Retour des rescapés de Libye à bord du Tassili II,Chronologie d’un moment historique

Retour des rescapés de Libye à bord du Tassili II,Chronologie d’un moment historique

L’émotion était à son comble jeudi dernier vers 18h au port d’Alger. Sur place une assistance nombreuse composée de hauts responsables, de représentants diplomatiques de certains pays et de citoyens venus accueillir les Algériens rapatriés de Libye à bord du Tassili II.

18h30, les familles commencent à s’impatienter

Venus de plusieurs localités de la capitale et même d’autres wilayas limitrophes, les familles des Algériens, devant être rapatriés de Libye, commencent à perdre patience. Leurs proches appartiennent à toutes les catégories sociales. Ils sont commerçants, fonctionnaires, médecins et autres. Des vieilles dames, assises ensemble, ne font rien d’autre que prier Dieu afin de permettre que leurs proches arrivent sains et saufs. Des jeunes, de crainte d’angoisser davantage leurs parents, font mine de tenir le coup. Portables, cigarettes ou encore clefs à la main, ils ne peuvent toutefois cacher leur inquiétude grandissante.

Rythme accéléré avant l’arrivée du Tassili II

Béjaïa, Mila, Constantine, Tipaza et autres wilayas, ce sont autant de pancartes sur lesquelles sont mentionnées les destinations que doivent prendre les Algériens rapatriés. «Soyez vigilants» lance Mme Belmiloud, directrice de l’action sociale d’Alger à son effectif. Son téléphone ne cesse de sonner et elle ne s’arrête jamais. D’ailleurs son nom est sur toutes les lèvres, tellement ses directives sont précieuses.

«Où sont les jouets pour les enfants ?», «les chauffeurs sont-ils dans les bus ?», «c’est bon pour les repas froid ?» interroge-t-elle son équipe encore une fois. Du pain, de l’eau minérale, du jus, des œufs durs, du thon, des fruits et même des biscuits secs sont au menu des repas attendant les voyageurs.

Un quadragénaire, assis au fond de la salle, t visiblement épuisé, a tenu toutefois à préciser :«Leurs billets de bus vers leurs wilayas de résidence respectives sont déjà payés» clame-t-il avec une note de fierté, avant que sa directrice ne vienne donner une précision : «Même ceux qui n’ont pas où passer la nuit seront logés au centre de solidarité de Birkhadem». Il ne reste que quelques secondes avant que les rapatriés n’arrivent à bon port. Des psychologues, des sapeurs pompiers, des médecins du SAMU 16 et autres encadreurs sortent à la hâte de toutes le directions et se placent près du terminal pour attendre et recevoir les rapatriés. On commence déjà à les entendre…

19h le navire accoste au quai… «One, two, three, viva l’Algérie»

Sur le quai on n’entend plus que les chants des Algériens sur le pont du bateau décoré de plusieurs drapeaux algériens.

«One, two, three viva l’Algérie», «tahya l’Djazair (ndrl, vive l’Algérie» et autres slogans : expressions del’intense soulagement en voyant les rives algériennes. Ces chants ont même empêché, à maintes reprises, de bien entendre Halim Benatallah, secrétaire d’État auprès du ministère des Affaires étrangères, chargé de la Communauté nationale à l’étranger, venu recevoir les rapatriés et s’informer sur leurs conditions de santé. Le premier Algérien à

«mettre les pieds» sur le quai algérien est le bébé né durant la traversée. «Il est né sur le bateau », lance un membre de l’équipage, un large sourire sur le visage. À l’exception du nouveau -né tous les passagers étaient impatients de voir les leurs.

Dieu merci… et merci l’État

Fatigué, mais souriant était Rabah, d’ailleurs comme la plupart des arrivés. Après les formalités de Police, la balle est maintenant dans le camp de Mme Belmiloud. Son équipe s’affaire dans tous les sens pour orienter les rapatriés.

«Allez-y Monsieur », «c’est par là», «tenez», étaient les propos les plus entendus. Mustapha Chemlal, établi dans la ville libyenne d’Adjabiya depuis 11 ans, a tenu à témoigner : «Les libyens sont nos frères». Il a indiqué que les accrochage qui ont éclatés dans sa ville l’ont poussé à quitter les lieux sans vraiment réfléchir. «La vie est précieuse», a-t-il lancé en poussant un long soupir. Malgré la foule qui l’entourait, Hassan Israa, propriétaire d’un restaurant à Tripoli, a tenu à se diriger vers nous et nous faire part de ses préoccupations.

«C’est les problèmes du logement et celui de l’emploi qui m’ont contraint à quitter le pays». Au milieu de la dense foule un père de famille, originaire de Mila, cherchait sa petite fille, âgée de 4 ans. Il restait toutefois serein «Je sais qu’elle est en sécurité (…) c’est son pays et ce sont mes frères (algériens) qui la trouveront», a-t-il affirmé avec force.

Peu après sa fille sera dans ses bras au grand soulagement de tous. «Vous devriez lui offrir un chien !» lancera l’agent de douane vers lequel elle s’était dirigée pour voir de plus près son chien. Un autre petit enfant était très content et montrait à tous son jouet : une voiture. «C’est Tata qui me l’a offerte» disait-il en souriant. Maali Nasreddine, ingénieur en hydrocarbures, installé à Bengazi depuis 4 ans, s’est avant de chercher ses proches, rapproché des journalistes, «nous avons passé 3 jours de guerre au sens propre du terme.

Heureusement que le commandant qui a été envoyé pour raser la ville a changé d’avis et s’est rangé du côté du peuple» explique-t-il avant de rejoindre la salle d’attente. «Au début il n’y avait pas de problème, mais après que le peuple a eu (sa liberté) a commencé à harceler les étrangers ». Pour Nasreddine, comme pour plusieurs autres rapatriés, les révolutionnaires ont, plusieurs fois, demandé aux étrangers, y compris les Algériens, de quitter les lieux ou plutôt de vider leurs domiciles.

«À chaque fois qu’on nous demandait de leur libérer nos maisons, on leur disait que nous étions en famille (…) ils ont commencé à perdre patience mais heureusement qu’ils ont appris qu’un navire algérien se dirigeait vers Bengazi (…) vive mon pays». Rabah, Mustapha et les autres étaient tous unanimes pour saluer l’initiative prise par l’État. «Nous remercions Dieu de nous avoir fait sortir de Libye, mais nous tenons également à remercier les autorités de cette initiative qui traduit l’intérêt que porte l’Etat à ses ressortissants».

Les uns soulagés… les autres inquiets

Abdelaziz, Boualem, Ben Moussa, Ami Kamel et autres avaient d’autres soucis. « Je me suis installé en Libye depuis 14 ans, je n’ai aucun bien ici », « si j’avais où habiter dans mon pays je n’aurais pas émigré », « c’est depuis plus de 20 ans que j’ai quitté le pays, je ne peux pas rester longtemps chez mon frère » se sont-ils plaints. De crainte que la situation sécuritaire en Libye ne s’améliore pas dans un bref délai, voire s’envenime, ces personnes se sont mises d’accord de contacter tous les rapatriés ayant les mêmes problèmes. « Nous allons contacter les personnes rapatriées par la voie aérienne pour solliciter les autorités à nous prendre en charge » ont-ils décidé d’un commun accord. « On reste en contact mais aujourd’hui allez vous reposer » dira ami Kamel.

Les étrangers disent… merci l’Algérie

Marocains, Tunisiens, Sahraouis ou encore Américains, les rapatriés vers Alger la Blanche ont tous salué les efforts salutaires déployés par les autorités compétentes. Menna Mohamed Salem et Wahba Mohamed Mbarek, deux lycéennes en Libye, ont parlé à cœur ouvert. « Les Libyens ne nous ont jamais maltraités, mais les Algériens, par le fraternité et leurs aides précieuses, ont eu toujours une place exceptionnelle dans nos cœurs », témoignent les deux jeunes filles, les larmes aux yeux. Les Sahraouis se sont bousculés pour s’exprimer.

« Patiente, il (journaliste) ne va pas partir avant qu’il ne nous interroge », dira l’une d’elles. Quand Souad El Bachir a été interrogée, la petite n’hésita pas à lancer : « Je souhaite l’indépendance pour mon pays (RASD) et le retour au calme pour la Libye». Pour les autres étrangers, à l’image d’une sexagénaire d’origine marocaine, « les autorité sont remerciées pour cette bonne initiative ». « Ce n’est pas nouveau pour l’Etat algérien » a souligné une source diplomatique marocaine, voulant garder l’anonymat, venue accueillir les ressortissants marocains.

Le travail ne s’arrête pas là

Après le départ des derniers rapatriés, le personnel du navire Tassili II s’est donné une autre tâche. « C’est la dernière mi-temps. L’arbitre ne tardera pas à siffler », a lancé Mohamed, un matelot de 30 ans. L’équipage, après contrôle de routine, a commencé à nettoyer le navire. Sifflant et souriant, l’« essentiel pour nous c’est que la mission est accomplie». Allez les fainéants ! » lança un sexagénaire, les yeux cernés. Docteur Bensaida et son staff médical ne pouvaient que s’asseoir sur les bancs. « Nous somme très fatigués, mais nous allons nous reposer ! (…) nous avons réussi à les faire sortir d’une crise humanitaire » a-t-il ajouté en s’adossant. « Notre équipe a acquis de l’expérience durant la décennie noire », a indiqué le docteur. Dans le parking, les bus sont prêts pour se diriger vers la gare routière du Caroubier, l’équipe de Mme Belmiloud contrôlait la situation. Des câlins et des bisous ont été faits entre les rapatriés et… tout les présents. Hier vendredi à 00h00, mission accomplie. Bravo les Algériens.

par Ahmed Bouaraba