Révolutions arabes : un Maghreb sous chari’a ?

Révolutions arabes : un Maghreb sous chari’a ?

Après les Révolutions arabes, la Tunisie, l’Égypte, la Libye s’apprêtent à soumettre à référendum leur nouvelle constitution qui consacre la chari’a comme fondement de l’Etat. La révision de la Constitution en Algérie annoncée par Abdelaziz Bouteflika se contentera-t-elle de l’article 2 ?

Ces tensions se sont manifestées en Tunisie le mois d’août dernier par un projet de loi constitutionnelle révélé à l’opinion publique statuant sur « le rôle complémentaire » de la femme au sein de la famille, niant ainsi l’égalité des citoyens, sans distinction de sexes.

Ce projet de loi a provoqué un déferlement d’indignation et de colère au sein des organisations féminines et des droits de l’homme qui ont manifesté le mois d’août dernier devant le parlement réclamant le retrait de cette loi discriminatoire.

Pour calmer les esprits, Rached Ghannouchi, le leader du parti islamiste au pouvoir a déclaré qu’il n’inscrira pas la chari’a dans la future constitution, formellement du moins, s’octroyant ainsi le satisfecit du président par intérim Moncef Merzouki et de quelques militant(e)s des droits de l’homme, comme Sihem Bensedrine.

Moins de deux mois après cette déclaration, Ghannouchi ironise ses propos du mois d’août et révèle leur sens caché dans une vidéo « fuitée » sur internet  et diffusée sur les réseaux sociaux mercredi 10 octobre 2012. Celle-ci filme une conversation téléphonique entre Rached Ghannouchi et son compère Béchir Ben Hassen, de la mouvance « salafiste » qui lui a suggéré le recours au référendum à propos de l’article 1er de la Constitution sur la chari’a. La réponse de Rached Ghannouchi ne s’est pas fait attendre et tranche avec sa déclaration « anti-chari’a » dans la constitution tenue le mois d’août.

Pour lui, l’application de la loi islamique est une question de rapport de force et de temps et qu’il n’y a rien à perdre quant à son application puisque le principe est acquis: « Celui qui met en place les lois, ce n’est la pas la Constitution, mais le rapport de forces« , estimant :

« On a déjà atteint un degré de conscience tel que plus personne n’ose remettre en question la mention d’Etat, dont le peuple est arabe et la religion est l’islam (…) On veut insuffler cet esprit islamique dans le peuple, il faut prendre le temps d’éduquer les jeunes, de les former et de diffuser chez le peuple une conscience islamique globale. A ce moment là, c’est le peuple qui exigera l’application de la chariâa !»

En Egypte, la commission d’élaboration de l’Assemblée constituante a achevé la première mouture de la Constitution du pays.
 D’après la déclaration constitutionnelle du président égyptien Mohamed Morsi, ce projet sera soumis au référendum de la population ce mois de novembre 2012.

D’ores et déjà, il suscite de vives inquiétudes et les premières observations d’ONG se font très critiques sur les dispositions constitutionnelles envisagées. « Le projet de Constitution égyptienne, largement influencé par les islamistes, contient des articles qui pourraient gravement menacer les droits de l’Homme dans l’Egypte de l’après-Moubarak« , a affirmé lundi l’ONG Human Rights Watch (HRW) qui a obtenu le texte du projet de constitution.

HRW fait observer que si « 

le projet maintient certains droits civils, politiques, sociaux et économiques« , en revanche « d’autres dispositions sont en contradiction avec les standards internationaux des droits de l’Homme et poseraient une menace sérieuse à l’avenir des droits de l’Homme en Egypte« .

L’ONG passe en revue un certain nombre d’articles de lois aux antipodes des fondamentaux de la Convention internationale des droits de l’homme. Des menaces pèsent sur l’égalité entre hommes et femmes, la liberté d’expression et de culte. « Le fait de ne pas interdire entièrement la torture est particulièrement surprenant« .

Selon l’ONG, « L’article 36, à l’origine de plusieurs manifestations féministes, dit que l’Etat doit garantir l’égalité entre hommes et femmes tant qu’elle ne contredit pas les préceptes de la charia islamique.

 Un article interdisant explicitement la traite des femmes et des enfants a aussi été enlevé après des pressions de la part des membres salafistes de la commission« .

En libye, « le projet de constitution sera fin prêt d’ici deux semaines« , a affirmé mercredi le président de l’Assemblée nationale constituante (ANC), Mustapha Ben Jaafar, lors d’un entretien avec le président de la délégation Maghreb au Parlement européen Pier Antonio Panzeri, selon un communiqué de l’ANC. Dès la prise de Tripoli et la mort de Kadhafi, le président du CNT (Conseil national de transition), Moustapha Abdeljalil, a déclaré à Benghazi où la « libération » a été proclamée, que la législation du pays sera fondée sur la chari’a : « En tant que pays islamique, nous avons adopté la charia comme loi essentielle et toute loi qui violera la charia sera légalement nulle et non avenue. »

En juillet dernier, quelques jours avant le scrutin législatif, Moustapha Abdeljalil, a donné le ton sur l’orientation d’un tel scrutin : « Le peuple libyen est attaché à l’islam comme religion et comme législation. Par conséquent, le Conseil national de transition recommande (à la prochaine Assemblée constituante) de considérer la charia comme la principale source de la législation. »

La constitution algérienne, depuis la Charte de Tripoli de 1962 en Algérie,  consacre l’islam religion de l’Etat dans son article 2.

Sa révision annoncée par Abdelaziz Bouteflika dans le sillage de ses réformes et en prévision des  présidentielles de 2014, se contentera-t-elle de cet article que Ghannouchi a qualifié de « pareil au même » dans la vidéo piratée ? La concorde civile élargie en amnistie générale en faveur de l’islamisme politique et de son bras armé, Al Qaïda au Maghreb islamique est le lieu de germination de la chari’a qui s’étend d’Alger à Tombouctou puisque le dialogue d’Alger au Nord-Mali n’a jamais dénoncé les pratiques d’horreurs des groupes islamiques sur les populations au nom de la chari’a.

La loi islamique en Algérie, dans sa forme et son esprit, s’est substituée à l’institution judiciaire qui condamne les non jeûneurs, les convertis à d’autres religions, autorise les viols au nom du « mariage de jouissance« , met sous scellé les débits de boissons, bars et cabarets, encourage l’inquisition contre les femmes non voilées, donne la chasse aux militants des droits de l’homme. Le recul « électoraliste » des islamistes corrompus par le pouvoir a paradoxalement, favorisé le retour idéologique du FIS de 1992.

Abdelaziz Bouteflika n’a aucun autre projet de société que celui d’un Etat islamique à la faveur duquel toutes les corruptions, iniquités sont permises.

Ainsi, tous les projets de constitution annoncés en voie de finalisation en Tunisie, Libye, Egypte et en oeuvre en Algérie, portent la chari’a dans leur article 1 qui se décline en plusieurs autres.

Une question s’impose et que tout le monde se pose : les constitutions de l’ère des dictatures de Kadhafi, Moubarek, Ben Ali et… Bouteflika, nées à la faveur des nationalismes post-coloniaux, sont-elles plus démocratiques et respectueuses des libertés citoyennes, des droits de l’homme que celles annoncées par les partis islamistes au pouvoir qui battent la « chari’a » tant qu’elle est chaude ?

R.N avec Agences