Dans sa rubrique Mythes Téléfoot, la rédaction raconte un événement, un fait, un joueur, une compétition, un moment d’histoire, et le démystifie. Pour le lancement de la Coupe du Monde, Telefoot.fr a choisi de vous faire (re)découvrir une scène historique qui a marqué l’histoire du football. Alors que l’Algérie est la première équipe africaine en passe de se qualifier pour le second tour d’un Mondial, un match suspect entre la RFA et l’Autriche l’élimine.
Il est parfois des scenarii cruels dans le football, qui flirtent avec la triche. En 1982, c’est l’Algérie qui en a fait les frais. Après avoir disposé d’une terrible équipe d’Allemagne de l’Ouest, elle voit tous ses espoirs de rallier le second tour de la compétition dans un non match entre cette même RFA et l’Autriche. Un scénario qui arrangeait tout le monde. Tout le monde sauf l’Algérie.
« Nous allons dédicacer le septième but à nos femmes »
L’édition 1982 de la Coupe du Monde est certainement la plus controversée de l’histoire. Si Schumacher s’était rendu coupable d’un attentat abominable sur Battiston, quelques jours auparavant, l’inimaginable se produit pour l’Algérie. Premier choc, l’Argentine, victorieuse quatre ans plus tôt s’incline 1-0 face à la Belgique. La suite allait être une série de bizarreries toutes plus surprenantes les unes que les autres.
Pour sa première Coupe du Monde, l’Algérie hérite d’un groupe compliqué, composé de la RFA, de l’Autriche et du Chili. Pour son premier match, elle doit faire face à la terrible équipe d’Allemagne de l’Ouest, composée entre autres par Breitner, Rummenigge et Stielike. Les Allemands sont sûrs d’eux, ils ne vont faire qu’une bouchée des Algériens. Ils ont gagné leurs huit matches de qualification haut la main, en inscrivant 33 buts pour seulement 3 concédés. Lors de la conférence de presse d’avant-match, les Allemands ridiculisent leurs adversaires : « Nous allons dédicacer notre septième but à nos femmes, et le huitième à nos chiens. » Quant à l’entraîneur, c’est tout aussi limite. Il promet de rentrer à pied à Munich si la RFA s’incline. « Un joueur a même dit qu’il allait jouer contre nous un cigare à la bouche », a confié Chaabane Merzekane, un joueur algérien de l’époque. Jupp Derwall, le coach allemand, dispose d’une cassette de l’Algérie, mais n’ose même pas la montrer à sa bande de joueurs, de peur qu’elle lui rit au nez.
Dîner inoubliable avec Chaabane Merzekane, membre de l’équipe d’Algérie 82 #foot #légende pic.twitter.com/dKLX83UYT6
— Franck Ballanger (@FranckBALLANGER) 24 Mai 2013
L’Algérie plus forte que la RFA
Et justement, en parlant de nez, l’Algérie fait un beau pied de nez à l’Allemagne de l’Ouest. Vingt ans après leur indépendance, les joueurs sont transcendés par l’événement, et sont les auteurs d’une des meilleures prestations de l’équipe d’Algérie. Les Fennecs viennent à bout des Allemands et s’imposent 2-1, grâce à une superbe réalisation de Merzekane. Euphoriques, les Algériens vont pourtant connaitre une déception lors de leur deuxième match. Face aux Autrichiens, ils retombent sur terre, et s’inclinent 2-0, tandis que la RFA étrille le Chili 4-1. Le destin de la RFA, l’Autriche et l’Algérie doit s’écrire lors du dernier match de la poule. Les Fennecs dominent le Chili 3-2. Pour se qualifier et être la première équipe africaine à passer un tour lors d’un Mondial, tout résultat leur est favorable, excepté une victoire avec un ou deux buts d’écart de l’Allemagne de l’Ouest sur l’Autriche. Dans ce cas-là, ce sont les deux équipes européennes qui seraient qualifiées…
Mahmoud Guendouz, Coupe du monde 1982, Aprés le match Algérie Allemagne ✨✨���
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— AdleneGuedioura Fans (@AddyGuedioura) 10 Juin 2014
Anschluss of Gijon
Devant les 41 000 spectateurs du stade El Molinon de Gijón, la RFA et l’Autriche vont livrer un spectacle pitoyable. Très vite, à la 10ème minute, Horst Hrubesch ouvre le score pour les Allemands. Ensuite, c’est le néant. Les deux équipes, satisfaites par ce résultat qui arrange tout le monde, sauf l’Algérie, refusent le jeu. La suite se résume à un triste enchainement de passes. En 80 minutes, quasiment aucun tir, aucun tacle, aucune envie d’aller de l’avant. L’Algérie est alors au cœur d’une véritable conspiration. Les spectateurs chantent « Fuera ! Fuera » (Dehors, dehors), et certains sortent même les mouchoirs blancs en guise de protestation. Quelques Algériens dans le stade brûlent de l’argent, pour montrer que le match a été acheté. Qu’importe, la RFA s’impose 1-0. Elle est qualifiée, tout comme l’Autriche. Quant à l’Algérie, elle rentre à la maison. Depuis, cet événement porte le nom de « Anschluss of Gijon », en référence à l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne en 1938.
En 1982, RFA et Autriche font un match qualifié encore aujourd’hui de «match de la honte» //t.co/ZpOHXZzoOQ pic.twitter.com/CBgi0ESsy5
— Zine-Eddine Zitouni (@zitofaa) 23 Mai 2014
Contestations en pagaille
Devant un tel spectacle, un supporteur allemand brûle un drapeau à l’effigie de son pays, tandis qu’un de ses homologues algériens tente, en vain, de pénétrer sur la pelouse. Du côté des commentateurs, le choc est tout aussi violent. Eberhard Stanjek, commentateur pour la chaîne allemande ARD, est au bord des larmes : « Ce qui se passe en ce moment ici est honteux et n’a rien voir avec le football. Vous pouvez dire ce que vous voulez, mais toutes les fins ne justifient pas les moyens. » Même son de cloche du côté de son homologue autrichien. Il demande carrément aux téléspectateurs d’éteindre leur télévision, et refuse de commenter durant la dernière demi-heure. Un ancien international allemand de l’ouest, Willi Schulz, qualifie les joueurs de sa nation de « gangsters ».
Today in 1982 – A 1-0 win for West Germany over Austria at walking pace meant Algeria go out of the 1982 World Cup pic.twitter.com/HNGK7iwcHw
— Michael Man Utdzw (@MHennah) 25 Juin 2013
Bombes à eau
De son côté, l’équipe allemande ne cherche pas à s’excuser, bien au contraire. Alors que des supporteurs mécontents viennent protester en bas de leur hôtel, ils ne trouvent rien de mieux à faire que de leur envoyer des bombes à eau depuis leur balcon. Plus surprenant encore, les déclarations du chef de la délégation autrichienne, Hans Tschak : « Naturellement le match d’aujourd’hui a été joué tactiquement. Mais si 10 000 fils du désert voulaient déclencher un scandale dans le stade c’était juste pour montrer qu’ils avaient trop peu d’écoles. »
Les Algériens restent calmes
Face à un tel scandale, il aurait été légitime voire normal de voir les joueurs algériens s’énerver, protester, contester. Que nenni : « Nous n’étions pas énervés, nous étions cool. Voir deux grandes puissances dégrader leur image pour nous éliminer a été un hommage à l’Algérie. Ils ont avancé avec déshonneur, nous nous avons toujours gardé la tête haute. », explique Merzekane.
Accord et décalage
Plus de vingt ans après les faits, personne n’avait officiellement reconnu une entente entre la RFA et l’Autriche. Il a fallu attendre 25 ans pour voir la langue de Harald Schumacher se délier. Le portier allemand avoua que le match était truqué, et demanda pardon aux Algériens. Pour témoigner de sa bonne foi, il proposa même de reformer les équipes algériennes et allemandes de l’époque, et de disputer un match. Une version démentie par plusieurs joueurs de la RFA.
Quant à la FIFA, elle n’a jamais souhaité prendre de sanctions contre les deux équipes, malgré la vindicte populaire. Afin qu’un scandale de ce genre n’ait plus jamais lieu, elle a en revanche créé une règle. Désormais, le dernier match des quatre équipe d’un groupe se jouerait en même temps.
Comme si une justice divine existait, l’Allemagne de l’Ouest s’est inclinée en finale du mondiale face à l’Italie, après avoir éliminé la France lors de la demi-finale.