Révélations : Comment Belkadem négocie une amnistie générale pour des milliers de terroristes

Révélations : Comment Belkadem négocie une amnistie générale pour des milliers de terroristes
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Le démenti du Premier ministre n’aura pas suffit. Selon des informations obtenues par DNA, le pouvoir algérien négocie un projet d’une amnistie générale en faveur de terroristes emprisonnés. Les discussions qui ont démarré en 2008 sont menées par Abdelaziz Belkhadem et un haut gradé de l’armée pour le compte de la présidence alors que les islamistes sont représentés par Hachémi Sahnouni, ex-dirigeant du FIS et Abdelfattah Zeraoui Hamadache, un prédicateur. Quatre rencontres ont déjà eu lieu à Alger alors que des émissaires se sont rendus dans diverses prisons pour convaincre les terroristes de s’engager par écrit en faveur de l’abandon de la lutte armée.

Et si le Premier ministre Ahmed Ouyahia était tenu à l’écart des discussions engagés avec des responsables islamistes en vue d’aboutir à une amnistie générale au profit de milliers de terroristes emprisonnés ? L’hypothèse, peu probable du reste, n’est pas dénuée de sens.

Au cours de sa conférence de presse tenue dimanche 29 mai, Ahmed Ouyahia a consacré une phrase, une seule, pour démentir l’existence de cette prétendue amnistie générale. « Je démens formellement cette rumeur avec tous les respects dus aux frères qui l’ont annoncée », déclare-t-il.

Hachémi Sahnouni, ex-dirigeant du FIS, un des initiateurs de cette démarche, réplique aussitôt en qualifiant le Premier ministre de menteur.

« En fait, mes amis et moi, Hassan Hattab (ex-chef du GIA et du GSPC, NDLR), Abd El Fettah, Abou Zakaria et Abou Hadjer, avons en 2008 élaboré une initiative politique visant à mettre fin à l’effusion du sang. Après des mois de consultations et de contacts, nous avons, il y a deux mois environ, adressé des lettres au président de la République et aux services de sécurité les informant de nos propositions pour mettre fin à l’effusion de sang », affirme Sahnouni au quotidien El Watan.

Celui a encore adressé une nouvelle lettre au président Boutflika ce lundi 30 mai, lettre que DNA a pu consulter et dans laquelle il l’exhorte à concrétiser le projet.

« Il faut sortir de cette impasse persistante et de cette spirale sanglante pour aboutir à une étape de conciliation historique à tous les niveaux : militaire, politique, judiciaire, social et économique », peut-on lire dans cette missive également signée par Abdelfattah Zeraoui Hamadache.

Alors y’a-t-il ou non négociations entre le pouvoir et les islamistes en vue d’une amnistie générale ? Ahmed Ouyahia dit-il la vérité en démentant l’existence de ce projet ? Ou bien est-il tenu à l’écart par ceux qui négocient avec d’anciens responsables du FIS et ex-émirs de groupes armés ?

Selon nos informations, des discussions ont bel et bien eut lieu entre, d’un côté Hachémi Sahnouni et Abdelfattah Zeraoui Hamadach, et de l’autre Abdelaziz Belkhadem, ex-chef du gouvernement et actuel SG du FLN et un haut gradé de l’armée dont l’identité n’a pas été révélée.

Ces discussions portent sur un projet d’une amnistie générale en faveur de plus de 7000 terroristes emprisonnés. Ce chiffre n’est pas encore définitif. Ces derniers pourraient ainsi être graciés et amnistiés en échange d’un engagement écrit de ne plus reprendre les armes.

Les négociations portent également sur l’éventualité d’un retour du FIS à la vie politique sous une forme ou sous une autre. Si la présidence est favorable à l’élargissement de ces milliers de terroristes, elle exclut en revanche un retour du FIS à la légalité.

Vainqueur des élections législatives de décembre 1991, le FIS (Front islamiques du salut) a été dissous en mars 1992 par le tribunal administratif d’Alger.

Selon des informations obtenues par DNA, ces discussions qui ont débuté depuis 2008 se tiennent dans un lieu gardé secret dans la capitale. A ce jour, les deux parties ont tenu quatre réunions dont une qui a été filmée, sans doute, pour qu’elle soit visionnée par le président Bouteflika qui a donné son onction à la démarche.

Depuis son arrivée au pouvoir en avril 1999, le chef de l’Etat a fait de la réconciliation nationale le cœur de son programme politique. C’est ainsi qu’il a libéré 5000 terroristes en juillet 1999 avant de décréter une grâce amnistiante en janvier 2000.

Dans le cadre de cette politique de concessions faites aux islamistes, la présidence a accordé l’absolution à 17540 terroristes.

Bien que le sujet demeure sensible eu égard aux événements tragiques qui ont fait plus de 100 000 morts, Bouteflika s’est toujours montré favorable à une amnistie générale assortie d’une condition : le renoncement à la lutte armée.

Le 9 avril 2009, lors de sa campagne électorale pour un troisième mandat, le chef de l’Etat affirmait ainsi à Tamanrasset qu’il « n’y aura pas d’amnistie sans un dépôt total et définitif des armes ».

Visiblement, les terroristes éligibles à cette amnistie générale s’engageraient à satisfaire cette exigence formulée par Bouteflika. Du moins est-ce le cas de certains activistes qui ont déjà reçu des visites d’émissaires mandatés par Hachemi Sahnouni. Celui confirme d’ailleurs l’information à notre collègue El Watan.

«Il y a quelques jours, deux de nos imams, Ben Yakhlef et Bou Mecheria, en l’occurrence, ont été envoyés dans les prisons pour discuter avec nos frères détenus depuis 1991 et les convaincre de renoncer, une fois libres, au terrorisme, a-t-il expliqué. Ils leur ont même fait signer des engagements comme pièce à conviction en contrepartie d’une amnistie.»

DNA a pu consulter la lettre, datée du 13 avril 2011, d’un terroriste condamné à mort qui fait vœu de renoncer aux armes. Dans la prison de Chlef où il est incarcéré, celui-ci a reçu la visite en janvier 2011 de Nabil Osman, Youcef Mechria et Ben Yakhlef, des émissaires de Hachémi Sahouni.

Ces envoyés spéciaux ont fait signer un engagement à ce prisonnier dans lequel il s’engage, dans une lettre ouverte au président Bouteflika, à demander pardon et à ne plus reprendre le chemin des maquis.Cette lettre porte le cachet de la prison de Chelf.

Extrait de la lettre de ce condamné : « Depuis janvier dernier lorsque nous avons reçu la visite des frères Nabil Osman, Youcef Mechria et le frère Ben Yakhlef et leurs accompagnateurs et ils nous ont parlé longuement…Et ensuite ils nous ont proposé un document en fait une lettre adressée au président de la république dans laquelle on devait condamner la violence et de renoncer à la prise d’armes et demander pardon au président de la république et ensuite signer ce document…Frère Abdelfateh tu dois savoir que j’adhère a ta démarche que j’encourage vivement… »

Le choix d’Abdelaziz Belkhadem tombe de sens. Outre qu’il soit un proche du chef de l’Etat, le SG du FLN est notoirement connu pour être un islamo-conservateur pur sucre. Favorable au retour du FIS sur la scène politique, Belkadem n’est pas moins un fervent défenseur d’une amnistie générale au profit des activistes armés.

Si ce projet d’amnistie générale devait aboutir, Abdelaziz Belkhadem en serait ainsi le plus grand bénéficiaire. Cet homme qui ne fait pas mystères de ses ambitions présidentielles pourrait alors compter sur le soutien des islamistes dans sa quête du fauteuil présidentiel.

C’est à l’aune de cette course à la succession de Bouteflika qu’il faille décoder le démenti du Premier ministre. Il est hautement peu probable qu’Ahmed Ouyahia ne soit pas mis au courant de cette initiative.

A ce stade de négociations, vu l’importance que revêt cette question, il est quasiment exclut qu’il ne soit pas mis au parfum. Son démenti vise-t-il à torpiller cette initiative ? Est-ce une manière de prendre ses distances vis-à-vis de cette éventuelle amnistie qui ne recueille pas l’adhésion d’une frange du pouvoir ?

Une chose est certaine : les émissaires de l’ex-FIS, du GIA et du GSPC ne peuvent pas se rendre en prison pour discuter avec des condamnés sans qu’il n’ait obtenu l’aval des autorités.

Enquête Mourad Gozhali