Rupture des médicaments : Les raisons d’une crise qui perdure

Rupture des médicaments : Les raisons d’une crise qui perdure

Le ministère de la Santé a annoncé avoir mis en place une stratégie pour stabiliser le marché des médicaments. Pourtant, ce marché subit, une nouvelle fois, une rupture depuis plusieurs mois et les opérateurs n’arrivent pas encore à reconstituer les stocks de sécurité des trois mois, imposés par la réglementation. Actuellement, une cinquantaine de produits sont en rupture ou sous tension. Les pharmaciens et les malades se retrouvent dans le désarroi.

Des produits essentiels, comme lovenox, la vitamine D3, la progestérone injectable, des corticoïdes, la ventoline… sont introuvables au niveau des officines, ou le sont en quantités insuffisantes.

Le Syndicat national algérien des pharmaciens d’officine (Snapo) a recensé actuellement une cinquantaine de médicaments essentiels sous tension ou en rupture de stock. La situation est inquiétante et les médecins, les pharmaciens et les patients se retrouvent dans une situation d’impuissance.

Pour trouver un médicament, des patients et leurs proches recourent aux réseaux sociaux pour demander d’être orientés vers une officine qui en dispose. Selon Messaoud Belambri, président du Snapo, «il y a un déséquilibre entre l’offre et la demande, et même si un produit est disponible, il se trouve en petites quantités, alors je considère qu’il est en rupture».

Lotfi Benbahmed, président du Conseil de l’ordre des pharmaciens, affirme que «les pharmaciens vivent dans un stress, même s’il y a un produit qui entre, il y a toujours un autre qui manque». Les raisons de cette crise ? Lotfi Benbahmed explique que le phénomène de la rupture des médicaments est une problématique que vivent de nombreux pays à travers le monde. Le problème est lié soit aux sites de production, à l’enregistrement ou à la prescription.

Cependant, souligne-t-il, en Algérie, le problème est que non seulement nous avons hérité des problèmes liés à ce marché mondialement, mais nous avons aussi nos propres raisons qui contribuent à cette situation de rupture. Le président du Conseil de l’ordre des pharmaciens rappelle que nous avons trois types de produits pharmaceutiques, à savoir des produits exclusivement importés, des produits mixtes (importés et produits localement), et des produits fabriqués localement.

Les produits importés, explique M. Benbahmed, peuvent manquer pour deux raisons. La première, dit-il, est liée à l’épuisement des programmes d’importations ou à l’insuffisance des quantités importées. «Par exemple, si nous importons deux millions de boîtes d’un produit quelconque alors que la demande est de 2,5 millions de boîtes, forcément nous allons nous retrouver avec le problème de tension, d’autant que lorsque le marché est sous tension, les malades, notamment les malades chroniques, ont tendance à stocker les produits», a expliqué M. Benbahmed.

La rupture des produits importés peut aussi, dit-il, être liée à la limite imposée aux programmes d’importations. «Le ministère de la Santé, et en raison de la crise économique que nous vivons depuis plusieurs années, veut réguler la facture d’importation des médicaments, et il renouvelle, chaque année, les programmes d’importations avec les mêmes quantités, tandis qu’avec plus de 1 million de naissances annuellement, et un système social amélioré, la consommation des médicaments augmente, alors il y a une tension sur ces produits importés», a encore expliqué ce médecin.

Pis, dit-il, alors que la réglementation oblige, depuis 2008, les opérateurs à disposer d’un stock de sécurité de 90 jours, suite à cette stratégie, plusieurs produits manquent dans les stocks actuellement car tout ce qui est importé est consommé sur le marché.

«L’Ordre des pharmaciens et les différents syndicats du secteur ont demandé au ministère de la Santé d’appliquer la réglementation et permettre aux opérateurs de reconstituer leurs stocks, en leur signant, par exemple, un programme d’importations de 15 mois au lieu de 12 mois, de sorte à leur permettre non seulement d’assurer la consommation annuelle mais aussi de reconstituer les stocks de sécurité de trois mois notamment pour les produits essentiels qui sont sous tension», a indiqué le président du Conseil de l’ordre des pharmaciens.

Cette situation, poursuit-il, engendre également le phénomène de spéculation. Selon lui, avant de combattre la spéculation, il faut combattre son origine, à savoir le manque des produits sur le marché. Le ministère de la santé, ajoute notre interlocuteur, doit disposer d’un système de régulation, puisque, actuellement, il régule les quantités en fonction des années précédentes. Selon lui, «le ministère de la Santé ne doit pas se contenter des rapports annuels envoyés par les opérateurs, comme cela se fait à travers le monde, il doit disposer d’un système d’information qui lui permettra de connaître, à tout moment, l’état des quantités disponibles, celles en rupture, et où se trouvent les médicaments».

Par ailleurs, concernant la rupture des produits mixtes (ce sont des produits fabriqués localement et importés), Lotfi Benbahmed explique que des producteurs s’engagent à produire une certaine quantité de produits et, au final, ou ça n’a pas été fait dans les temps ou les quantités produites sont insuffisantes.

Il y a aussi, ajoute-t-il, la méfiance des prescripteurs à l’égard des produits fabriqués localement. Quant aux produits fabriqués localement et interdits à l’importation, notre interlocuteur explique que la tension sur ces produits est liée au fait que des producteurs ne peuvent plus produire certains médicaments en raison de leur prix très bas. C’est le cas de Saidal, dit-il, qui a fini par abandonner la production de beaucoup de produits car l’administration tire sans arrêt les prix à la baisse, lesquels n’ont pas été révisés depuis 20 ans.

«Il y a un manque de stratégie globale pour le développement du secteur en Algérie pour trouver un équilibre entre l’équation entre notre intérêt à préserver la Sécurité sociale, préserver nos ressources en devises et développer notre secteur économique pour être au maximum indépendant», estime Benbahmed.

De son côté, Messaoud Belambri, président du Snapo, estime que le marché du médicament vit une instabilité depuis trois ou quatre ans, et il est difficile de le rééquilibrer.

Salima Akkouche