Reportage: Alger après l’instruction sur l’ouverture des commerces le soir L’épreuve de la nuit

Reportage: Alger après l’instruction sur l’ouverture des commerces le soir  L’épreuve de la nuit

Lors de sa rencontre avec les walis, fin juin, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal a été clair; les commerces doivent rester ouverts après 21 heures. L’objectif de cette instruction est d’animer les villes algériennes et tout particulièrement la capitale.

Quelques jours après cet ordre, les choses n’ont pas réellement bougé. Dans la capitale, les quartiers réputés animés le sont toujours et ceux où il ne se passe rien sont tout simplement restés les mêmes. Il y a bien eu quelques timides actions au lendemain de l’instruction Sellal, puisque certaines terrasses ont été refaites, mais leurs horaires de fermeture sont demeurés inchangés. Une tournée dans les différents quartiers de la capitale nous a permis de constater les réels changements qui n’ont pas eu lieu.

Didouche Mourad, quartier très fréquenté pendant la journée est aussi un quartier où tout s’arrête la nuit. Selon la saison, la fermeture de la plupart des établissements se situe entre 18h et 19h30. Les magasins de vêtements sont généralement les premiers à baisser rideaux. Peu après ce sont les cafés et enfin les restaurants et autres fast-foods.

Les buralistes et tout particulièrement les cybercafés sont les réelles « poches de résistance » face à la morosité nocturne. Les tables de cacahouètes et de thé, petits étals de fortune entrant dans la catégorie des commerces illicites, animent à leur manière la ville. Leurs propriétaires figurent décidément parmi les professionnels appliquant à la lettre l’instruction gouvernementale. Les fameuses tables à cigarettes, par contre, ont pratiquement disparu de la ville.

A la place Audin, où les terrasses se côtoient, l’on constate effectivement un changement en mieux, il faut le dire, concernant le mobilier. Des tables et des chaises bien faites, des parasols agréables à regarder, mais la transformation s’arrête là. Sans jeu de mot, il est visiblement encore tôt pour que ces établissements se décident à fermer plus tard.

Même si on n’en parle pas beaucoup, la rue Didouche Mourad et sa place Audin, sont des lieux particulièrement fréquentés par les mendiants et les malades mentaux. Ces derniers commencent généralement leur « service » en fin de journée.

Sur une terrasse, en plein centre d’Alger, il est difficile de tenir une conversation convenable sans s’interrompre pour faire son devoir de bon musulman en donnant une pièce à un quémandeur ou pour tester ses reflexes face à la fureur d’un fou. Une ville qui veille doit aussi être une ville où les gens ne sont pas constamment sur leurs gardes.

Même si les agressions sont rares en plein centre-ville, elles ne sont pas inexistantes. A la rue Khelifa Boukhalfa, l’un des rares établissements encore ouverts à 20h30, est un fast-food où il n’y avait encore que deux clients lorsque nous y entrons. Il n’était pas 20h40 lorsqu’un jeune, le visage ensanglanté, pénètre dans l’établissement pour demander de quoi s’essuyer le visage.

En sortant, son premier réflexe n’était pas de se rendre à l’hôpital pour se faire soigner mais d’appeler quelqu’un à partir de son portable. Des renforts pour rendre la monnaie de leur pièce à ses agresseurs ! Probablement. Ce genre d’événement n’arrive pas tous les soirs en ville, mais ce n’est jamais bon pour les affaires.

Des quartiers qui vivent la nuit

Les quartiers d’Alger ne sont pas tous les mêmes. Bab El Oued, quartier populaire par excellence, est un quartier où les cafés ferment tard, particulièrement en été. A côté des cafés, ce sont aussi les crêperies qui font le plein de clients. Le complexe El-Kittani qui accueille, en été, des familles venues de partout a augmenté d’un cran la capacité d’attraction de Bab El Oued.

Des quartiers situés au niveau de la côte tels que Bordj El Kiffan, par exemple, ont toujours attiré les visiteurs. L’animation nocturne n’est toutefois pas l’apanage de ces vieux quartiers puisque de nouvelles artères créées il y a seulement quelques années veillent la nuit. L’exemple de Sidi Yahia est édifiant.

Il y a moins d’une quinzaine d’années, sur le lieu et place de cette artère commerçante, il n’y avait tout simplement rien. Aujourd’hui, des restaurants, des magasins et des cafés branchés sont ouverts jusqu’à des heures tardives. Sidi yahia reste cependant destiné à une certaine catégorie de clients. Des gens plutôt aisés et ceux qui les accompagnent.

Draria, un autre nouveau quartier, est un phénomène en soi. Ce quartier de l’ouest de la capitale fait désormais parler de lui en raison des nombreux restaurants spécialisés dans les grillades qui s’y trouvent. Les amateurs de brochettes s’y bousculent.

En arrivant sur place, ce qui attire le plus l’attention, au-delà des restaurants brillant de mille feux, c’est le nombre de familles qui s’y rendent. Certaines n’arrivent que vers 21h, avec la certitude de trouver les établissements ouverts. A Draria, on a l’embarras du choix.

« Draria est un endroit sécurisé où les gens peuvent sortir en famille. Vous savez, lorsque la sécurité est garantie, il n’y a vraiment pas besoin d’une décision gouvernementale pour pousser les commerçants à veiller », nous dit un père de famille. Le soir, Draria n’est pas accessible en bus. Les visiteurs des lieux doivent être impérativement véhiculés, ce qui exclu de fait, les gourmets habitués aux transports en commun.

Dans toute la capitale, les transporteurs privés qui pullulent durant la journée sont totalement absents le soir. Une question à prendre en charge à côté de celle de la sécurité. « Partout dans le monde, lorsqu’il y a le transport et la sécurité, la ville s’anime naturellement », assure un commerçant.

Des étrangers pour animer la capitale

Autre forme d’animation, les événements culturels et les soirées musicales sont rares à Alger. Paradoxalement, ce sont des centres culturels étrangers qui semblent organiser le plus d’événements en ville. Dernièrement, le centre culturel français a tenu une soirée en l’honneur de la musique algérienne.

« La fête de la musique », un événement en entrée libre qui a vu se produire des groupes algériens de différents styles et de différentes régions. Ainsi, trois heures durant, des Algériens ont apprécié des chansons algériennes grâce au centre culturel français.

Tout aussi gratuit, le festival culturel européen, organisé chaque mois de mai à Alger est devenu un événement phare dans la vie de certains Algérois. La particularité de cet événement est qu’il se tient pendant une vingtaine de jours. Une vingtaine de soirées, c’est plus que n’espèrent les Algérois, habitués aux manifestations épisodiques, occasionnelles et généralement payantes.

L’on constate aussi que les salles de cinéma de la capitale n’ouvrent plus la nuit et les plus célèbres d’entre elles sont fermées pour travaux depuis quelques années.

Alger est une ville qui compte beaucoup de quartiers peu animés et quelques uns où la vie bat son plein la nuit. Ce n’est que pendant le mois de Ramadhan que la capitale connaît une véritable transformation. A la nuit tombée, tous les quartiers se réveillent après une somnolence diurne que ne peut rompre que les vapeurs du F’tour. Pendant le Ramadhan, tout change. Le mois sacré est un sacré mois.

L’animation d’une ville est le résultat de la rencontre d’éléments objectifs et ce n’est manifestement pas une simple instruction qui changera les choses. Alger avec ses quartiers aux identités différentes restera longtemps ce qu’elle est.

Par Ahmed Gasmia