Sellal: «On est condamnés à construire cette wilaya»
Les représentants de la société civile de Béjaïa n’ont pas caché la vérité sur la marginalisation de la wilaya.
Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, n’oubliera pas de sitôt sa visite de samedi dernier dans la wilaya de Béjaïa. Oublié, ou tout simplement «boycottée» par les responsables depuis le gouvernement de Mokdad Sifi en 1995, Béjaïa n’a pas, non plus, laissé passer cette opportunité de l’arrivée de M.Sellal pour se faire rappeler auprès des responsables de l’Etat. D’autant plus que cette wilaya enregistre un retard énorme en matière de développement. Le premier signe de mécontentement a été enregistré au niveau du chantier de la pénétrante autoroutière reliant le port de Béjaïa à l’autoroute Est-Ouest, sur une distance de 100 km, lancé par le Premier ministre.
Le projet accuse déjà un retard de plusieurs années, ce qui a provoqué la colère des citoyens et des députés de la wilaya qui ont interpellé à plusieurs reprises le gouvernement sur cette question.
La foule qui s’est formée sur la route longeant le chantier n’est pas constituée uniquement de curieux et de citoyens venus exprimer leur joie en raison du lancement du projet: elle est aussi constituée de protestataires qui, sans faire de bruit, ont arboré une grande banderole sur laquelle est écrit: «Oui à la pénétrante, non au bradage de nos terres et maisons.»
«Organisez une année du savoir à Béjaïa!»
Ces protestataires, propriétaires de maisons et de terres situées sur le tracé de la pénétrante, demandent des indemnisations conséquentes. La délégation ministérielle a fait face au deuxième signe de mécontentement au niveau de la Maison de la culture Taos-Amrouche, quelques minutes avant la rencontre avec les représentants de la société civile.
Des centaines de citoyens qui n’ont pu accéder à la salle de réunion ont, en effet, assiégé cette infrastructure: certains d’entre eux ont tout simplement demandé, à l’arrivée du Premier ministre, le limogeage du wali de Béjaïa.
A l’intérieur de la salle où s’est tenue la rencontre, la délégation ministérielle a assisté à un véritable déchaînement de mécontentements des représentants de la société civile. C’est le président de l’APW, Mohamed Bettache, qui a ouvert les travaux en dressant un constat amer de la situation sociale et économique dans cette wilaya, qui souffre de la marginalisation et du sous-développement. «Le retard touche tous les secteurs», souligne le P/APW, avant de se lancer dans une série de propositions à même de redonner vie à cette région. La première consiste en l’organisation dans la wilaya de Béjaïa de «l’année du savoir», comme cela a été fait (dans d’autres domaines) pour Alger, Tlemcen et bientôt à Constantine.
Pour les projets de développement, le président de l’APW a proposé, entre autres, des infrastructures de base à même de désenclaver la wilaya, un projet de développement de la côte Ouest, un stade de football de 40.000 places, la mise à niveau de la ville de Béjaïa et en finir avec la bureaucratie et les groupes d’intérêt. «On espère que cette visite contribuera à atténuer le fossé qui sépare les gouvernants des gouvernés», a conclu le P/APW, avant que le wali, Hamou Ahmed Touhami, ne prenne la parole.
Ce dernier, qui a établi un bilan des réalisations durant ces dernières années, a enfoncé le clou en dressant un autre constat peu reluisant, se plaignant des manques que connaît la wilaya. Il a évoqué le problème de l’encombrement dans la ville.
Pour le développement de la wilaya, le wali a demandé de doter Béjaïa d’un tramway, d’un téléphérique et d’une ligne maritime reliant le port de cette ville à Alger.
«Mais là où le bât blesse, c’est l’environnement qui est dans une situation catastrophique», a-t-il ajouté, relevant la prolifération des décharges publiques et regrettant le problèmes des oppositions des citoyens quant aux projets de réalisation de décharges contrôlées.
Un malaise profond
La suite est une avalanche de critiques des représentants de la société civile qui ont défilé au microphone pour dénoncer le laisser-aller des autorités, déplorer le sous-développement des localités et interpeller le Premier ministre sur la situation «catastrophique» dans laquelle évoluent les Béjaouis.
Le bal a été ouvert par Hocine Abdelkader, président de la Chambre de commerce et d’industrie Soummam. Ce dernier a décrit un «malaise profond», une «bureaucratie sans égale» et un «chômage grandissant» qui sévissent dans la capitale des Hammadites. «On fait de notre wilaya une région infréquentable», a-t-il résumé. Pour sortir de cette situation, l’orateur propose «une loi qui oblige les responsables à tenir leurs promesses» et la mise à niveau des zones industrielles.
Constatant la foule qui s’est formée derrière le micro, le Premier ministre demande d’abord de limiter les interventions à deux minutes chacune avant, quelques instants après, de limiter le nombre d’interventions. M.Sellal a annoncé, entre-temps, que le président Bouteflika a eu un malaise et qu’il doit être à Alger à 20h 30.
Les interventions se suivent et se ressemblent: sans langue de bois, les représentants de la société civile des différentes communes ont dénoncé les conditions de vie déplorables dans lesquelles ils évoluent. Le représentant de la commune de Barbacha a évoqué le problème de l’insécurité qui y règne. Et à M.Sellal de l’interrompre: «Acceptez-vous la gendarmerie?».
«Ils ont appris la leçon…je préfère ne rien ajouter», répond l’intervenant. Un représentant du FFS qui a plaidé pour un plan de développement d’urgence pour la wilaya de Béjaïa a demandé «de faire de Béjaïa ce qui a été fait à Oran». Une manière de dénoncer le régionalisme et l’exclusion dont est victime toute cette région.
Les réponses de Sellal
Pour sa part, le président de la Confédération algérienne du patronat, section Béjaïa, Djamel Azzoug, a demandé de rétablir Béjaïa dans son statut de ville métropole et d’organiser une manifestation «capitale du savoir». Il a plaidé aussi pour «repenser le fonctionnement des zones industrielles pour qu’elles soient pérennes et contribuent au développement».
Le président d’APC de Tazmalt, Smaïl Mira, était le dernier intervenant. Il a d’ailleurs suscité la colère des militants du FFS, à commencer par les députés qui ont quitté la salle.
Dans ses réponses aux préoccupations des intervenants, M.Sellal s’est voulu rassurant. «On est venus en portant des projets pour construire cette wilaya. (…) On est condamnés à construire cette wilaya», a-t-il indiqué. «Béjaïa a un avenir prometteur et possède de grandes potentialités. Les pouvoirs publics ne ménageront aucun effort pour soutenir le développement dans cette région», a-t-il ajouté.
Le Premier ministre a annoncé une rallonge financière de 500 milliards de dinars pour les communes pauvres, un programme supplémentaire de logements et un stade de 30.000 places. M.Sellal a évoqué aussi un projet de raffinerie, soulignant que la priorité sera donnée au projet de la pénétrante autoroutière. L’orateur a souligné que l’implantation d’entreprises était «la seule solution pour la création de richesses et d’emplois», relevant la nécessité d’oeuvrer à faciliter l’implantation de telles entreprises dans tous les domaines.
Pour le Premier ministre, Béjaïa a les moyens d’être pionnière, notamment dans le domaine de l’agroalimentaire, soulignant qu’outre sa vocation touristique et agricole, la wilaya peut également se développer aux plans économique et industriel.
M.Sellal a appelé les habitants de Béjaïa à aider les pouvoirs publics dans la réalisation de ces projets. Il a également appelé tous les Algériens à la solidarité et à l’entraide et à s’éloigner de la culture de la haine. Il a, d’autre part, insisté sur l’importance de combattre la bureaucratie, affirmant que la lutte contre ce fléau signifie la lutte contre la corruption.