Révolution à El Moudjahid : Des employés y dénoncent le favoritisme, le népotisme et le clientélisme

Révolution à El Moudjahid : Des employés y dénoncent le favoritisme, le népotisme et le clientélisme

Du jamais vu ! Le personnel du quotidien gouvernemental El Moudjahid a observé mardi 22 mars un sit-in de protestation entre 13h et 14 h30 devant le siège de leur employeur à Alger, a constaté une journaliste de DNA sur place. Les travailleurs issus des différentes services dénoncent les « dérives et les dépassements » dans la gestion de leur entreprise de presse et réclament, entre autres, le reclassement, gelé depuis 20 ans, de tous les personnels lésés.

Une mini-révolution dans ce journal du secteur public, transformé en porte-voix officiel des autorités depuis l’indépendance du pays en juillet 1962.

Environ 40 salariés des services administration, rédaction, documentation, régie publicitaire et parc automobile ont campé pendant presque deux heures devant la porte d’entrée du journal.

Sur le mur de l’immeuble abritant le siège du quotidien, des pancartes étaient accrochées. « El Moudjahid n’est pas une propriété privée », « messieurs les responsables, affichez vos salaires », « stop à la Hogra (mépris) », « Halte au favoritisme », peut-on lire sur les pancartes.

Les salariés protestataires qui reprenaient les mêmes slogans réclament le rétablissement des travailleurs dans leurs droits. « Prés de 20 ans de travail, des salariés n’ont pas été reclassés. Ceci alors que certains sont favorisés au détriment des autres », affirme un protestataire.

Ceux qui s’expriment à DNA refusent que leurs noms soient cité, de peur de représailles, disent-ils.

« Les responsables du journal touchent des salaires faramineux. C’est du deux poids deux mesures », dénonce un journaliste.

Et de s’indigner : « Lorsque nous demandons nos droits, les responsables refusent d’accéder à notre requête. Pourtant, le journal brasse des milliards grâce à la publicité étatique ».

Les négociations entamées lundi 21 mars entre le Directeur général, Abdelmadjid Cherbal, et les délégués des travailleurs ont été infructueuses, précise notre interlocuteur

Un autre salarié, la cinquantaine, explose : « Après 13 années de service, je n’ai jamais été augmenté. C’est de la hogra ! ».

Selon lui, le capital social du journal est passé de 1 million de dinars en 1998 à 50 millions de dinars en 2007. « De cet argent, on ne voit rien venir », se plaint-il.

A El Moudjahid, à titre d’illustration, un agent de bureau est classé à l’échelon 7 alors qu’une femme ménage est classée à 10, s’indignent les travailleurs.

Si les salaires des petits mains est bas, ceux des responsables sont plutôt conséquents. Alors les salariés du journal étatique fustigent ces salaires mirobolants accordés aux cadres dirigeants, dont le directeur général et le directeur de l’Administration et Finances.

« Les cadres dirigeants n’ont jamais écrit une ligne de leur vie et touchent des salaires faramineux et de manière illégale. Cela sans parler d’autres avantages : abonnements de téléphonie illimités, bons d’essence, et chauffeurs pour la famille et les enfants », s’offusque un employé d’El Moudjahid.

Selon lui, le journal est composé de deux « collèges ». Le premier qui bénéficie de toutes sortes d’avantages et de privilèges et le second chargé de « la sale besogne ».

Dans une lettre adressée au directeur général du quotidien public, dont DNA s’est procurée une copie, les salariés dénoncent de « graves dérives et dépassements que connaît [leur] journal, et qui n’ont fait qu’empirer ces dernières années, des dérives qui ont conduits notamment (…) à une gestion basée sur la favoritisme, le clientélisme, le népotisme, avec une absence totale d’éthique et un mépris affiché envers le collectif ».

A Abdelmadjid Cherbal, directeur général du journal, les travailleurs lui reprochent d’avoir dénié leurs droits depuis en installation la tête du journal en 1997.

Les travailleurs accusent, dans la même missive, les cadres responsables d’être à l’origine des injustices. « Ces dernières années, le collectif est considéré comme une bande de parasites alors que vous connaissez très bien qui sont les véritables parasites grassement rétribués à notre détriment, et qui sont devenus, par on ne sait quel miracle, de grands propriétaires et riches notables expatriés », contre-attaquent les rédacteurs de la lettre.

Les propos visent le directeur de l’Administration et Finances auquel est reproché également de passer plus de temps à l’étranger qu’au sein du journal « DAF : directeur d’air France », ironisait d’ailleurs une pancarte brandie par les protestataires.

« Vos agissement, en tant que cadres dirigeants du journal ont généré au fils du temps, des injustices inadmissibles qui vous ont rendues sourds et aveugles face aux plus élémentaires des droits, et sur lesquels, il n’est plus question de se taire », poursuit encore le collectif des travailleurs.

Dans leur plate forme de revendication, le collectif créé à cette occasion réclame le reclassement et la régularisation des travailleurs, selon l’ancien et le plan de carrière, la permanisation des contractuels, la réactualisation des primes et indemnités, la revalorisation du poste de travail, l’accès au congé divers à l’ensemble du personnel affilié à la rédaction.

Les travailleurs exigent par ailleurs le rétablissement à 30 % de la prime de rendement individuel, l’«allégrement distribué à ces mêmes favoris », le rétablissement des frais de mission à 100 %, la révision du statut des correspondants régionaux, l’affichage des sommes et des modalités de distribution de la prime de bénéfice annuel et la cessation de « l’ingérence de la photographe parachutée responsable, sans niveau, ni qualification, dans la gestion de la rédaction ».

Le statut du quotidien gouvernemental qui devra changer en Eurl le 27 mars prochain inquiète les salariés protestataires. « Nous appréhendons le changement de statut. Avec la nouvelle direction, nous craignons que nos revendications soient remises aux calendes grecques », affirme une journaliste, porte-parole du collectif des travailleurs.

Si la direction du journal reste silencieuse, les travailleurs comptent tenir mercredi un sit-in de protestation devant le siège du ministère de la Communication.

Crée durant la guerre d’Algérie, le journal francophone El Moudjahid est devenu un quotidien en juin 1965, peu de temps après le coup d’Etat qui a renversé le président Ahmed Ben Bella.

Devenu organe central des autorités algériennes, «El Moudj » a formé plusieurs générations de journalistes algériens dont certains travaillent encore aujourd’hui dans la presse privée.

Doté d’une rotative qui impriment à des millions d’exemplaires plusieurs titres de la presse francophone et arabophone, El Moudjahid est une entreprise florissante.