Quelques thèmes récurrents, notamment l’organisation, les attributions et la séparation des pouvoirs, marquent les débats publics sur la révision constitutionnelle, relativement timides, en attendant la publication des dispositions appelées à être amendées.
Ces débats, commentaires de presse comme les quelques interventions de spécialistes, se sont appesantis sur la durée du mandat présidentiel, ses prérogatives et la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
Sans que ces interventions ne constituent encore un vaste mouvement d’opinion, il demeure que la question du régime présidentiel, semi-présidentiel ou parlementaire est souvent évoquée, mais rarement explicitée ni suffisamment approfondie. Si la question de « la nécessaire » séparation des pouvoirs, ce que les Constitutions algériennes n’ont pas prévu de façon explicite, est le plus régulièrement invoquée, quelques voix se sont exprimées pour mettre un bémol à cette thèse.
Une des figures de proue du barreau d’Alger et des droits de l’homme, Me Miloud Brahimi, en soutenant sans être contredit, que dans le contexte actuel, l’indépendance de la justice n’était pas « souhaitable », a révélé que les débats de fond ne se sont pas encore installés parmi l’intelligentsia algérienne. Les débats sont restés majoritairement et naturellement d’ordre politique ou partisan. Les schémas d’organisation contenus dans les constitutions, selon des juristes, ne sont ni mécaniquement transposables à des Etats-nation encore en formation, ni les seuls références possibles, étant entendu que les grands pays industrialisés, cités en référence, divergent eux-mêmes sur nombre de dispositions et n’ont pas de pratiques comparables en tous points, exception notable de la sacralisation des libertés fondamentales.
L’exemple des Etats-Unis au régime présidentiel unique, comparé aux débats qui agitent les scènes politiques européennes sur la nécessité de renforcer le pouvoir législatif est le plus probant, estiment-ils. « Cela tient du cheminement historique de chaque pays, certains pays européens ont mis des siècles, par exemple, à stabiliser leur système de représentation, la place de la religion », relèvent-il. Le génie propre de chaque nation, ses conditions historiques, doivent présider, ajoutent des politologues, à l’élaboration de « la loi des lois » qui doit, toutefois, projeter sur un long terme l’organisation de l’Etat, des libertés fondamentales et la séparation-complémentarité des pouvoirs. Parmi les personnalités qui se sont exprimées, ce week-end, dans la presse nationale, Me Farouk Ksentini estime dans une brève interview accordée à El Khabar que « l’Algérie a besoin d’une Constitution qui couvre une période d’au moins 50 ou 60 ans, voire davantage ».
Indépendance ou interdépendance des pouvoirs
La question de la séparation des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), est appréhendée de façon différenciée. Les termes dans lesquels se pose la problématique n’émanent pas toujours des réalités sociopolitiques et historiques du pays, tandis que d’autres spécialistes préfèrent la notion d’équilibre des pouvoirs à leur séparation pure et simple. Mais pour la juriste Fatiha Bennabou, dans El Watan week-end de la semaine écoulée, la classification « la plus fréquente des régimes politiques (qui prend pour principe la séparation des pouvoirs) est une classification dualiste qui distingue les Constitutions selon qu’elles visent à réaliser un équilibre des pouvoirs (l’exemple type est le régime présidentiel ou parlementaire), ou à vouloir accorder une prééminence à tel ou tel pouvoir (cela peut être une assemblée législative ou un pouvoir exécutif) ».
Si dans l’entendement commun, le régime présidentialiste est celui où la prééminence est accordée au président de la République, Mme Bennabou estime que « ce sur quoi il faut insister, c’est qu’il s’agit d’un régime constitutionnel qui existe dans un nombre important d’Etats en voie de développement ». Pour elle, « il n’y a pas de régime présidentiel en Algérie », même si, relève-t-elle par ailleurs, toutes les Constitutions algériennes depuis l’indépendance, « en dessinant l’articulation entre les différents pouvoirs, ont accordé au président de la République une suprématie sur tous les autres organes constitutionnels ». Le régime présidentiel reste un « modèle caractéristique des USA » qui se fonde sur « équilibre ingénieux » (chaque pouvoir pouvant freiner l’autre et, en même temps, lui faire équilibre) entre les trois pouvoirs. Il est « appliqué dans un esprit de compromis qui appelle, plutôt, à la concertation entre les pouvoirs ».
Quant au bicéphalisme de l’exécutif, instauré pour la première fois par la Constitution de 1979 sans conférer au chef du gouvernement un autre pouvoir réel qu’une « délégation de pouvoir du Président », les Constitutions de 1989 et 1996, note encore Mme Bennabou, contiennent des « contradictions et ambiguïtés » sur les prérogatives des « deux têtes ». Cela a, sans aucun doute, « entretenu moult équivoques quant à l’existence d’une véritable fonction gouvernementale. A qui incombe la fonction gouvernementale ? A qui revient la paternité du programme gouvernemental ? Ce qui explique, bien évidemment, les clarifications apportées par la révision de 2008 ». Quant au rôle du Parlement, Ksentini exprime l’espoir que « s’améliore clairement » le rôle de l’APN et que cette assemblée « ne reste pas dans sa fonction de chambre d’enregistrement ».
Pour lui, le temps est venu que l’Assemblée populaire nationale joue son rôle dans un système politique « semi-présidentiel » qu’il ne définit pas mais qu’il considère comme étant « le plus approprié » dans l’étape que traverse l’Algérie. Il faut qu’on soit conscient, dit-il, que l’Algérie a connu « des dérives durant la décennie noire et les partis n’ont pas joué leur rôle dans la vie politique. Tout ça nécessite une révision globale ».
Pour un « véritable équilibre » entre les trois pouvoirs
Farouk Ksentini plaide pour un « véritable équilibre entre les trois pouvoirs et, dans ce cas, il n’y aura pas de craintes pour les droits de l’homme et des principes fondamentaux, notamment l’indépendance de la justice qui constitue l’épine dorsale de la démocratie ». L’éminente constitutionnaliste, Mme Bennabou estime, pour sa part, « possible » d’atteindre cet équilibre, notamment par « le renforcement du rôle du parlement, surtout sa fonction de contrôle, pour qu’à tout pouvoir véritable corresponde une responsabilité politique, sans pour autant basculer dans un régime parlementaire ».
Elle estime qu’avoir « en perspective, plus de rééquilibrage dans les pouvoirs, tout en restant en adéquation avec les réalités politiques et sociales, relève d’une démarche pluridisciplinaire et non de la responsabilité du seul juriste ». Cependant, sans sombrer dans les travers du relativisme culturel ou du développementalisme, il n’en est pas moins vrai que chaque société, en fonction de ses propres ressources politiques, invente ses propres institutions pour résoudre ses contradictions. Aux bâtisseurs de l’Etat, alors, de trouver les formes institutionnelles qui correspondent le mieux aux ressorts et aux aspirations de la société algérienne.