Le café littéraire organisé durant le Maghreb-Orient des livres a réuni plusieurs intervenants entre universitaires, sociologues et historiens sur la question : quelle est la nature des rapports entre les différentes communautés dans la France de demain ?
Le paroxysme des contradictions est atteint dans une société lorsque le communautarisme mine son existence. Débats passionnés, violences morales ou physiques sont de mauvais augures. L’État, qui veut imposer son autorité, invoque le “vivre ensemble dans une République laïque”. Ces problématiques concernent directement la communauté d’origine algérienne vivant en France, comme d’ailleurs les autres immigrés musulmans. Elles impliquent d’autres composantes de la société, comme les chrétiens et les juifs. Quelle est la nature des rapports entre ces différentes communautés et quel serait leur devenir dans la France de demain ? C’est à ce genre de questions qu’a voulu répondre le café littéraire organisé durant le Maghreb-Orient des livres sous le titre “musulman, juif, manières d’être en contexte laïc”. Certes, on peut s’étonner de la singularisation des musulmans et des juifs dans un pays où la religion majoritaire est le christianisme. Ses adeptes seraient-ils d’une absolue neutralité vis-à-vis des autres ? Mais, restons dans le sujet de la rencontre animée par Benjamin Stora, Rachid Benzine, Mohamed Chirani, Adil Jazouli, Michel Wieviorka et modéré par Yves Chemla. Universitaire et écrivain né en 1971 à Kenitra au Maroc, Rachid Benzine s’impose progressivement comme un nouveau penseur de l’islam en France. Fruit d’un dialogue entre une femme rabbin et un islamologue, il a co-écrit avec Delphine Horvilleur Des mille et une façon d’être juif et musulman. “Au-delà de nos différences, nous avons tous deux compris que la Bible et le Coran n’étaient pas étrangers l’un à l’autre… être «héritier» ne consiste pas à mettre ce qui a été reçu dans un coffre fermé à clé, mais à le faire fructifier. Cela ne consiste pas à reproduire à l’identique ce qui a été reçu, mais à le renouveler… nous espérons que notre parole libre et résolument fraternelle fera surgir beaucoup d’autres paroles libres et fraternelles.” Adil Jazouli, sociologue et écrivain d’origine marocaine, est un éminent connaisseur des problèmes des banlieues, alors que Mohamed Chirani, fils d’immigrés algériens né en France, auteur de Réconciliation française, notre défi du vivre ensemble (François Bourin, 2014), s’est penché sur “l’islam de France, ses failles et sa vacuité idéologique à cause de laquelle le salafisme djihadiste a prospéré”. Petit- fils de juifs polonais arrêtés à Nice pendant la Seconde Guerre mondiale et morts à Auschwitz, Michel Wieviorka, présent au café littéraire, est sociologue, universitaire, chercheur et écrivain. Il a été directeur d’études à l’EHESS et on lui connaît de nombreuses publications sur l’antisémitisme. Quant à Benjamin Stora, historien et écrivain natif de Constantine, il est connu pour ses nombreux ouvrages sur l’histoire de l’Algérie. Pour les animateurs du café littéraire, le vivre ensemble dans une société multiconfessionnelle passe par l’obligation pour les uns de connaître la religion et la culture des autres. Il ne s’agit pas d’établir un consensus artificiel, ni de perpétuer le statu quo grâce à une phraséologie démagogique et de circonstance. S’agissant ici de juifs et de musulmans vivant dans le même pays, la France, tout en jouissant librement de leurs spécificités, ils doivent se connaître, se dire des vérités puis s’entendre sur des principes simples qui permettent de vivre ensemble dans le respect mutuel. Ni antisémitisme ni islamophobie, mais une vie commune paisible où chacun assume son histoire et vit sereinement sa foi dans une République laïque dans laquelle tous les habitants doivent se déterminer, dans l’espace public, uniquement par rapport à la loi.
A. B.