L’annonce de la mise en place de la commission chargée de l’avant-projet de loi portant révision constitutionnelle est d’ores et déjà l’événement qui vient jeter un peu de sérénité dans une scène nationale en ébullition.
C’est le premier fait qui ressort cette année, fait dimanche, à l’heure où les observateurs commençaient à trouver que rien ne venait confirmer dans l’immédiat ce projet comptant parmi le package de réformes politiques annoncées par Abdelaziz Bouteflika en avril 2011.
On se demandait même si cette révision allait avoir lieu avant la présidentielle, et cela dans la perspective où l’actuel locataire d’El-Mouradia irait vers un quatrième mandat, ayant ainsi le temps suffisant pour y procéder après sa réélection. Dans cette optique, on aurait assisté à une réédition, dans l’agencement au moins, de ce qui avait été fait du temps de Chadli Bendjedid et Liamine Zeroual, c’est-à-dire l’organisation de la présidentielle afin de régler la question du pouvoir, la révision constitutionnelle ensuite.
Mais aujourd’hui, tous les doutes sont balayés quant à l’observance de l’agenda tel qu’il se dégageait depuis dix-huit mois déjà : les réformes législatives, les élections législatives et locales puis enfin la révision de la Constitution avant l’élection présidentielle. Ce n’est pas là le seul message du communiqué de la Présidence de la République, annonçant la mise en place de ladite commission.
Le premier est bien entendu que le chef de l’Etat garde le cap sur son programme de réformes, nullement déstabilisé par l’ambiance générale de rumeurs et de supputations aussi bien autour de la présidentielle et du quatrième mandat que celle qui qui s’est installée avec les affaires de corruption, où il se dit que de hauts responsables de l’Etat sont ou ont mêlés, de même que les crises qui secouent certains partis politiques, notamment le FLN, dont il est le président d’honneur. Le président Bouteflika entend ainsi dire qu’il s’occupe de ses tâches nationales, toujours au-dessus de la mêlée. En d’autres termes, le chef de l’Etat reprend l’initiative politique et se replace au centre de l’actualité politique de la plus avantageuse des manières.
Un autre message est aussi envoyé à travers cette commission, c’est l’insistance mise pour exiger de celle-ci qu’elle remette ses conclusions dans les plus brefs délais. Cela veut dire qu’il ne faut pas s’attendre à ce que l’avant-projet soit rendu public dans un délai excédant un mois, deux mois serait déjà un délai trop long au vu du ton emprunté par le communiqué de la Présidence de la République. On se doute bien que Abdelaziz Bouteflika dispose de sa propre vision de cette révision, de son étendue et de sa profondeur. C’est ce qu’il faut comprendre quand il demande à la commission de s’appuyer sur ses orientations. Des orientations dont on ne connaît rien sinon, si l’on se réfère au canal officiel, qu’il est question «de consolider la démocratie représentative dans notre pays, de conforter les fondements de l’Etat de droit et de renforcer les droits et libertés du citoyen».
Il prend soin néanmoins de dire que la commission devra tirer profit des propositions retenues des acteurs politiques et sociaux ayant participé aux deux consultations sur ces réformes, menées successivement par le président du Conseil de la nation et le Premier ministre. Des consultations qui ont fait l’objet, nous dit-on, d’une «exploitation intégrale» et d’un travail de synthèse par un groupe de travail qualifié, institué à cet effet. Abdelaziz Bouteflika dit s’être inspiré de ce document pour donner ses orientations à ladite commission. Il faut comprendre ainsi que le chef de l’Etat ne compte absolument pas initier un autre round de consultations nationales qui seraient exclusivement dédiées à la révision de la Constitution.
Pour lui, tout a été dit, écouté et entendu dans les étapes antérieures. Comme si quelque part aujourd’hui, le temps était compté. Autre lecture qui s’impose, celle de confier l’installation de la commission au Premier ministre qui indique que le chef de l’Etat veut impliquer le gouvernement, c’est-à-dire tout le pouvoir exécutif, dans cette démarche, ce qui était déjà le cas quand Abdelmalek Sellal et Daho Ould Kablia se relayaient pour dire que la révision constitutionnelle aura bel et bien lieu et que jamais le projet n’a été abandonné.
A la vue de la composante de cette même commission, faite «exclusivement d’experts», le chef de l’Etat souhaite ne recevoir qu’un avis technique, une sorte de mise en forme confiée à des spécialistes, étant donné que le fond semble avoir été décidé à l’avance, suivant le processus décrit par le communiqué de la Présidence de la République. Enfin, le message subliminal, caché dans ce communiqué, c’est qu’il n’y a aucune référence à la suite qui sera réservée à l’avant-projet de loi portant révision constitutionnelle.
Puisque tout est fait pour démontrer l’urgence de cette démarche en exigeant que le texte soit élaboré «dans les plus brefs délais», cela veut dire aussi que la suite de l’agenda est parfaitement claire dans l’esprit du président Bouteflika. Mais il s’est ménagé une bonne marge de manœuvre en ne disant pas si la nouvelle Constitution sera soumise au référendum populaire ou seulement si elle sera votée au Parlement. La différence se fera suivant l’étendue de cette révision et si elle touchera ou non à l’équilibre des pouvoirs. Elément qui, au vu du ton du communiqué de la Présidence de la République, semble lui aussi parfaitement connu par l’initiateur de la révision constitutionnelle.
Par Nabil Benali