Révision constitutionnelle et refondation de l’Etat algérien

Révision constitutionnelle et refondation de l’Etat algérien

C’est seulement quand l’Etat est droit qu’il peut devenir un Etat de droit.

Présidence de la République.

L’Etat de droit n’est pas un Etat fonctionnaire, qui gère un consensus de conjoncture, mais un Etat qui fonde son autorité à partir d’une certaine philosophie du droit d’une part, et d’autre part, à partir d’une assimilation consciente des besoins présents de la communauté et d’une vision future de ses perspectives. C’est ainsi que cette modeste contribution porte sur la problématique de la refondation de l’Etat algérien sans laquelle la révision constitutionnelle aurait un impact limité.

Renouveau national et refondation politique

Depuis octobre 1988, l’Algérie semble chavirer un moment et reprendre avec hésitation ses équilibres un autre moment. Le pouvoir a marginalisé l’élite autonome agissante capable d’élaborer des idées structurantes et peser par ses analyses sur les tendances et les choix majeurs. Que le pouvoir ne se trompe pas de stratégie. La dé-crédibilisation de la politique a réduit l’influence de son élite que Gramsi a qualifié à juste tire d’intellectuels organiques aux ordres du pouvoir en contreparties de la rente. Et avec le vide contreproductif pour le pouvoir lui même, il y a risque alors d’un désespoir majeur. Dès lors, le sursaut démocratique perd l’essentiel de ses acteurs car la société civile avec les archaïsmes qui traversent bon nombre de ses segments, ne peut assurer à elle seule l’aboutissement du processus démocratique en cours dans notre pays. C’est que la prospérité ou le déclin des civilisations de l’Orient et de l’Occident a clairement montré qu’une nation sans son élite est comme un corps sans âme. Il ne s’agit pas de renier les traditions positives qui moulées dans la trajectoire de la modernité, peuvent être facteurs de développement : l’expérience du Japon et de bon nombre de pays émergents l’attestent. Mais au- dessus de tout, l’Algérie reste un pays dynamique, plein de vitalité, qui se cherche et cherche sa voie. Un processus de mutations internes est en train de se faire, par une certaine autonomie qui annonce de nouvelles mutations identitaires – pas celles qu’on croit, mais celles qu’on soupçonne le moins qui s’imposeront. Les Algériens veulent vivre leurs différences dans la communion et non dans la confrontation, la paix étant un facteur déterminant ce qui ne signifie en aucune manière oublier de tirer les leçons du passé récent afin de forger positivement notre avenir commun. La refondation de l’Etat, pour ne pas dire sa fondation comme entité civile, passe nécessairement par une mutation profonde de la fonction sociale de la politique. Dès lors, la question centrale qui se pose est la suivante : vers quelle mécanique politique se penchera la refondation politique en cours en Algérie, celle qui instaure un vrai consensus pour une concorde non seulement nationale mais communautaire ? En réalité, la question qui mérite d’être posée aujourd’hui est la suivante : est ce que les pouvoirs politiques algériens successifs ont- ils édifié un Etat national d’abord et qu’est ce qu’un Etat national dans le cas algérien précisément ? Il faut bien le rappeler, il n’y a pas d’Etat national standard. Il n’y a que que les équipements anthropologiques intrinsèques qui modèlent le système politique inhérent à chaque situation socio anthropologique. Le poids de « l’anthropologique » dans l’élaboration des modèles politiques apparaît clairement dans les systèmes politiques arabes actuels. La refondation de l’Etat actuellement dépasse et de loin l’aspect technique de la politique. Elle touche en réalité « l’écologie de la République » et les idées qui la fondent. La construction politique passe aujourd’hui nécessairement par la dialectique de l’alternance. Aussi dans le cadre de cette refondation politique, l’Algérie ne peut revenir à elle-même que si les faux privilèges sont bannis et les critères de compétences, de loyauté et d’innovation sont réinstaurés comme passerelles de la réussite et de la promotion sociale. La compétence n’est nullement synonyme de poste dans la hiérarchie informelle, ni de positionnement dans la perception d’une rente. Son efficacité et sa légitimité se vérifient surtout dans la pertinence des idées et la symbolique positive qu’elle ancre dans les corps et les acteurs sociaux. La compétence n’est pas un diplôme uniquement mais une conscience et une substance qui nourrissent les institutions et construisent les bases du savoir. Sans cela, les grandes fractures sont à venir et la refondation de l’Etat ne dépasserait pas une vaine tentation de restauration d’un pouvoir qui ne serait plus en mesure de réaliser les aspirations d’une Algérie arrimée à la modernité tout en préservant son authenticité. La refondation de l’Etat ne saurait se limiter à une réorganisation technique de l’autorité et des pouvoirs. Elle passe par une transparence totale et une clarté sans nuance dans la pratique politique et les hommes chargés par la nation de la faire. La gouvernance est une question d’intelligence et de légitimité réelle et non fictive. Cela implique des réaménagements dans l’organisation du pouvoir.

Des réaménagements urgents dans l’organisation du pouvoir

Le régime politique algérien qui est un sous- ensemble du système politique, n’a pas fondamentalement été bouleversé par les différentes constituions avec des changements de formes mais pas de nature. Les tensions que connaît le système, ou celles qu’il est appelé à connaître, doivent être recherchées dans les dysfonctionnements ou les crises d’autorité qui surgissent périodiquement, et depuis longtemps, au plus haut niveau de l’Etat. On peut démontrer aisément entre 1963/2012 que c’est un pouvoir fondamentalement rentier mu par l’unique dépense monétaire et que les crises qui le secoue sont fonction de l’évolution des cous des hydrocarbures et de la cotation du dollar. Plus les cours haussent plus la cohésion est différents clans du pouvoir est forte, (partage de la rente) et les réformes de fond sont freinées. Plus les cours sont bas plus, plus de tensions se manifestent et l’on réalise des replâtrages en ne s’attaquant pas au fonctionnement du système lui-même du fait de la neutralisation des rapports de forces (statu quo en espérant que les cours des hydrocarbures s’élèvent). Sur le plan politique, dans le cas d’une majorité de la future assemblée issue des élections 10 mai 2012 autre que celle du FLN, (le RND n’étant qu’un appendice du FLN), dont le président de la république est le président d’honneur, nous ramènerait à un problème non prévu par l’actuelle constitution : celui d’une cohabitation qui est fondée sur l’existence d’une majorité parlementaire, opposée au Président de la République et partageant avec lui la responsabilité de l’Exécutif, la constitution actuelle étant celle d’un régime présidentiel n’ayant plus de chef de gouvernement mais seulement un premier ministre. Le président de la République est sans doute le détenteur principal du pouvoir exécutif. Mais, tout en étant totalement responsable de la politique qu’il mène, il n’en a pas moins les mains liées, tenu régulièrement qu’il est de négocier avec des partenaires qui peuvent du jour au lendemain se retourner contre lui. C’est pourquoi, la future constitution devra trancher clairement ; soit un régime présidentiel soit un régime parlementaire. Il s’ensuit qu’outre ces aspects qui peuvent conduire à des conflits bloquants, la nouvelle reconfiguration politique, doit prendre en charge les mutations internes de la société : plus de liberté, une société plus participative et citoyenne, plus de justice sociale qui ne saurait signifier égalitarisme, une plus grande moralisation des institutions en prévoyant le renforcement des organismes de contrôle indépendants pour une lutte efficace et concrète contre la corruption qui tend à se généraliser, l’efficacité économique par la protection des droits de la propriété privée et également de tenir compte des engagements internationaux de l’Algérie (accord de libre échange avec l’Europe, Omc, intégration maghrébine, Nepad etc..). Cela implique de tenir compte des mutations mondiales en institutionnalisant le fonctionnement de la société au sein d’une économie ouverte (consacrer l’irréversibilité de l’option de l’économie de marché concurrentielle loin de tout monopole public ou privé) se fondant sur une réelle décentralisation pour une société plus participative et citoyenne (régionalisation économique et non régionalisme) et non une vision administrative par une déconcentration qui amplifierait le poids de la bureaucratie. Il s’agira de passer du stade de collectivités locales providences à celui de collectivités locales entreprises et citoyennes. Une réorganisation du pouvoir local dont la base est la commune, pour une société plus participative et citoyenne s’impose, réorganisation fonction de la revalorisation de la ressource humaine renvoyant à l’urgence de la révision du statut de la fonction publique. Cellule de base par excellence, la wilaya et la commune algérienne sont actuellement régies par des textes qui ne sont plus d’actualité, autrement frappés de caducité d’où l’urgence de leurs révisions.

Après la « commune providence » du tout Etat, l’heure est au partenariat entre les différents acteurs de la vie économique et sociale, à la solidarité, à la recherche de toutes formes de synergie et à l’ingénierie territoriale. C’est dans ce contexte que la commune doit apparaître comme un élément fédérateur de toutes les initiatives qui participent à l’amélioration du cadre de vie du citoyen, à la valorisation et au marketing d’un espace. C’est à la commune que reviendra ainsi la charge de promouvoir son espace pour l’accueil des entreprises et de l’investissement. Le double objectif recherché serait la création de ressources fiscales et la promotion de l’emploi de proximité. Avec le nouveau système politique, qui devra être consacré dans la nouvelle Constitution, la commune devra par ailleurs et naturellement se constituer en centre d’apprentissage de la démocratie de proximité qui la tiendra comptable de l’accomplissement de ses missions. La commune doit se préparer à une mutation radicale devant faire passer du stade de collectivités locales providences à celui de collectivités entreprises responsables de l’aménagement du développement et du marketing de son territoire. C’est pourquoi la fonction de wali- dont le rôle essentiel est celui d’animation et de coordination des communes, ne doit plus répondre aux critères actuels où l’administratif prime mais à des hommes managers d’un niveau intellectuel élevé et d’une haute moralité si l’on veut éviter une bureaucratisation locale plus néfaste que la centrale. Cette mutation soulève la question des moyens et surtout de leur optimisation.

La réforme de la fiscalité devra prendre en charge les ressources propres dont doivent disposer les communes, ainsi que les péréquations qui permettront d’aider les moins favorisées d’entre elles. Pour répondre à cet enjeu majeur, on doit miser sur la valorisation du territoire et l’organisation du développement autour d’espaces équilibrés et solidaires (éco-pôles qui regrouperaient universités, centres de recherche, entreprises, chambres de commerce, administrations) tenant compte de l’urgence d’une urbanisation maîtrisée (actuellement anarchique avec des coûts faramineux) et de la protection de l’environnement et du cadre de vie qui se dégradent de jour en jour.

En résumé, la refondation de l’Etat algérien renvoie à une vision stratégique globale où le politique, l’économique, le social et le culturel sont inextricablement liés au sein d’un univers de plus en plus globalisé, où les grands espaces socio-économiques dominants sont basés sur la maîtrise des connaissances (le savoir) avec pour fondement la bonne gouvernance et la liberté entendue au sens large, par la promotion de la condition féminine et de l’homme pensant et créateur.

Dr Abderrahmane Mebtoul, professeur des Universités