Le Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi a abrité le week-end dernier trois représentations consécutives de l’une de ses dernières productions, Massra, adaptée et mise en scène par l’Irakien Fadel Abbas Al Yahia, d’après le texte de Mohamed Maâmoun Hamdaoui.
C’est l’histoire de Massra, terre d’islam et de chrétienté ; un pays calme, paisible, riche et très convoité. Solidaires, les habitants de Massra se connaissent et s’apprécient. Tout va bien dans ce monde parfait jusqu’au jour où un inconnu débarque. Il cherche l’asile et dit s’appeler Youssef, tout en prétendant appartenir à une grande famille syrienne d’Alep.
Mais tout cela n’est que mensonges et balivernes, Youssef s’appelle en réalité Ezra Yassif Woojonski. Ses origines sont inconnues et n’a pas de terre. C’est un intrus qui va troubler le quotidien tranquille et serein des belles gens de Massra. Youssef/Ezra provoque les catastrophes et utilise son argent pour soi-disant voler au secours d’un propriétaire terrien qui a perdu toute sa récolte d’oliviers puisque son champ a brûlé.
Dans sa folie dévastatrice et poussée de son envie d’appartenir à une terre, même si celle-ci le rejette, Ezra va jusqu’à enlever Fadwa, propriétaire d’une terre, qui refuse de s’associer à lui. Les dignitaires de Massra finissent par découvrir le mal qui se cache en Ezra, s’en débarrassent, mais la nature humaine est très étrange, car même si l’on neutralise le mal, il peut toujours revenir sous d’autres formes, d’autant que l’histoire a tendance à se répéter puisque l’homme ne tire jamais de leçons de ses échecs. Et pour ce qui est des habitants de Massra, ce qui les a perdu, c’est leur bonté et la confiance aveugle qu’ils ont faites à Youssef. Par ailleurs, Massra est une parabole sur la Palestine et le conflit inextinguible israélo-palestinien. Elle montre, d’une manière assez minimaliste certes, les méthodes utilisées par Israël pour son expansion. Et selon la vision du metteur en scène, elle comme une maladie, voire un virus, qui se propage, en utilisant la détresse et le malheur des êtres humains.
Bien qu’elle traite de malheur et de déchirure, la pièce est d’une grande beauté sur le plan visuel. En effet, la scénographie a été magnifique, représentée par les quatre couleurs du drapeau palestinien : le rouge, le noir, le blanc et le vert ; celles-ci ont eu un rôle-clé dans les différentes scènes et ont eu chacune une fonction bien déterminée. D’autre part, le début de la pièce est un moment fort en émotion puisque tous les comédiens montent sur scène… c’est le village de Massra au grand complet ; c’est comme une photo de famille.
Le texte a été à la fois fort et troublant : fort pour la cause qu’il défendait et troublant pour la sincérité de son propos ; et nous avons eu droit à des phrases marquantes et d’une grande beauté, comme celle : « Est-ce que quelqu’un peut trouver la paix quand il porte en son âme la brûlure de l’olivier (une référence à la colombe et le bâton d’olivier, symbole mondial de la paix) », ou encore : « On causera la discorde et la séparation entre la terre et son laboureur, entre le bétail et son berger, entre les choses et son possesseur. » Les comédiens ont également brillé par leur jeu, bien qu’un problème ait été constaté, causant ainsi une lenteur dans l’action.
Abdelhalim Zribie qui a incarné le rôle du Darwish a été imposant par sa stature, sa présence, sa voix et sa diction ; de son coté, la jeune comédienne, Mounira Rabhi Fissa, a également maîtrisé son rôle. N’oublions pas de souligner l’exceptionnelle prestation du comédien Slimane Ben Ouari, qui a incarné le rôle de Youssef/Ezra. Le metteur en scène, de son côté, a bien dirigé ses poulains (une bonne direction d’acteurs) et sa vision dans cette pièce transcende les frontières et dépasse les cloisonnements, puisque le sujet est devenu universel, voire l’affaire de tout le monde.
Notons également la magnifique musique qui a eu un rôle très important dans la pièce et qui a été ponctuée par des a cappella, comme des complaintes, interprétées par Faïza Amel (également comédienne dans la pièce) et même par un appel à la prière. Inscrite dans le cadre des activités d’El-Qods capitale éternelle de la culture arabe, Massra pourrait bien représenter le Théâtre national algérien au prochain festival national du théâtre professionnel d’Alger, prévu pour le 23 mai prochain.