Un roman qui restitue le brouillard qui empêche les Algériens de se voir, de voir le chemin qui les mène vers leur destin, leur avenir, un brouillard qui les enferme dans l’incertitude d’un présent flottant. Amar Ingrachen, ce jeune écrivain, commence en mettant la barre bien haut pour un premier roman, «Le Temps des Grandes rumeurs».
Un titre très appropriĂ© pour Ă©voquer cet Alger, symboliquement assiĂ©gĂ©, et ses gens enveloppĂ©s chacun dans la nĂ©buleuse de sa vie intĂ©rieure, oĂą germe un noyau de conscience incertaine. C’est un livre, dont la lecture laisse l’impression d’avancer dans un grand brouillard… Quelques trouĂ©es donnent Ă voir l’expression d’un mal-ĂŞtre nĂ©buleux, rĂ©vèlent un malaise flottant de quelques anonymes, perdus dans les mĂ©andres plus que tortueux de la recherche de soi dans une ville qui n’en est presque pas une. Elle se limite Ă une maison-geĂ´le, un appartement et un cafĂ©. MĂŞme Maras, le monstre, ne comprend pas son nom et se cherche dans la violence rĂ©pressive des gens qui pourraient dĂ©ranger. Il personnifie la terreur qui rend les individus hagards, mais suit son parcours sinistre en donnant l’impression que son projet, ses causes et son but se confondent : terroriser en terrorisant, pour terroriser. Il y a bien des tentatives de suĂ©es rĂ©volutionnaires, il arrive que les individus deviennent citoyens, l’espace d’une rencontre, mais ne suintent chez les auditeurs d’une assemblĂ©e organisĂ©e pour Ă©clairer et rĂ©veiller les consciences que des applaudissements, l’effet sur le quotidien est nul. C’est un monde oĂą les esprits flottent parfois, oscillent par moment, mais sans trouver d’attaches fondĂ©es pour arrimer solidement des actions vĂ©ritablement rĂ©volutionnaires. Une sorte de profonde lĂ©thargie qui empĂŞche toute action sĂ©ditieuse commune, peut-ĂŞtre salvatrice. On ne sait pas. Les personnages ne savent vraiment pas non plus. Ils se cherchent parfois dans Maras, cette sorte de gĂ©nie malĂ©fique, terrifiant, qui donne paradoxalement une raison de vie, une raison d’être, un repoussoir certain, Ă dĂ©faut d’un projet novateur. Il comble le vide sidĂ©ral du « temps qui passe et les dialogues creux ». Cette sur-gĂ©nĂ©ralisation du malaise offre l’opportunitĂ© aux personnages, tous tĂ©tanisĂ©s par l’angoisse, de ne pas se sentir en fin de compte seuls dans leur marasme ; ils s’accordent, Ă dĂ©faut de mieux, une illusion de « vivre » en s’abandonnant, parfois la mort dans l’âme, parfois par fatalisme, dans une sorte de nouvel ordre normĂ© qui confisque leur destin. Les quelques rares agitateurs sont tuĂ©s, les autres vĂ©gètent avec parfois quelques sursauts qui finalement ne mènent pas loin. Et puis, il y a le « fou» Fercha, dont les propos sont Ă part dans le texte, le fou lucide, le fou singulier, le fou dont trop peu de gens comprennent la sagesse, cependant, pas assez pour que la RĂ©volution soit possible… Et l’on reste lĂ , noyĂ© dans les rumeurs floues et angoissantes, dont la lecture devient plus que troublante…