« Roi du Maroc, le règne secret » : Mohammed VI, sujet sensible

« Roi du Maroc, le règne secret » : Mohammed VI, sujet sensible

15173850-roi-du-maroc-le-regne-secret-mohammed-vi-sujet-sensible.jpgPeut-on enquêter sur le souverain chérifien ? A Rabat, les critiques se déchaînent à l’approche de la diffusion en France de « Roi du Maroc, le règne secret », qui se penche sur la personne et la fortune de Mohammed VI.

Vengeance », « calomnie », « mascarade », « tentative de déstabilisation »… Sans même avoir encore visionné le film de Jean-Louis Pérez, diffusé dans la case « Docs interdits » de France 3, les Marocains s’en donnent à cœur joie, depuis ces dernières semaines, sur les réseaux sociaux. Avec cette enquête sur Mohammed VI, le réalisateur, habitué aux sujets sensibles (« la Planète Fifa », « Madoff, l’homme qui valait 65 milliards », etc.), semble avoir sauté à pieds joints dans un nid de frelons. Car l’évocation de la personne du roi, commandeur des croyants, reste un tabou au royaume chérifien.

« Je voudrais être pilote d’avion »

Le documentaire décrypte les 52 années de vie de Mohammed VI, de son enfance dans l’ombre d’un père autoritaire, à sa formation aux plus hautes fonctions dès la petite école malgré, peut-être, d’autres envies -« Je voudrais être pilote d’avion » disait-il, petit garçon, dans une archive exhumée pour la première fois à la télévision française. Mais il s’attarde essentiellement sur le règne de « M6 » et, surtout, questionne l’affairisme du souverain, une des très grandes fortunes mondiales.

Sans jamais tomber dans le sensationnalisme, le film dresse cliniquement un diagnostic sévère du Maroc seize ans après l’accession au trône du « roi des pauvres ». Jean-Louis Pérez n’élude aucun sujet de controverse : corruption, tentation d’utiliser les fonctions royales au profit du business de la holding familiale mais aussi contrôle de tous les leviers de l’Etat, des réseaux économiques aux sécuritaires en passant par la maîtrise, bien entendu, de la presse tant marocaine qu’étrangère.

Le journaliste a été lui-même arrêté à Rabat alors qu’il venait de commencer son tournage et a naturellement décidé de consacrer une large part du documentaire à la question de la liberté de la presse au Maroc.

Jean-Louis Pérez raconte :

« Je savais qu’il y aurait des difficultés à traiter de ce sujet. Mais une expulsion du pays simplement au bout de trois jours de travail, je ne l’imaginais pas. Le droit de la presse n’existe pas, comme l’attestent les témoignages très forts que j’ai obtenus. Ma plus grande fierté est d’être allé au bout de ce sujet. »

D’autant que les difficultés ont rattrapé le réalisateur jusqu’à Paris. Le 27 août dernier, alors que le film était pratiquement terminé, Pérez est pris dans la tourmente. La journaliste Catherine Graciet vient d’être arrêtée, accusée d’avoir accepté de l’argent du royaume chérifien pour renoncer à écrire un livre sur le Maroc. Or cette dernière a travaillé comme consultante sur le documentaire. « Je n’ étais au courant de rien. Ça été un choc, que j’ ai très mal vécu », se souvient Pérez, qui décide alors d’intégrer le scandale dans son film. « Le projet de livre de Catherine Graciet n’avait rien à voir avec mon film. J’avais tout intérêt à jouer la transparence », explique-t-il.

Fort du soutien de France 3, son diffuseur, Jean-Louis Pérez a alors pu terminer son film qui ambitionne de montrer le Maroc aujourd’hui,  « l’état de dureté, l’autoritarisme et la pauvreté. Même si évoquer ces sujets, c’est être catalogué à Rabat “ennemi du régime” alors même que cela n’a rien à voir ». Estampillé « à charge » par ses détracteurs marocains, le film ne porte pourtant aucun discours révolutionnaire. Aucun des témoins, de Moulay Hicham El Alaoui, cousin du roi, aux opposants exilés en France ou aux Etats-Unis, n’appelle par exemple à un changement de régime.

Mais il semble qu’au Maroc, interroger la personne du roi reste du domaine de l’interdit absolu. Quelques jours avant la diffusion du documentaire, trois personnalités interviewées dans le film ont d’ailleurs préféré prendre leurs distances avec ce dernier, affirmant dans un communiqué commun que leur « intervention ne peut en aucune manière être interprétée comme une quelconque caution de l’angle éditorial » du documentaire.

Roi Du Maroc, Le Règne Secret – 26/05/2016 – France 3