Rached Ghannouchi n’a pas fait mystère de sa vision en affirmant qu’il soutiendra Habib Essid tant que celui-ci bénéficiera de la confiance du président Caïd Essebsi et de Nidaa Tounès…
Rien ne va plus pour le Premier ministre tunisien Habib Essid et son équipe gouvernementale depuis que le président Béji Caïd Essebsi a brandi, lors d’une interview voici une semaine sur la Radio nationale, l’idée, et donc le projet, d’un gouvernement d’union nationale. Lui emboîtant le pas sans tergiverser, les partis qu’ils soient de la coalition au pouvoir ou de l’opposition, le syndicat et le patronat y sont allés chacun de ses suggestions, voire de ses propositions qui sont, comme chacun sait, l’antichambre des ambitions latentes.
Qu’elles soient mitigées ou pas, les réactions assorties de débats et même de polémiques n’ont pas cessé depuis, avec une unanimité remarquable quant à l’indigence de l’équipe Essid et donc la nécessité de son départ. Sur la sellette, le concerné n’a pas manqué de réagir avec la dignité du candidat-supplicié conduit à l’échafaud. Louant les aptitudes du maître de Carthage qui décide «en toute légitimité» de la nomination et de la dissolution du gouvernement, il s’est dit prêt à toute éventualité et résolu à poursuivre sa tâche avec la même détermination. En somme, un commis de l’Etat responsable qui privilégie l’intérêt de la nation avant le sien propre. Noble et pathétique réaction, tout à la fois. A voir l’unanimité qui s’est vite exprimée sur son sort et la multitude de prétendants aussitôt mobilisés au portillon du Premier ministre, il y a de quoi désespérer de la nature humaine.
Il est vrai que l’idée du départ de Habib Essid était dans l’air du temps, depuis plusieurs semaines, avant que Caïd Essebsi ne vienne enfoncer le clou, après l’inévitable consultation de son compère Rached Ghannouchi. D’ailleurs, Ennahda qui fait partie de ce gouvernement n’a pas exprimé d’état d’âme, confirmant son adhésion à une démarche qui devrait lui assurer davantage de postes et un gain politique à la mesure de son aura de premier parti du pays au lendemain des soubresauts et de l’implosion qui ont agité Nidaa Tounès. Son mentor, Rached Ghannouchi n’a pas fait mystère de sa vision en affirmant qu’il soutiendra Habib Essid tant que celui-ci bénéficiera de la confiance du président Caïd Essebsi et de Nidaa Tounès. Non sans ajouter, avec un zeste de perfidie, qu’Ennahda assume sa part de l’échec du gouvernement, ni plus ni moins. Pour être grandement responsable des maux actuels, dit-il, il faut que son parti soit grandement présent dans l’équipe gouvernementale. Suivez son regard.
L’intention de BCE et l’allusion de Ghannouchi se rejoignent donc, quant à la nécessité d’un gouvernement d’union pour faire face à une situation socio-économique alarmante. Quant à l’autre parti membre de la coalition, Afak, les prétentions sont modestes et l’attentisme circonstancié. Depuis qu’Essid a été reçu, il y a trois jours, à Carthage pour «examiner la proposition», tout le sérail est aux aguets, attendant d’un jour à l’autre l’annonce de la démission du Premier ministre. Surtout que des appels pressants en ce sens ont fusé, comme celui de Lotfi Zitoun, conseiller de Ghannouchi, de Yassine Brahim, dirigeant d’Afak Tounès et ministre du Développement et de la Coopération internationale et plus encore de Nidaa Tounès qui a tranché dans le vif en plaidant pour la venue d’une personnalité consensuelle dans un communiqué de son instance majeure.
Hier, l’opposition a ajouté son grain de sel au procès d’intention, lors d’une réunion élargie entre le Front Populaire, Al Joumhouri, Al Massar, le Mouvement du peuple et le Parti socialiste. Objet de leur courroux, l’échec patent du gouvernement Essid, de la coalition et du président Essebsi face à une crise aiguë et un «mode de gouvernement fondé sur des calculs partisans qui ont conduit à des luttes» au sein même des formations coalisées pour des raisons de «pouvoir portant atteinte aux intérêts du pays». La cause est entendue, tous les ingrédients sont désormais disponibles et les lames affûtées pour en finir avec le gouvernement Habib Essid dans les jours, sinon les semaines, qui viennent et conforter par là même les nombreux partis convaincus de l’opportunité qu’offre ce constat d’échec de la politique gouvernementale en Tunisie. Mais qui s’interroge vraiment sur le véritable dilemme, le gouvernement d’union aussitôt investi n’ayant en main que les mêmes cartes pour pouvoir prétendre à une démarche différente?