Il a été dit, et à raison, que la priorité de l’agenda de Abdelaziz Bouteflika, de retour au pays après trois mois d’absence, sera la révision de la Constitution. Cela tient du bon sens au vu de l’empressement affiché par le chef de l’Etat avant sa maladie, lui qui avait demandé à la commission d’experts chargée de la rédaction de la nouvelle constitution, de lui livrer ses conclusions « dans les plus brefs délais ».
Maintenant que le chef de l’Etat est de retour, le temps est venu pour lui de remettre l’ouvrage sur le métier, bien qu’il soit difficile de savoir si cela se fera dans l’immédiat, après le ramadhan ou au-delà, puisque la présidence de la République, dans son dernier communiqué, nous dit que la période de convalescence de M. Bouteflika est appelée à se poursuivre encore en Algérie.
En tous cas, la révision constitutionnelle devrait représenter le futur immédiat de la vie politique nationale, et s’il faut croire que le document mis au point par la commission d’experts est prêt depuis des semaines, alors il ne reste qu’à attendre que Bouteflika nous fasse son exposé des motifs, son discours explicatif et qu’il annonce, en s’adressant à la nation, cette révision constitutionnelle, avec ou non la convocation du corps électoral pour un éventuel référendum. Sur ce point, beaucoup dépend de l’évolution de l’état de santé du président de la République et sa détermination à s’impliquer de bout en bout, sur le terrain, dans la campagne pour la révision constitutionnelle.
Car, qu’il y ait référendum ou pas, comme on l’a vu en 2002 et en 2008, une révision constitutionnelle ne peut se passer d’un travail de propagation parmi la société. Aujourd’hui, privé de ses anciens relais dont l’union faisait la force de l’Alliance présidentielle, avec les crises du FLN et du RND et le recentrage du MSP, on ne trouve plus que quelques partis comme le PT de Louisa Hanoune ou encore ceux de Amar Ghoul ou Amara Benyounes pour épauler les traditionnelles organisations de masses et la famille révolutionnaire.

C’est dire que, quelque part, Abdelaziz Bouteflika devra s’investir personnellement dans la campagne en faveur de la révision constitutionnelle et c’est donc qu’il a le choix entre faire coïncider l’annonce de cette révision avec la confirmation de sa guérison totale et lancer le projet dans les plus brefs délais, quitte à ce que le processus soit marqué par son retrait forcé de la scène nationale et où, on le devine alors, ce sera au Premier ministre de jouer le rôle de locomotive.
Cela étant pour la forme, qu’en est-il pour le fond ?On a dit, peut-être à tort, que la révision constitutionnelle annoncée par Bouteflika en 2011, était dictée par « le printemps arabe » et que forcément elle exprimait une réponse du régime au risque de déstabilisation qui pesait sur l’ensemble de la région.
Et, voyant qu’il y avait effectivement une exception algérienne et qu’en définitive, existe en Algérie un système politique sur lequel les événements chez les voisins n’avaient aucune emprise, on a commencé à qualifier cette révision constitutionnelle d’i- nutile. En d’autres termes, on a considéré, puisqu’il n’y a aucune menace ni de révolte de la rue, ni de rébellion armée qui plane sur le pays, que les autorités n’étaient obligées à aucune concession politique de quelque ordre que ce soit.
Pareille « analyse » a été confortée par le temps relativement long, qui s’est installé entre le premier package de réformes politiques, engagé fin 2011 autour de la loi électorale, la loi sur les partis politique et la loi sur l’information.
Entre temps, le pays a vécu deux scrutins, les législatives 2012 de mai et les locales de novembre de la même année, et on ne voyait encore rien venir de cette révision promise par le chef de l’Etat et maintes fois confirmées par son Premier ministre Abdelmalek Sellal. L’unique fois où le président de la République en a reparlé, c’était pour annoncer via un communiqué d’El Mouradia, l’installation de ladite commission d’experts et donc, pour passer à l’acte, aux choses concrètes comme il convient de le dire.
Or, si l’on tient compte du contexte qui entoure cet événement politique attendu, on peut dire que ce dernier obéit autant à la situation interne, qu’aux facteurs exogènes. La pression internationale, notamment de la part de l’Occident, organisée et entretenue autour du monde arabe depuis près de deux ans, oblige à des réformes qui doivent répondre à cette pression, non pas pour en contenter les acteurs, mais précisément pour les repousser par une recherche du « raffermissement du front interne ».
Cette quête, partagée non seulement par le courant nationaliste, mais aussi par des partis qui s’inscrivent contre la mondialisation en général (on pense au PT, mais aussi à certains partis étiquetés islamistes), est un vieil objectif qui date au moins depuis l’avènement de Bouteflika au pouvoir et l’assise d’une politique de réconciliation nationale, dont la concorde civile n’a été qu’un jalon.
Il faut donc s’attendre à une révision qui sera inscrite à la fois sous le signe du changement et celui de la continuité. Avec cette contradiction handicapante dictée par le contexte de l’heure, la révision de la constitution ne jouit pas d’une grande marge de manœuvre. C’est d’ailleurs pour cela que les supputations les plus répandues ne s’avancent pas au-delà d’un rééquilibrage non pas entre les trois pouvoirs, mais à l’intérieur d’un seul d’entre eux, le pouvoir exécutif.
Cela comprendrait, jusqu’au plus ample informé, un transfert de certains pouvoirs du président de la République au profit du Premier ministre et, par ricochet, au profit du Parlement qui sera renforcé par le seul fait de réhabiliter la fonction de chef du gouvernement. Quant à cette histoire de vice-président de la République, elle s’avère en réalité tellement importante qu’on ne peut en parler avec légèreté. Le fait est que si cela devait advenir et qu’un poste de vice-président serait créé, son occupant sera logiquement vu comme le successeur de l’actuel chef de l’Etat. Et si cela ne devrait pas se faire, alors d’autres lectures seront permises. Une fois cette question clarifiée, on pourra répondre à la question de savoir qui de la révision constitutionnelle ou de la présidentielle 2014, représente la véritable priorité pour les autorités du pays.
Mais encore une fois, rien n’a été dit sur la teneur de cette révision qui, pourtant concerne tous les Algériens. Le fait de garder au secret les propositions d’amendements ou de maintenir le voile sur le sens à donner à ce projet, n’est certainement pas du goût de l’opposition et des observateurs qui, eux, appellent à un débat de fond sur la question. Mais, en cela, les motivations du chef de l’Etat sont claires. D’abord, il doit certainement considérer qu’étant donné que le débat ait déjà eu lieu avec les forces qui comptent lors du dialogue dans le cadre de ladite commission Bensalah, il n’est pas dans le besoin d’engager des consultations supplémentaires.
De plus, au vu de la lecture qu’il semble faire de la Constitution, laquelle stipule que la révision de la Loi fondamentale est initiée par le seul chef de l’Etat, celui-ci semble estimer qu’il s’agit d’une affaire qui le lie directement au peuple, s’il faut aller vers un référendum, ou à ses élus dans le cas de la voie parlementaire. Il compte donc ne dévoiler le contenu de cette révision, que dans la plus grande proximité dans le temps par rapport à son vote.
Par Nabil Benali