Robert Boyer, un des pères fondateurs de la théorie de la régulation: “L’Algérie rencontre les problèmes typiques d’un régime rentier”

Robert Boyer, un des pères fondateurs de la théorie de la régulation: “L’Algérie rencontre les problèmes typiques d’un régime rentier”

Sans peut-être s’en rendre compte, lui qui dit ignorer presque tout de l’actualité économique algérienne, le professeur Boyer a touché du doigt le problème majeur de l’Algérie, à savoir celui, justement, de l’absence de toute planification sur le long terme.

Invité par le laboratoire Redyl des réformes économiques et dynamiques locales de l’université de Tizi Ouzou, pour animer une conférence ayant pour thème “L’économie mondiale comme interdépendance de régimes socioéconomiques contrastés : quelles conséquences pour l’Algérie ?”, le prolifique professeur universitaire, Robert Boyer, reconnu comme l’un des pères fondateurs de la théorie de la régulation, a été finalement très peu prolixe concernant la situation de l’Algérie.

“Je n’ai pas étudié l’Algérie”, a prévenu cet économiste français non sans préciser, néanmoins, que l’Algérie n’échappe pas aux problèmes auxquels sont confrontés tous les régimes rentiers. “La trajectoire de l’Algérie a été façonnée par un régime essentiellement rentier et ce pays rencontre les problèmes typiques d’un tel régime”, a-t-il analysé avant de poser la problématique cruciale pour savoir “si le pays est un exemple de politiques qui ont permis de convertir la rente en capital productif et innovation ?”.

Pour lui, c’est à ce niveau qu’il sera utile de mener de nouvelles études car, à son avis, les régimes rentiers ne fonctionnent pas tous de la même manière. “Les régimes rentiers sont radicalement distincts en termes de logique, de rôle de l’État, de régime monétaire et d’insertion internationale”, a-t-il distingué avant de mettre en relief ce que ces régimes ont en commun. “Ils sont tous dépendants de la dynamique impulsée par les régimes socioéconomiques industrialistes, tels que la Chine, et financiarisés, tels que les États-Unis, et ils n’ont pas vocation à converger vers une logique typiquement capitaliste”, a analysé l’auteur de La théorie de la régulation  et de Économie politique des capitalismes.

Théorie de la régulation et des crises. Pour ce directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), les régimes rentiers ne sont pas tous condamnés à vivre la même crise que celle qui secoue le Venezuela, “car c’est un pays qui constitue un cas extrême”, mais à condition, a-t-il nuancé, “d’emprunter la voie qui est celle d’avoir la capacité d’organiser l’allocation des ressources pour continuer à répondre aux besoins de la société lorsque, peut-être dans 25 ans, il n’y aura plus de pétrole”.

Et cela nécessite, du point de vue de ce professeur émérite, “une préparation de longue haleine et une grande planification pour trouver des créneaux compétitifs”. Sans peut-être s’en rendre compte, lui qui dit ignorer presque tout de l’actualité économique algérienne, le professeur Boyer a touché du doigt le problème majeur de l’Algérie, à savoir celui, justement, de l’absence de toute planification sur le long terme.

L’autre difficulté, et non des moindres, à laquelle sont confrontés les régimes rentiers, c’est lorsqu’il y a un problème urgent de baisse des recettes fiscales et de rente, parce que là, a-t-il avisé, “le court terme chasse le long terme, et là, tenir le cap devient une grande difficulté”. À ce titre, le Pr Boyer estime que les deux seuls pays qui tiennent le cap sont l’Inde et la Chine.

Samir LESLOUS