Il a joué avec Pelé dans la meilleure équipe de tous les temps
Le rendez-vous avec Roberto Rivellino a été pris au début de la matinée à la Escola Rivellino, l’école de football qu’il dirige depuis 20 ans. On a attendu une vingtaine de minutes avant qu’un vieil homme débarque dans la cafétéria de l’école et commence à sortir des cages pour les accrocher un peu partout dans une grande terrasse. Des cages avec toutes sortes d’oiseaux exotiques aux noms bizarres. Un vieil homme à la calvitie prononcée avec une peau très blanche. Pour vous dire la vérité, il nous a fallu quelques minutes pour nous rendre compte qu’il s’agissait de notre hôte Roberto Rivellino. Grâce à son éternelle moustache, ses pas chaloupés et ses mollets musclés qui ont fait sa réputation de «tireur d’élite». Rivellino nous a accueillis par un chaleureux salam aleikoum avec un accent saoudien très prononcé. La discussion pouvait commencer. C’était passionnant.
Merci pour l’accueil M. Rivellino.
Salam aleikoum. Tout le plaisir est pour moi. C’est un plaisir de parler avec les Algériens. L’Algérie me rappelle un bon souvenir qui remonte à une quarantaine d’années, lorsque nous avons joué un match amical à Alger après une tournée en Europe et en Afrique du Nord.
Wa aleikoum salam. Quel souvenir gardez-vous de ce match contre l’Algérie ?
Un très bon souvenir. On avait fait une tournée en Europe et en Afrique du Nord et on a joué un match contre l’Algérie. Ce qui m’a frappé à l’époque c’est la pelouse synthétique où on a joué notre match (NDLR : le terrain du 5-Juillet était à l’époque en synthétique) et qu’on a gagné 2 à 0 avec un but de Paulo Cesar et un autre que j’ai inscrit moi-même. Je me rappelle aussi qu’avant d’affronter l’Algérie, on avait joué en Tunisie. Sur l’un de mes coups francs, le gardien de but tunisien (Attouga, ndlr), qui avait la main molle, a fini à l’hôpital avec une luxation de l’épaule. On prenait ces matchs très au sérieux puisqu’on préparait la Coupe du monde 74 en Allemagne. Face à l’Algérie, on s’était d’ailleurs présentés au complet avec Paolo Cesar, Clodoaldo, Chiquinho…
Avez-vous rencontré le gardien de but après le match ?
Non, mais j’ai quand même demandé après lui et on m’avait dit qu’il n’avait rien de grave. Je tiens donc à le saluer à travers vous.
C’est sans doute la seule fois qu’un gardien est blessé par la puissance d’un tir…
Non, il n’a pas été blessé à cause de ça. S’il avait la main ferme, il n’aurait rien eu. C’est vrai que j’avais des tirs puissants mais pas au point de blesser un gardien de but (il rit).
Que faites-vous actuellement ?
Cela fait 20 ans que je m’occupe des enfants ici. Ce n’est pas une école qui forme les futurs cracks brésiliens, mais ça permet au moins aux gamins d’apprendre les premiers rudiments du football. Ici, à Sao Paulo, il n’y a pas d’espaces de jeu pour les enfants et là on leur offre des moments de bonheur. L’idée est beaucoup plus sociale.
Mais s’il y a un bon joueur, vous allez quand même le lancer.
Naturellement. On va plutôt l’envoyer à un club pour lui permettre de progresser encore plus. Durant toute ma vie, j’ai toujours aimé les enfants, d’où la création de cette école.
A part ça, vous coulez une retraite tranquille ?
Oui, on peut dire ça. Quand j’ai arrêté ma carrière de footballeur en 82, j’ai travaillé longtemps à la télé comme consultant. 24 ans à commenter les matchs dans deux télévisions différentes, c’est beaucoup, vous ne trouvez pas ? La dernière Coupe du monde que j’ai commentée, c’était en 2002. L’heure de la retraite a donc sonné pour moi. Je profite donc de mon temps libre et de la vie en m’occupant des enfants et en participant à une émission télé une fois par semaine.
Vous m’avez salué en arabe tout à l’heure avec un accent saoudien. C’est dû à votre passage dans le championnat saoudien ?
Oui, j’ai passé trois années à Al Hillal et mon meilleur ami était le Tunisien Najib Limam. C’était un excellent joueur et un grand homme, c’est d’ailleurs lui qui m’a beaucoup aidé pour mon adaptation. J’ai une grande affection pour le peuple arabe en général et je suis fier d’avoir été le premier Brésilien à jouer dans le championnat saoudien. J’ai quelque part participé au développement du football dans les pays arabes.
On vous a sans doute dit que la moustache est très importante dans les pays arabes, non ?
Je sais qu’à l’époque, un vrai Arabe ne se rasait jamais la moustache. C’est pour ça aussi qu’on m’appréciait.
C’est quoi votre histoire avec la moustache ?
Il n’y a pas une histoire particulière. Avant la Coupe du monde 70, j’ai laissé pousser la moustache pour ressembler à mon père. Cela m’a porté bonheur puisque j’ai été champion du monde à l’âge de 24 ans et aux côtés de Pelé. Après le Mondial, ma femme a aimé ma moustache, je l’ai donc laissée jusqu’à aujourd’hui (NDLR : Rivellino a 67 ans). Cette moustache fait désormais partie de ma personnalité.
Votre épouse est sans doute heureuse ?
L’actuelle ? Oui, très heureuse.
Vous avez fait partie de la sélection brésilienne de 70 considérée comme la meilleure équipe de tous les temps. Certains pensent pourtant que le Barça actuel est plus fort. Qu’en dites-vous ?
(Il sourit pendant un bon moment) C’est très difficile de comparer deux équipes de deux époques différentes. Mais, il est aussi très difficile à une autre sélection de faire ce que la Seleçao de 70 avait fait. L’équipe de 70 est incomparable, on ne peut la comparer à aucune sélection, à aucun club. Nous avions une équipe fantastique qui a enchanté le monde avec des joueurs exceptionnels. Et chose importante, à notre époque il n’y avait pas d’intérêts politiques. Par la suite oui.
Que voulez-vous dire par intérêts politiques ?
En 1978, par exemple, il y a eu des intérêts politiques. L’Argentine a battu 6 à 0 le Pérou dans un match honteux pour se qualifier en finale au détriment du Brésil. Tout le monde sait que le match était combiné pour servir des intérêts politiques et ça restera comme une tâche noire dans l’histoire de la Coupe du monde. Tout le monde connaît la situation politique en Argentine à l’époque et tout le monde sait que la victoire de l’Argentine a servi des politiques.
Lors de la finale de la Coupe du monde 98, il y a eu également des choses pas claires, non ?
Avant le match surtout, mais il faut reconnaître que la France possédait une équipe très forte avec Zidane au meilleur moment de sa carrière.
Vous dites qu’il est difficile de comparer le Brésil 70 au Barça 2010. Pourtant Pelé pense que le Barça est l’équipe qui ressemble le plus au Brésil 70 avec beaucoup de similitudes comme la conservation du ballon, la récupération, le jeu à une touche de balle. Il a même avancé que Xavi est le joueur qui lui ressemblait le plus…
OK, vous voulez m’obliger à comparer le Brésil et le FC Barcelone, mais je ne comparerai jamais un autre joueur avec Pelé. Pelé est le meilleur joueur du monde sans conteste. En plus, Xavi qui est un excellent joueur évolue derrière. C’est un joueur qui stabilise le jeu, qui accélère quand il le faut, mais il arrive rarement au but adverse, il marque d’ailleurs peu de buts. S’il y a quelqu’un du Barça qui a le même positionnement que Pelé, c’est bien Messi qui est en même temps un passeur et un buteur. Cela dit, Messi lui-même n’a pas les qualités de Pelé. Pelé avait un jeu de tête extraordinaire, il contrôlait le ballon comme personne d’autre, il jouait aussi bien avec le pied droit qu’avec le pied gauche, physiquement il était très puissant. Ce qu’a réalisé Pelé, personne d’autre ne l’a encore fait et je doute qu’il le fasse.
C’est donc Pelé le meilleur de l’histoire…
Pour moi oui, sans aucun doute. Messi ressemble beaucoup plus à Maradona. Mais, Pelé est au-dessus. Aujourd’hui et grâce à la télé, un joueur est considéré comme le meilleur pour avoir mis deux ou trois buts alors qu’en réalité il n’a encore rien fait. Vous imaginez un peu si on avait filmé toutes les actions et les buts de Pelé comme on le fait avec Messi et Cristiano Ronaldo ! Aujourd’hui, le football est fort médiatiquement, mais il est faible en qualité technique. Combien de joueurs d’exception y a-t-il dans le monde ? Cristiano Ronaldo et Messi. C’est très peu. Pelé a gagné la Coupe du monde à 17 ans. Quel est le joueur qui ferait ça ? Sans doute aucun. Pourtant, Dieu seul sait dans quelles conditions nous évoluions. Aujourd’hui, le joueur a son propre nutritionniste, son propre préparateur physique, son propre agent. Rien n’est laissé au hasard pour tirer le maximum d’un footballeur. A notre époque, on s’entraînait et on ne savait plus quoi faire après. L’équipement pesait trois kilos, le ballon était lourd, les terrains étaient parfois catastrophiques. Avec toutes les facilités et toute la technologie qu’il y a aujourd’hui, on n’arrive pas à sortir deux ou trois joueurs d’exception. Ne parlons pas de l’argent fou qui circule dans les transferts.
Vous n’avez pas cité Neymar parmi les joueurs d’exception…
Parce qu’il n’a encore rien prouvé. Mais, je sais qu’à Barcelone il sera dans son élément parce que le jeu qu’on pratique là-bas l’arrange. Neymar a un énorme potentiel, il a choisi un club qui joue bien au ballon et il est parti au meilleur moment de sa carrière. Maintenant, à lui de s’imposer pour devenir un joueur d’exception. Il est heureux d’avoir choisi le Barça, c’est déjà très important.
Que peut ramener Neymar au Barça ?
La fantaisie et l’insouciance. Deux choses qui manquent à Barcelone. Maintenant, la fantaisie ce n’est pas bon quand on en abuse. C’est bien de temps en temps surtout pour un joueur comme Neymar qui aime toucher le ballon. Il faut des dribbles, de la fantaisie, mais au bon moment. Neymar doit savoir quand il faut accélérer le jeu, quand il faut le ralentir, quand il doit réaliser ses trucs fantaisistes. Il faut aussi qu’il s’appuie sur Messi, Xavi et Iniesta notamment parce qu’il sera attendu au tournant. J’espère que l’entraîneur mettra en place un dispositif où Neymar sera aussi important que Messi.
Que pensez-vous de la sélection brésilienne
actuelle ?
Je ne sais pas quoi vous dire sincèrement. Il y a une philosophie du jeu immuable au Brésil, celle du football spectacle qui rend heureux les gens. Malheureusement, ce n’est pas ce que je vois lorsque je regarde jouer le Brésil de Scolari. Au Brésil, le devoir de bien jouer est plus important que le devoir de gagner. On peut vous pardonner une défaite si vous jouez bien, mais on ne vous pardonne jamais de ne pas bien jouer même si vous gagnez. Pour gagner la confiance du peuple brésilien, il faut d’abord bien jouer.
Vous ne semblez pas optimiste pour la Coupe du monde 2014…
Scolari a un an pour préparer une équipe qui jouera bien et qui gagnera le Mondial.
Racontez-nous l’histoire de cet entraîneur qui vous a renvoyé de Palmeiras lorsque vous avez effectué des essais ?
J’étais petit et je jouais dans une petite équipe qui s’appelait Banesto. Nous avons joué une rencontre amicale contre Palmeiras dont tous les membres de ma famille étaient supporters. Vous n’imaginez pas la joie de mon père lorsque notre directeur sportif qui avait remarqué que j’avais des qualités est allé le voir pour lui dire de ramener son gamin pour effectuer des essais à Palmeiras. Au bout de trois entraînements, l’entraîneur m’a demandé de ne plus revenir. Je crois que cet entraîneur ne me regardait même pas car à chaque fois que je faisais une belle action, je me tournais vers lui pour voir s’il me regardait, et je le surprenais en train de regarder partout, sauf du côté du petit Rivelino.
Comment un gamin peut-il se remettre d’une déception aussi grande pour ensuite devenir champion du monde ?
Quand il m’a écarté, j’ai pensé arrêter le foot, mais les gens de mon entourage continuaient à dire que le petit Rivellino devrait aller dans une grande équipe et qu’il avait des qualités pour. Cela m’a encouragé à m’accrocher. Le même directeur sportif qui m’a proposé à Palmeiras a parlé de moi à un dirigeant de Corinthians. Après un essai, on m’a pris. Le plus intéressant dans cette histoire, c’est que nous avons rencontré Palmeiras en finale de la Coupe de l’état de Sao Paulo et nous avons gagné 2 à 0. J’ai réalisé un grand match devant les yeux de l’entraîneur qui m’avait écarté quelques mois plus tôt. Ce dernier m’a reconnu et est venu vers moi pour me dire : «Je me suis trompé sur ton compte petit, tu dois venir jouer à Palmeiras.» Je lui ai rétorqué : «Pas question, c’est à Corinthians que je jouerai.» Ce qui m’avait fait le plus mal, ce n’était pas le fait d’avoir été recalé, mais c’est le fait d’être un supporter de Palmeiras. Je suis un descendant d’Italiens et tous les descendants d’Italiens sont du Palmeiras. Ce monsieur a brisé mon rêve de jouer dans le club de mon cœur, mais il n’a pas brisé mon rêve de devenir footballeur professionnel.
Etes-vous toujours supporter de Palmeiras ?
Je suis supporter de l’équipe qui m’a ouvert ses portes et qui m’a permis d’être ce que je suis aujourd’hui : le Corinthians. Vous savez, même Pelé a été recalé par Palmeiras. Alors !