Abdelkrim Harchaoui, ancien ministre des finances et dirigeant du RND, critique les avantages sans contrepartie concédés au patronat, mais aussi les subventions généralisées, qu’il considère comme une « aberration ».
Les patrons algériens sont trop gâtés. Ils bénéficient de trop de facilités, sans arriver à des résultats probants. Le propos n’est pas celui d’un militant d’extrême-gauche ou d’un opposant, mais celui d’un austère ancien membre du gouvernement, M. Abdelkrim Harchaoui. Celui-ci est un dirigeant du RND, qui a fait toute sa carrière à l’ombre du pouvoir. Il a notamment été ministre des finances, et il est considéré comme un proche de l’ancien premier ministre Ahmed Ouyahia.
Développant un discours à contre-courant de celui en vigueur actuellement, M. Harchaoui affirme, dans une interview au journal El-Watan, que « malheureusement », les gouvernements successifs ont « accordé trop d’exonérations et de réductions fiscales aux entreprises. Il est peut-être temps de faire un bilan de cette politique », dit-il. Depuis 1991, « nous continuons à répondre favorablement aux demandes du patronat, sans trop se demander si cela en vaut la peine. Il est temps de se poser la question sur la pertinence de ces aides qui n’ont pas eu beaucoup d’incidence sur la croissance économique ou sur la création d’emplois », a ajouté M. Harchaoui, qui appelle à « séparer les bons investisseurs des fraudeurs ». Il dresse aussi un sombre tableau de la situation économique du pays. « La situation de l’Algérie est cauchemardesque, car elle dépend des quantités et du prix des hydrocarbures exportés et, en parallèle, des marchés extérieurs pour ses approvisionnements ».
Une « aberration » nommée subventions
M. Harchaoui critique aussi les méthodes dont sont gérées les subventions, dont il ne conteste cependant pas le principe. Pour lui, « toutes les subventions, quand elles ne ciblent pas les catégories sociales qui en ont le plus besoin, peuvent être considérées comme du gaspillage ». Il estime ainsi que le soutien des prix « profite à ceux qui ont des difficultés, mais également à ceux qui sont détenteurs d’immenses capitaux. Cela me paraît une aberration. Cette stratégie a favorisé tous les dysfonctionnements et les dérèglements du marché à travers des fraudes multiples », dit-il, tout en soutenant que les subventions « étaient nécessaires pour maintenir la stabilité et la cohésion sociale ».
Il a également un point de vue tranché sur l’adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Interrogé s’il est favorable à ce choix, il déclare, catégorique : « Non, en l’état actuel de l’économie nationale. Le niveau de compétitivité de nos entreprises est tellement insuffisant » qu’il ne pourrait « permettre à nos entreprises de survivre. Aujourd’hui, les entreprises nationales ne peuvent pas tenir face aux produits importés. Le premier des secteurs qui fera les frais de cette adhésion est le secteur agricole. Des millions de familles et des milliers de travailleurs seraient directement touchés par cette ouverture », dit-il en forme de mise en garde.
Réformes ratées
M. Harchaoui fait par ailleurs un bilan très critique de l’action économique du gouvernement, bien que le RND a dirigé ou fait partie de toutes les coalitions gouvernementales depuis bientôt vingt ans. Il déplore que l’Algérie ait « raté la réforme de l’administration et celle de notre système de régulation économique ». Selon lui, « la réforme bancaire n’a pas bénéficié de toute l’attention voulue ».
Ce discours tranché sur l’économie tranche toutefois avec les déclarations sur le plan politique. Le gouvernement est-il en campagne électorale ? « Je ne pense pas », répond M. Harchaoui, qui refuse de se prononcer sur un éventuel quatrième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, affirmant simplement : « accordons-lui encore du temps pour se prononcer ». Il reste aussi très évasif concernant le sort de l’ancien président du RND, M. Ouyahia, éjecté par un mouvement de fronde début 2013. « Il lui appartient de décider de son avenir », dit-il prudemment.