Saddek Boussena décortique la stratégie gazière de l’Algérie

Saddek Boussena décortique la stratégie gazière de l’Algérie

Dans sa conférence, dense et fouillée, organisée à l’initiative du club Energie de Reage (Réseau des Algériens des grandes écoles), Saddek Boussena a abordé cette question à partir des enjeux et caractéristiques de l’industrie du gaz, des contraintes de sa commercialisation, d’un marché libéralisé et livré à une concurrence féroce.

Le gaz est une industrie extrêmement coûteuse en investissements pour son exploitation et son transport, risquée dans les transactions commerciales, où l’erreur peut être commise par les plus grands pays, l’Algérie en a fait les frais avec les Américains, d’où une démarche de prudence et de vigilance et une stratégie de longue haleine, a commencé par signaler l’ancien ministre de l’Energie et des Mines.

Un projet de gaz pour être rentable requiert trois à cinq milliards de dollars d’investissements.

L’Algérie, un pays précurseur

Les opérations internationales sont le fait de grands acteurs, a indiqué Saddek Boussena. Le transport du gaz est onéreux. A parité égale avec le pétrole, le gaz est quatre fois plus cher à transporter.

Son transport requiert des techniques et des infrastructures coûteuses. Et de ce fait, ce n’est pas une ressource énergétique pour les pays pauvres comme le pétrole, a ajouté le conférencier. L’Algérie a commencé très tôt à développer l’industrie du gaz, dès les années soixante.

Ce qui lui donne « une longue expérience que peu de pays possèdent. Les professionnels algériens ont appris sur le tas et permis de donner au pays un savoir-faire, notamment dans la négociation des contrats ou la valorisation des gisements ».

Dès 1964, les premiers contrats sont signés avec une entreprise française. L’Algérie a été aussi le premier pays à se lancer, avec succès, dans le GNL.

S’agissant du transport par gazoduc, l’Algérie s’est engagée dès les années soixante- dix. Notre pays arrive à équilibrer ces deux modes de transport, option que n’ont pas d’autres pays, comme le Qatar qui transporte son gaz intégralement sous forme de GNL, signale Saddek Boussena.

« L’exportation de brut par gazoduc reste la meilleure option pour l’Algérie, c’est la plus rentable et avec une valeur ajoutée certaine. »

Il n’y a pas de marché mondial du gaz à l’instar du pétrole, parce qu’il n’y a pas un prix unique de référence. Saddek Boussena a identifié trois grands marchés du gaz : le marché américain qui a, le premier, développé l’industrie et la technologie du gaz ; le marché européen et le marché asiatique qui a commencé avec le Japon.

Si un gisement pétrolier est très vite exploité, pour un gisement de gaz, il faut préalablement s’assurer du marché, de contrats à long terme, d’au moins vingt ans. Pendant ce temps, des bouleversements peuvent se produire, mettant en cause ces contrats.

C’est ce qui s’est produit pour l’Algérie quand à la fin des années soixante, elle s’est tournée vers le marché américain, alors prometteur. « Il y a eu un retournement quand les Américains ont libéralisé leur marché, provoquant un effondrement des prix. Cela a été coûteux pour l’Algérie. »

Des leçons sont à tirer. « La première leçon consiste à être prudents et à ne pas prendre seuls des risques. Des pays intéressés par le gaz algérien pour des raisons stratégiques peuvent avoir des capacités de financement, d’organisation qui peuvent nous être utiles.

Avec les Américains, on a pris le risque seuls, l’endettement on l’a eu seuls, il nous a valu le passage par le FMI. » Deuxième leçon : « Dès 1975, on a commencé à introduire dans les contrats gaziers des clauses de protection » mutuelle en cas de bouleversement.

Une troisième leçon : « Eviter de faire trop vite, trop haut parce qu’on peut se retrouver avec des surcapacités. Il faut tenir compte qu’il y a des cycles d’où l’intérêt de procéder par palier. Aujourd’hui, le marché du gaz offre de nouvelles qualités. Depuis 1988, nous pouvons envoyer du gaz aux Etats-Unis et au Japon et procéder à des arbitrages. »

« On joue gros »

Le marché du gaz se développe, les transactions ont cru à un rythme de 4% et de 7% pour le GNL (gaz naturel liquéfié), plus facile à transporter. Ce marché, qui fonctionnait avec des monopoles (qui avaient l’avantage de faciliter les opérations commerciales), commence à se libéraliser.

Avec 3% de réserves mondiales, l’Algérie est le 6e pays en termes de réserves. De nouveaux acteurs interviennent sur le marché du gaz comme le Nigeria, le Qatar, l’Australie, Trinidad et Tobago. Une OPEG est-elle envisageable ?

Il n’existe pas de marché unique pour se faire, ni de prix de référence, a signalé Saddek Boussena. Mais une organisation des pays exportateurs peut organiser l’offre et la concurrence, éviter les surcapacités nuisibles, a-t-il ajouté.

Pour ce qui est de la consommation nationale, « il faudra s’assurer que les besoins nationaux seront couverts à long terme ». « Il y a deux écoles en Algérie, celle qui considère qu’il y a beaucoup de gaz à exploiter et celle qui appelle à la prudence.

Le débat se pose. » A moyen terme, « nous n’avons pas d’alternative au gaz et au pétrole, l’énergie solaire ce n’est pas pour demain, l’énergie nucléaire ne sera pas opérationnelle en grande quantité à court terme.

Quasiment toute notre électricité est produite à partir du gaz. On a pris l’option de dessaler l’eau de mer, très consommatrice d’énergie ».

« Quand les prix augmentent, la sagesse voudrait qu’on fasse des pauses de réflexion stratégique. C’est le rôle de l’Etat. Et c’est notre faiblesse, on n’en a pas suffisamment discuté. On joue gros. Depuis le début, notre erreur est de ne pas avoir organisé de débat public.

C’est une question de débat démocratique. » A une question sur la loi de 2005 portant libéralisation de la recherche, de l’accès et de l’exploitation des sources d’énergie, « il y avait une logique ». L’amendement de 2006 en a altéré la portée en faisant de Sonatrach le partenaire majoritaire dans toute association avec une entreprise étrangère.

Saddek Boussena préconise la formule d’intérêts croisés, soit l’ouverture de l’accès aux ressources contre l’accès à l’aval de la chaîne. « La véritable question est comment renforcer Sonatrach au moment où la concurrence est de plus en plus forte ? Il s’agit de stratégie et non de politique. Notre point faible ce sont les ressources humaines, le management.

Il est temps de passer à une étape qualitative, de former de nouvelles compétences, d’en ramener, nous n’avons pas suffisamment de cadres. Il y a des secteurs où l’initiative privée peut faire gagner du temps à Sonatrach. »