«Diarrhées, infections et autres intoxications font partie de la vie quotidienne des détenus»
«Nous n’avons aucun droit en prison. Nous sommes considérés comme des animaux, alors que nous sommes des êtres humains.»
«La nourriture en prison? C’est du n’importe quoi. J’ai perdu 4 dents à cause de cette nourriture. Rien que pour le pain, c’est comme du caoutchouc. Nous n’avons aucun droit en prison», témoigne Djamel, ancien détenu à la prison d’El Harrach gracié à son âge par le Président Bouteflika. Ayant connu la prison au moins cinq fois, Djamel a séjourné dans plusieurs établissements pénitenciaires du pays. Les prisons d’El Harrach, de Berrouaghia et Ksar Chellala n’ont pas de secret pour ce jeune de 25 ans à l’allure de rebelle malgré lui. «J’espère ne plus revenir en prison», dit-il aigrement. «C’est plus fort que moi. Je n’y peux rien contre mon caractère et tempérament», lance-t-il comme pour s’excuser. «Si on mange en groupe, on nous assure des parts en quantité plus au moins remarquable. Mais si on choisit de prendre son plat à part, vous êtes alors complètement ignoré», raconte Mourad. Les repas servis ne sont pas les mêmes pour tout le monde. «D’une catégorie de prisonniers à une autre, la différence est de taille», fait remarquer Nabil, 27 ans rencontré à Baraki.
Mais quelle est cette catégorie spéciale dans les prisons? Sans sourciller, Nabil lâche: «Les homosexuels. En prison, ils sont plus gâtés que les autres prisonniers», «eux ils ont droit au café et non au jus de chaussette qu’on nous sert à nous». «Ils ont une salle spéciale qui leur est réservée qu’on appelle le cabano», a-t-il affirmé. Interrogé sur la nature des repas, Nabil fait part de bon nombre de plats, mais sans goût et sans consistance. Des plats préparés avec des haricots blancs, des lentilles, du riz, de la purée et autre cuisine «spécial prison». «C’est vrai que les produits ressemblent à ceux des riches et des citoyens libres, mais dans la préparation et le goût, ils seront boudés même par les animaux», a révélé Nabil qui a indiqué que des indigestions et des intoxications sont à chaque fois signalées chez des prisonniers de santé fragile: «Diarrhées, infections et autres maladies digestives font partie de la vie quotidienne».
S’agissant de l’amélioration des repas durant le mois de Ramadhan, nos interlocuteurs répondent unanimes: «Il n’y a pas grand-chose si ce n’est la zlabia en plus.» Kamel F, 30 ans, soupire et révèle que son «emprisonnement est sur la conscience des policiers qui ont gonflé le dossier de mon incarcération et les magistrats qui n’ont pas été justes dans leurs verdicts finaux». Coeur damné, les deux prisonniers accordent leurs voix spontanément: «En prison, on est traités et considérés comme des animaux, alors que nous sommes des êtres humains conscients et sensibles à toute action. Nous n’avons pas choisi la prison, mais ce sont les circonstances de la vie qui nous y ont poussés.»
A force d’écouter nos interlocuteurs, d’autres anciens prisonniers les ont rejoints pour apporter leur témoignage.
«L’on s’interrogeait spontanément sur ces multiples causes et raisons qui poussent les jeunes surtout, à se retrouver en prison où les conditions sont dures», disent-ils. Répartis en groupes de plus de 80 prisonniers par salle, chaque groupe possède son quartier. Le quartier prisonniers de droit commun et autres. Quartier femmes, quartier mineurs et quartier appelé «Cabano», qui rassemble les homosexuels selon le prisonnier. Souvent, les prisonniers ne mangent pas les repas préparés dans les cuisines de la prison. Les incarcérés peu éloignés de leurs domiciles et de leurs familles, sont les plus gâtés. Des couffins de leur familles ne désemplissent pas. Cette catégorie de «prisonniers privilégiés», se nourrit régulièrement du contenu des couffins apportés par leurs familles. «Certains partagent le couffin avec d’autres prisonniers, d’autres non». «La première catégorie étant plus ou moins bien considérée, reçoit des visites deux fois par semaine, d’où la provenance des couffins bien remplis et qui ne doivent pas dépasser le poids de 10 kg», raconte Kamel regrettant que «contrairement à d’autres catégories de prisonniers qui sont loin de leur domicile, parfois à des centaines de kilomètres, ces derniers ne reçoivent aucune visite pouvant les soulager de la peine de la prison, ou tout de même bénéficier des dons d’autres visiteurs». Il est à noter que les fromages, la chorba, les boissons gazeuses et les conserves sont interdits. «Les agents de contrôle et autres personnels chargés de la surveillance dans les prisons ont décelé des drogues enfouies dans les fromages et autres produits à introduire en prison», nous dit-on. Quant à la nourriture admise comme ne présentant pas de danger pour les prisonniers, l’on cite, le poulet, les fruits et les gâteaux. «les produits consommables dans les 48 heures, après réception», ajoute t-on. Un autre phénomène vient se greffer aux problèmes évoqués par les prisonniers: le vol des couffins dans les deux salles d’attente hommes et femmes. M. Saïd D., champion d’Afrique de boxe aux Jeux africains à Lagos au Nigéria dans les années 1970 n’a pas échappé au vol de son couffin. «Je suis venu pour remettre le couffin à mon fils emprisonné, ils m’ont choppé le panier», dira-t-il consterné.