Révolte du 5 octobre 1988, 26 ans après…

Révolte du 5 octobre 1988,  26 ans après…

Cela fait 26 ans jour pour jour que le 5 octobre fut. Que son onde de choc déferla sur tout le pays parsemant la mort, les larmes, les arrestations et la torture la plus abjecte sur l’immensité du Polygone et promettant en retour un espoir. Plus rien ne sera, désormais, comme avant. Tout a commencé le 19 septembre 1988, lorsque Chadli Bendjedid, dans un discours qui a surpris tout le monde, invite les Algériens à se révolter contre les augmentations des prix, tout en apostrophant le parti et le gouvernement pour leur immobilisme face à la situation de crise qui s’était installée depuis des mois dans le pays. L’économie nationale, avait dit le chef de l’Etat, « était subventionnée par le trésor public et d’autres revenus, tels que le pétrole et le gaz qui ne sont pas le fruit de l’effort mais (…) une richesse providentielle. Je dirais quand à moi, que c’est probablement un frein, car nous avons beaucoup compté sur les revenus faciles. » Plusieurs jours auparavant, des rumeurs persistantes ont commencé à circuler à propos d’une marche sur Alger que comptaient organiser les 10 000 ouvriers du complexe SNVI de Rouiba.

D’autres rumeurs persistantes couraient que « ça allait barder le 5 octobre», préparant la population à une confrontation de rue dont elle ne connaissait ni les intentions ni les intérêts. En secret, plusieurs militants du PAGS (Parti d’avant-garde socialiste) semi clandestin, parce que ce parti était plus ou moins toléré en raison de soutien critique à la politique du système d’alors qui était foncièrement gauchisant, sont arrêtés par la police et torturés dans plusieurs centres, dont le fameux bois de Sidi Fredj. De nombreux autres activistes de partis «tolérés» connaîtront le même sort. La nuit du 3 octobre, des émeutes sporadiques éclatent dans le quartier populaire de Bab El Oued. Le 4 octobre, c’est toute la ville d’Alger-Centre qui est livrée aux jeunes délinquants, à l’exception de quelques quartiers fortement surveillés par la police, laquelle, curieusement, avait disparu des rues.

Les magasins d’entreprises publiques ont été saccagés, quelques édifices et parcs de véhicules brûlés sans que la police réagisse. Seuls quelques agents des services de sécurité étaient affairés à filmer, dans la plus grande discrétion, les pilleurs qui s’en prenaient pratiquement à tout ce qui avait de la valeur. Les biens privés sont épargnés. Comme une traînée de poudre, les émeutes gagnent les villages et les villes limitrophes, dont Blida, siège de la première région militaire. Pour minimiser les troubles, un des dignitaires du parti unique et non moins président de l’Amicale des Algériens en Europe, en l’occurrence Ali Amar, parlera de « chahut de gamins qui a dérapé». La réalité est tout autre : les émeutes du 5 octobre et les journées qui lui ont succédé ont provoqué des milliards de dégâts et causé des centaines de morts et blessés.

De nombreux citoyens furent, en outre, affreusement torturés. Le 10 octobre, les islamistes, qui ont joué un rôle non négligeable dans les révoltes de quartiers, décident de sortir au grand jour en organisant une imposante marche qui les mènera de Kouba à Bab El Oued, précisément devant le siège de la sûreté nationale, protégé par des chars de l’armée. Là, un coup de feu part en direction des militaires, et c’est le massacre à la mitrailleuse. Officiellement, il y a eu en tout quelque 121 morts. Des sources donnent le chiffre effarant de 500 morts, sinon davantage. Le calme revient peu à peu et devant les militants du FLN réunis en congrès, le 6e du genre, Chadli dit assumer « devant Dieu et les hommes» l’entière responsabilité de ce qu’a pu commettre l’armée. « Si j’avais laissé faire, que serait-il arrivé au pays ?», avait-il déclaré devant les congressistes.

Les événements du 5 octobre sont intervenus dans une période où l’Algérie était sujette à de fréquentes pénuries de produits alimentaires. Celles-ci étaient provoquées à dessein, confirment de nombreuses sources, et ce, pour alimenter la colère des citoyens envers le système. La chute des recettes pétrolières, intervenue dès 1985, rendait illusoire toute reprise économique. L’espoir d’«une vie meilleure» était balayé. Le pays était pratiquement au bord de la paralysie. Politiquement, les réformettes par petites doses qui ont caractérisé la période 1980-1990, ont été décidées dans le but d’asseoir un nouveau modèle économique libéral.

On disait de Chadli qu’il était un adversaire déclaré de Boumediene et de son socialisme spécifique et qu’il s’apprêtait à changer de système. La constitution de 1989 libera le champ politique et médiatique. On ne reconnaissait plus notre télévision ni nos radios. Les débats étaient libres, les langues déliées et chacun tirait comme il pouvait et le voulait ses plans sur la comète. Des partis furent créés, d’autres réhabilités et de surcroît subventionnés par l’Etat. C’est ainsi qu’à la faveur de ce qu’on appelait l’ouverture démocratique qu’on a permis au loup de pénétrer dans la bergerie. Il s’en fallut de peu pour que la démocratie tant espérer se retrouve dans une théocratie moyenâgeuse.

Le FIS profitant de la brèche s’est engouffré pour aussitôt après édicter aux algériennes et aux algériens de nouveaux comportements alimentaires et vestimentaires. On l’avait échappé belle. Aujourd’hui, 26 ans après, quels acquis comptabiliser à l’actif de cette date repère dans l’histoire de notre pays ? Certainement, elle a permis aux algériens de séparer le bon grain de l’ivraie, d’apprendre que la démocratie n’est pas un système qui advient ex-nihilo, mais se cultive dans la tolérance et par l’ouverture d’esprit.