C’est un épisode peu connu de la vie de Bouteflika. Celui-ci s’est déroulé durant sa fameuse traversée du désert effectuée entre Paris, Damas Genève et Abou Dhabi. Nous sommes à la fin de 1980. Houari Boumediene mort une année plutôt, Chadli Bendjedid lui succède à la tête de l’Etat. Colonel plutôt effacé, Chadli entreprend de déboulonner graduellement le système de Boumediene. Ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika perd ainsi le portefeuille qu’il occupai depuis 1963.
En échange, il est nommé ministre-conseiller à la présidence de la république. Une voie de garage. Davantage honorifique, la fonction a peu d’astreintes. Bouteflika n’assiste pas aux Conseils des ministres et le président se garde de recourir à ses services. Dans son bureau de la présidence, l’homme passe son temps à lire les journaux et recevoir des visiteurs pour d’interminables causeries.
Une mise au placard qui ne dit pas son nom. Ne supportant pas cette déchéance lui qui se croyait héritier naturel de Boumediene, Bouteflika décide de quitter l’Algérie. Paris, Genève, son chemin passera aussi par Damas.
Ses pérégrinations le mènent en Syrie, pays allié de l’Algérie dans le « Front du Refus », hostile à toute conciliation avec Israël. Le passé de chef de la diplomatie algérienne servira de viatique à Bouteflika.
A Damas où il possède ses entrées, il raconte ses déboires avec le nouveau régime algérien et se lamente sur le passé révolutionnaire de l’Algérie. Informé de ses infortunes et affligé à l’idée de voir un ancien ministre jeté en pâture, le président syrien propose son hospitalité. Comment ne pas l’accorder qu’autant que Bouteflika est un frère, un ami ?
On met donc à la disposition du réfugié un appartement à Damas et une pension mensuelle de 4000 dollars. L’appartement est situé dans un quartier chic de la capitale, à quelques encablure coté de la nouvelle bibliothèque nationale «Al Assad ».
Le geste, estime-t-on à Damas, est large, généreux. Et le confort, à la mesure de la stature de ce demandeur d’asile d’un genre particulier.
Mais voilà, habitué au luxe, coutumier de grands hôtels et de résidences de prestige, Bouteflika fait la fine bouche. Il est déçu, s’attendant à plus, à mieux.
Après un temps de réflexion, il refuse l’offre et quitte Damas. Les Syriens sont décontenancés. Cet épisode restera quelques années dans la confidentialité jusqu’à ce qu’Abdelhalim Kheddam -un homme qui n’était pas en odeur de sainteté auprès de Bouteflika lorsque les deux hommes avaient pour point commun d’occuper la même fonction-, ébruite l’affaire.
Kheddam finira donc par mettre dans la confidence Mohamed Salah Yahiaoui, ancien patron du FLN et ami des Syriens. Il le chargera d’en faire cas aux autorités algériennes.
L’affaire étant parvenue à ses oreilles , le Président Chadli s’est gaussé de la cupidité de Bouteflika sans pour autant que son persiflage ne traverse les murs du Palais d’El Mouradia.
Bouteflika n’a pas obtenu ce qu’il espérait à Damas, mais à Abou Dhabi il sera largement comblé. Après quelques séjours entre la France et la Suisse, il atterrit en 1984 aux Emirats Arabes Unis.
Dans cette principauté confetti, des dignitaires arabes tombés en disgrâce, dégagés du pouvoir ou devenus encombrants pour leurs régimes trouvent refuge et assistance.
C’est que cette fédération de sept émirats est un havre de paix et de luxure tenu d’une main de fer par le Cheihk Zayed Ben Sultan. Personnage sec et mystérieux, le cheikh n’est pas moins connu pour sa légendaire hospitalité.
Dans l’esprit du cheikh Zayed, venir en aide à ses hôtes est une façon de les protéger matériellement et de les soustraire aux tentations des puissances étrangères.
Abdelaziz Bouteflika en profitera. Beaucoup, même. Cheikh Zayed ordonne à ses hommes de mettre à la disposition de son invité toutes les commodités dues à son rang.
Une suite à l’année à l’Hôtel Intercontinental d’Abou Dhabi, une pension mensuelle conséquente, une prise en charge totale, Bouteflika obtiendra ce qu’il n’avait jamais rêvé d’avoir à Damas.