceptable» qu’il s’agit d’un projet culturel. «Nous ne sommes pas venus pour vendre des bonbons ou de la vaisselle, mais présenter un sujet sensible. Il y a une grande maturité dans ce projet et une qualité esthétique qui est reconnue ailleurs», a-t-il soutenu, s’interrogeant sur cette réaction «compulsive», du côté marocain et du côté des institutions françaises qui «se plient» en l’espace de 24 heures, alors que jusqu’à aujourd’hui «je n’ai eu aucune information du Centre Pompidou et sur sa décision de suspendre le projet» ; a déclaré Jean Lamore.
«C’est pour cette raison que je vais adresser une lettre ouverte au directeur dans les jours qui viennent qui sera adressée à la presse», a-t-il annoncé, soulignant qu’en tant qu’artiste et intellectuel, il s’interdirait de se livrer à des opérations de propagande. «Personnellement, je connais très bien la situation. Je connais le problème du Sahara occidental depuis fort longtemps. J’ai une relation profonde avec le peuple sahraoui, mais je me garderais bien d’en faire une propagande. Il n’y a aucun effet de propagande dans ce que je fais. Ce sont des faits que j’avance»», a-t-il précisé, indiquant qu’il a une position «partiale» face à l’injustice. Le retrait de l’ouvrage intervient en plein anniversaire de la Marche verte lancée il y a 43 ans par le Roi Hassan II, pour imposer sa domination sur le Sahara occidental après le départ de la puissance coloniale espagnole. Il intervient également à la veille des contacts directs entre Rabat et le Polisario auxquels a appelé l’émissaire de l’ONU pour le Sahara Occidental, Horst Kohler, les 5 et 6 décembre 2018 à Genève.