«Les Algériens ne sont pas indifférents à ce qui se passe dans les pays voisins»
La chute des dictateurs arabes ne laisse pas les Algériens indifférents, loin s’en faut!
Épuisés par le mois de Ramadhan, abattus par les dépenses et affolés par le regain des attentats terroristes, les Algériens ne perdent pas de vue les convulsions de la révolution arabe dans les pays voisins. Au fait, comment les Algériens vivent-ils ces révolutions? Quelques «fouilles» sur la Toile, nous ont permis de capter des opinions diversifiées sur cette question. L’oeil rivé sur l’écran, les internautes algériens surfent sur ce vent de liberté.
Pour Arezki, diplômé en économie et correspondant de presse, «les Algériens ne sont pas indifférents à ce qui se passe dans les pays voisins, ils suivent avec une grande attention l’évolution de la situation dans les pays touchés par les révolutions». Il redoute que de pareilles situations arrivent dans notre pays si des mesures préventives sur les plans social et économique ne sont pas prises. Med Arezki, retraité et père de quatre enfants, garde l’oeil braqué «sur tout ce qui se fait au plan politique, les déclarations et les réactions des officiels algériens». Selon ce citoyen, l’Algérien n’est pas exigeant, «il demande du travail, une allocation chômage, qu’on améliore son pouvoir d’achat, qu’on élimine la bureaucratie…».
Très concentrée sur l’évolution des contestations arabes, Assia, diplômée en langues étrangères nous livre son opinion: «Personnellement en tant qu’Algérienne, je n’aimerais pas que ces scénarios se reproduisent en Algérie. Même si je ne suis pas à 100% avec ce qui se passe chez nous. On en a marre de vivre des périodes d’instabilité», regrette-t-elle. Lynda, médecin exerçant à la wilaya de Boumerdès partage le même avis. «La plupart des Algériens suivent minutieusement les événements des différentes révolutions des pays voisins mais d’une manière ironique», et de constater que «ces révolutions leur servent juste de sujet de discussion et de distraction».
Et puis, notre docteur trouve «la situation en Algérie tout à fait différente car chez nous le peuple se décline en plusieurs franges». Effectivement, les Algériens veulent du changement mais divergent sur la manière. Réagissant à ce qui s’est passé en Libye, Hocine, journaliste dans un quotidien francophone commente: «Je fais la révolution à côté d’eux aussi, je réagis à chaque événement. Je salue le peuple quand il réalise un victoire. Je me réjouis quand un dictateur quitte le pouvoir. Malgré les quelques craintes sur l’après-révolution qui s’annonce un peu chaotique je dirais que l’avenir de ces peuples sera encore meilleur qu’à l’ère des dictateurs.»
Vive le matelas financier!
Il ne manque pas d’ajouter son souhait «que le vent de la révolution ne s’arrêtera pas de sitôt car d’autres tyrans doivent partir et doivent laisser la place aux jeunes». Le même souhait est exprimé par Lina, cette jeune cadre en commerce. «C’est une bonne chose que de voir tous ces tyrans tomber, mais je n’écarte pas la possibilité de manipulation. Je viens de Tunis et malheureusement, les choses ont changé. Les gens ont changé. La menace salafiste est présente. J’ai peur que ces révolutions soient récupérées par les islamistes.» Mais il y a aussi ce spectre de la tragédie nationale qui a endeuillé la majorité de la société algérienne
«La simple évocation donne froid dans le dos», déclare un député. En syndicaliste et militant politique, Karim, lui, applaudit «à la fois les rebelles et l’Otan». D’abord, «par sympathie pour tous les peuples opprimés. Puis, parce que cela démontre que l’aspiration des peuples à la liberté ne souffre d’aucune exception de par le monde. Souvenons-nous qu’en Libye, il ne se passe quasiment rien depuis 1969», a-t-il souligné.
Et là, «en quelques mois, le peuple a délogé son dictateur omnipotent dans son pays». D’autre part, même s’ils sont avides de changement, beaucoup d’Algériens condamnent ce qui se passe dans les pays arabes.
«On a eu notre dose de violence»
C’est le cas de Walid, prothésiste dentaire qui, pour sa part, trouve que «remplacer un dictateur par des forces d’occupation étrangères est une aberration. La pseudo-révolution en Libye est la pire des choses qui est arrivée à ce pays «. Courroucé et scandalisé, Walid s’interroge: «Comment acceptons-nous que des forces étrangères s’immiscent dans les affaires internes d’un pays voisin sans réagir?» Il appuie encore: «Ce qui est passé en Libye est une grave atteinte à la souveraineté des Etats, qui ne restera pas sans conséquence».
Il se demande, par ailleurs, «pourquoi ils n’interviennent pas en Syrie? Là-bas, la situation est bien plus grave. El Assad a pris les armes contre son peuple qui manifestait pacifiquement. Mais la communauté internationale ne fait que condamner sans plus». En réalité, Walid n’a pas de doute, pour lui, «il n’y a pas eu de révolution mais de la manipulation étrangère qui a créé des guerres à nos frontières. Ce qui menace la stabilité de notre pays qu’on a chèrement acquise». On retrouve la même analyse chez Assia qui ne veut pas de scénario similaire en Algérie «car l’expérience de 1988 était horrible». Elle ajoute après un moment de réflexion, dubitative: «L’Algérie n’a pas besoin d’une guerre pour avancer.» Comme tous les autres peuples du monde, les Algériens ont les mêmes aspirations. «N’en déplaise à ceux qui veulent faire croire le contraire, le pouvoir algérien doit opérer un vrai changement avec les prochaines réformes promises par Bouteflika dans son discours du 15 avril dernier.» affirme Kamal, professeur d’histoire.
Pour lui, «malgré ce que nous pouvons supposer, constater ou admettre de l’impact de l’environnement international et des puissances étrangères, les Printemps arabes sont d’abord des dynamiques internes dans leurs éléments déclencheurs et surtout dans leurs acteurs premiers et majeurs. Cela assure aux hommes et aux femmes de ce mouvement une légitimité porteuse d’espoir».
Le jeune Bouazizi serait-il celui qui aura donné le «la» à ce qui s’apparente probablement déjà à une chute de dominos des dictateurs arabes? Mettre le feu aux poudres à des situations déjà suffisamment explosives. Ce Monde arabe qui est resté ces dernières décennies en marge de l’Histoire est en train de se réveiller. «Ces populations jeunes en majorité continuent de sonner le glas des pouvoirs qui ont longtemps contrarié le destin des générations dans leur quête de liberté», souligne le professeur. Ce qui fait l’unanimité chez nos interlocuteurs est que les contestations ont touché et continuent à toucher un grand nombre de pays arabes. Des contestations qui témoignent de l’ampleur de la révolte, mais aussi de l’ampleur des problèmes à résoudre. Ainsi, c’est tous les pays arabes qui sortent d’une glaciation politique de plus d’un demi-siècle. Ces pays sont actuellement confrontés à une accumulation de défis, notamment économiques et sociaux, qui ne seront pas résolus en quelques semaines. Tous les pouvoirs qui ont tenté l’organisation d’une contre-révolution pour écraser par la force les soulèvements ont, jusque-là, échoué. L’aspiration à plus de liberté, à plus de justice sociale s’exprime partout et la détermination des populations à résister est encore plus grande. Il est nécessaire de tirer les enseignements de tout ce qui a provoqué ces événements. Il suffit d’être à l’écoute du peuple pour entendre sa volonté de réforme, son refus du statu quo et de la corruption galopante.